Par Paul Poivert
Le Salon de la Plongée fête cette année ses 20 ans. Devenu un événement incontournable dans le monde de la plongée, il connait chaque année un succès toujours renouvelé. Mais au-delà de l’événement en lui-même, si l’on allait voir derrière cette belle vitrine, pour découvrir enfin l’envers du décors ? Pour son vingtième anniversaire, découvrez le Salon tel que vous ne le connaissiez pas : comment cette aventure a commencé ? Quelles difficultés a-t-il fallu vaincre, quels combats a-t-il fallu mener pour transformer un simple rendez-vous de passionnés, en une manifestation d’envergure internationale ? Voici l’envers du décors…
« Si on faisait un Salon de la Plongée ? Tu crois que c’est possible ?»
Cette réflexion a fusé lors d’une conversation autour d’un apéro, sur le pont d’un bateau de croisière plongée quelque part au cœur de la mer Rouge, un soir de novembre 1997. Celui qui a lancé cette idée s’appelle Joël Delclos. Mais ce n’était pas une idée en l’air, sortie par accident d’un cerveau embrumé par l’alcool, c’était au contraire un projet qu’il peaufinait depuis déjà plusieurs mois. Il faut dire que les années précédentes, le monde de la plongée qui occupait un petit secteur du Salon Nautique depuis près de 30 ans, avait vu l’espace qui lui était alloué se rétrécir comme peau de chagrin… Les gros fabricants avaient déserté le grand rendez-vous nautique, assommés par des tarifs de plus en plus exorbitants. Il faut dire qu’entre les grandes marques d’équipements subaquatiques régnait une concurrence acharnée qui les poussait à la déraison, avec chaque année des stands de plus en plus gigantesques, sur plusieurs étages, avec salons VIP, bassins tactiles et autres animations exubérantes. Cette course à la démesure leur coûtait très cher et les budgets n’en finissaient pas de se multiplier, jusqu’au jour où, de guerre lasse, les fabricants ont claqué la porte du Salon Nautique. Devant le peu d’intérêt de la direction du Nautique envers les faiseurs de bulles, le secteur plongée périclita doucement, les petits exposant s’échappant progressivement à la suite des gros…
Joël Delclos était connu dans le milieu de la plongée, participant à de nombreuses manifestations et possédant un bon carnet d’adresses, mais il n’était pas un professionnel ; seulement un passionné, un « amateur » au sens noble du terme, qui rêvait comme d’autres, d’offrir à la plongée ses lettres de noblesse en lui organisant une manifestation qui lui serait propre, en toute indépendance, et en lui donnant une envergure internationale. Le projet était ambitieux, mais ne dit-on pas que la chance sourit aux audacieux ?
J’ai eu la chance d’être présent ce soir-là sur ce bateau et je fus de ceux (nombreux) à l’encourager à poursuivre son rêve et à lui promettre de répondre présent le jour venu. Mais Joël se trouvait devant une difficulté qu’il devait surmonter. Il n’était pas professionnel de la plongée et bien que son métier dans le cinéma lui avait appris à être très débrouillard, il lui fallait quand même s’appuyer à une structure professionnelle afin d’acquérir la crédibilité nécessaire pour être pris au sérieux. Ainsi, en 1998, il rencontra celle qui allait réussir à réaliser son rêve : Hélène de Tayrac.
Hélène de Tayrac était déjà plongeuse, mais seulement amateur ; on pourrait même dire «touriste», puisqu’elle avait passé ses premières certifications pendant des vacances dans les eaux chaudes. Elle avait appris à apprécier le milieu des plongeurs et fut tout de suite emballée par le projet de Joël Delclos. D’autant plus qu’elle possédait exactement ce qui manquait à Joël : elle était directrice d’une agence de communication et d’organisation d’événements. La paire était enfin assemblée, toutes les conditions étaient réunies pour que le projet passe au stade de la réalisation. Les deux comparses y employèrent toute leur énergie, persuadés qu’ils étaient de tenir là une chance inouïe de réaliser un événement d’envergure. Le lieu était déjà arrêté : ce serait l’Aquaboulevard, grand complexe de loisirs aquatiques parisien, qui présentait l’énorme avantage d’offrir un site propice aux essais de matériel dans l’eau et aux différentes animations prévues.
C’est alors qu’un beau matin, quelques mois après la fameuse croisière, je reçus un coup de téléphone de Joël qui me dit : «tu sais cette histoire de salon de la plongée, et bien je crois que ça va marcher !» La machine était en route.
Les choses allèrent bon train, les différentes pièces du puzzle se mettaient progressivement en place, on pouvait sentir dans le milieu cette excitation qui précède les grands bouleversements. Plus le temps avançait, plus le futur Salon de la Plongée prenait corps et plus on y croyait. Ce qui ne manqua pas d’attirer certaines convoitises et l’on assista bientôt à une lutte sans merci entre trois camps, chacun défendant un projet concurrent : d’un côté, le Salon Nautique, toujours dans la course bien que de plus en plus sur la touche, ensuite le Salon de la Plongée dont il est question ici et enfin un troisième projet lancé par un certain Manuel Lewin, qui avait flairé la bonne affaire et qui espérait bien court-circuiter tout le monde et rafler la mise, mais dont le projet qui avait choisi comme site, la halle de la Villette à Paris, était tout, sauf sérieux… On a soupçonné alors que le joyeux luron était téléguidé par certaines instances pour faire avorter le projet du Salon de la Plongée, surtout qu’il s’enorgueillissait d’avoir le soutien de quelques hautes sphères fédérales…
Dans les soutiens aux différents candidats, il y avait les « institutions », comme la Fédération Française de plongée, qui restait coûte que coûte fidèle au Salon Nautique, tout en reconnaissant qu’elle se devait quand même d’être présente dans toutes les manifestations visant au développement de la pratique de la plongée… Réponse de Normand !
Chez les gros fabricants, échaudés par les déboires financiers de leur «course à l’échalotte» des années précédentes au Nautique, on ne voulait plus entendre parler de Salon. Ils étaient farouchement contre toute nouvelle initiative. Ainsi chez Scubapro, la responsable alors à la tête de la branche française du fabricant américain, déclarait que si la marque devait participer de nouveau à un salon, ce serait le Salon Nautique parce qu’il y a un public non plongeur… (Plongée Mag, octobre 1998). Même ton chez Aqualung où le responsable de la communication et de l’événementiel, se moquait : «Je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois…» Et d’ajouter : «que ce soit en janvier ou en mars, la date choisie me paraît peu judicieuse…» (toujours Plongée Mag, octobre 1998). Avec le temps, le futé changera d’avis et deviendra un fervent supporter d’Hélène de Tayrac puisque Aqualung, ainsi que les autres fabricants, finiront par venir eux aussi au Salon de la Plongée.
Il y avait aussi des acteurs prépondérants du milieu de la plongée qui avaient d’ores et déjà pris fait et cause pour le Salon de l’Aquaboulevard, comme Daniel Mercier, président du Festival Mondial de l’Image sous-Marine et président du CEDIP, syndicat de moniteurs de plongée ; quelques agences de voyages comme Blue Lagoon, en la personne de sa directrice de l’époque, Catherine Joubert ; l’organisation de plongée PADI par la voix de son représentant pour l’Europe, Philippe Cazenave. Les médias comptaient les points au milieu de tout cela, mais avec des penchants plus ou moins prononcés : si le groupe SOFIMAV (Océans, Plongée Mag, Apnéa, aujourd’hui tous trois disparus), restait relativement sceptique, Plongeurs International penchait du bout de ses palmes, vers l’Aquaboulevard et moi-même, alors à la tête du magazine Octopus, vu mes relations privilégiées avec Joël Delclos, copain de longue date et Hélène de Tayrac, qui forçait l’admiration par son dynamisme, j’étais bien sûr un supporter inconditionnel du Salon de la Plongée de l’Aquaboulevard.
L’avenir allait me donner raison, la tentative concurrente de la Villette ayant très vite capoté et le Nautique, englué dans cette inertie propre à toute grosse machine, n’ayant pas réagi de façon convaincante, le 1er Salon de la Plongée eut bien lieu du 12 au 14 mars 1999 et connut un franc succès avec une centaine d’exposants, 15000 visiteurs en trois jours, 500 baptêmes de plongée dans les bassins de l’Aquaboulevard et 70 initiations aux recycleurs. De grands noms circulaient dans les allées, comme Bret Gilliam, alors président de l’école de plongée Tek américaine TDI, venu spécialement des USA ; le Suisse Olivier Isler, l’un des pionniers de la plongée spéléo en recycleur, qui a été le premier à établir un record en exploration souterraine avec un recycleur qu’il avait fabriqué lui-même ; l’Américain Jim Bowden, qui était alors le recordman mondial de profondeur en plongée autonome et celui qui allait lui succéder à ce titre, Pascal Bernabé ; John Simenon (le fils de l’écrivain), passionné de plongée tek et de recycleur et représentant de TDI pour l’Europe ; Umberto Pelizzari, alors détenteur du record d’apnée no-limit et Loïc Leferme, qui allait lui aussi inscrire son nom au firmament de l’apnée no-limit avant de perdre la vie, emporté pas sa passion, quelques années plus tard, en 2007.
Les deux organisateurs ont même été un peu bousculés par ce succès et ne s’attendaient pas vraiment à une telle affluence : la file d’attente à l’entrée était particulièrement impressionnante (plus d’une centaine de mètres et une longue attente qui en a fait renoncer quelques uns). Le seul point noir fut l’absence très remarquée des fabricants et regrettée par le public. La Fédération quant à elle, était présente mais de façon fort discrète, prétextant son assemblée générale qui avait lieu le même week-end à Versailles…
Au 1er Salon de la Plongée succèdera une seconde édition, au même endroit en mars 2000. Tout le monde attendait cette seconde édition avec impatience. Hélène et Joël avaient encore une fois jeté toutes leurs forces pour la réussite de ce second rendez-vous. Ils ont vite été rassurés devant l’affluence : 16500 entrées, cette fois-ci dans d’excellentes conditions puisqu’il n’y eut quasiment pas d’attente ni de bousculade dans les allées plus larges que l’année précédente : les organisateurs avaient retenu la leçon. Une innovation, née de l’imagination de Joël Delclos : une crèche aquatique qui a rassemblé près de 700 bambins (sur les trois jours) batifolant sous la surveillance d’animateurs ou recevant leur première initiation avec un moniteur, pendant que les parents prenaient leur temps pour visiter les stands. Dans les allées, c’était la satisfaction générale.
Pour la 3e édition du Salon de la Plongée, Hélène de Tayrac et Joël Delclos se trouvèrent devant un dilemme : devant l’affluence toujours grandissante, le périmètre alloué par l’Aquaboulevard atteignait ses limites et il fallait songer à déménager pour trouver un espace plus grand, mais l’opération était risquée car le Salon allait perdre les attraits du complexe aquatique. Hélène de Tayrac fit alors le pari risqué d’installer le Salon au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, à Paris, non loin de l’Aquaboulevard. Ce fut la pomme de discorde entre les deux associés, Joël Delclos quant à lui, restant fermement attaché à l’Aquaboulevard. Le fossé se creusa entre les deux ex-complices, qui se termina bientôt par une séparation dans la douleur. Chacun campait sur sa position et les divergences s’aggravaient. De ces deux forts caractères, aucun ne voulait céder et il fut même question à un moment de repartir sur l’idée de deux salons concurrents…
Pour éviter ce retour en arrière qui risquait d’être fatal à la manifestation si prometteuse et qui pouvait détruire à jamais l’évolution si bien engagée, les principaux exposants décidèrent d’apporter leur point de vue dans le débat et organisèrent une réunion, à l’initiative de Philippe Cazenave (PADI Europe) en l’absence des deux belligérants. Etaient présents à cette réunion de la dernière chance, les supporters de la première heure (voir plus haut) du milieu professionnel, à l’exception des grosses entreprises et des institutions qui ont encore une fois brillé par leur absence en ce moment-clé de l’histoire de la plongée française. Le choix à faire était simple : d’un côté Joël, passionné, entreprenant, débrouillard mais ne possédant aucune structure professionnelle ; de l’autre, Hélène, passionnée et entreprenante elle aussi, mais profitant de sa société de communication et de ses partenaires du milieu de l’événementiel. L’assemblée conclut que, bien qu’étant à l’origine de l’idée, Joël Delclos n’avait pas tous les atouts pour continuer seul, au contraire d’Hélène de Tayrac et de sa société. C’est donc en toute logique qu’il fut décidé à l’unanimité de soutenir cette dernière, avec toutefois un pincement au cœur pour Joël qui allait ainsi perdre son rêve. Mais les affaires sont les affaires…
Le 3e Salon de la Plongée eut lieu du 2 au 4 mars 2001 au Parc des Expositions de Paris, site de toutes les grandes expositions internationales. Ce fut de nouveau un grand succès avec 20000 visiteurs, 268 exposants sur une surface de plus de 5500 mètres carrés, avec entre autres animations, une piscine de 250 mètres carrés. Du jamais vu : même aux plus belles heures du Salon Nautique, on n’avait jamais réussi à rassembler autant de professionnels du monde sous-marin. Du côté des visiteurs, 37 nations représentées ont permis de hisser la Salon de la Plongée à un niveau international. Toujours plus de personnalités dans les allées, notamment des célébrités du milieu télévisuel avec Jacques Pradel, Alexandre Debanne, Alain Bougrain Dubourg, les champions d’apnée Gianluca Genoni, Fred Buyle, la regrettée Audrey Mestre Ferreras, alors recordwoman d’apnée no-limit qui allait malheureusement perdre la vie l’année suivante en 2002, en battant le record mondial masculin à 28 ans. Côté institutionnel, notons la présence pour la première fois des présidents de la FFESSM et de PADI Europe.
Les années se suivent et le succès est toujours au rendez-vous. Lors du 6e Salon en 2004, ce sont 31000 visiteurs qui pousseront les portes pour rendre visite aux 300 exposants, avec la Thaïlande à l’honneur : l’occasion d’admirer des spectacles traditionnels Thaï et de goûter des spécialités aux goûts de voyage… La position du Salon parisien s’est renforcée sur le plan européen, dépassant en nombre de visiteurs les manifestations espagnole ou italienne. Malgré des propositions alléchantes du Nautique, toujours à l’affût et de plus en plus désireux de récupérer ce secteur qu’il avait naguère négligé à tort, Hélène de Tayrac tenait bon et continuait sur la même dynamique : les plongeurs ont leur salon. Quelques professionnels continuaient à fréquenter le Nautique, moins nombreux d’année en année devant le manque de rentabilité d’une manifestation trop longue et trop onéreuse pour le budget des petites entreprises qui composent la majorité du secteur de la plongée.
Le Salon de la Plongée avait enfin trouvé sa place et la suite des rendez-vous l’a confirmé, chaque année depuis maintenant 20 ans, sous le patronage de grandes personnalités et non des moindres, comme le Prince Albert de Monaco, passionné de plongée, venu sans cérémonie pour la 7e édition du Salon en 2005. Cette constante ascension n’a fait que prouver la prépondérance du Salon dans le paysage subaquatique français, ayant su donner aux plongeurs leur propre identité et leur indépendance, ce qui a grandement contribué à faire de notre activité une discipline à part entière, la plongée sous-marine, et non plus une simple activité secondaire du nautisme.
Très intéressante cette relation de la vie du salon de la plongée. Je l’ai découvert seulement en 2005, lors de la présentation de notre livre “Scaphandriers” Hélène nous avait donné l’autorisation et lors de son passage nous en avons offert un exemplaire au Prince Albert. Depuis elle a accepté et largement aidé le Musée Dumas et d’autres associations. Son salon marche très bien, tant mieux et que ça continue, elle le mérite. Et que l’on cesse de nous bassiner avec les femmes à la traîne derrière les hommes. Voilà un bel exemple du contraire.