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Le paquebot en acier à vapeur et voilure auxiliaire Germany était un des fleurons de la flotte de la compagnie anglo-canadienne Allan Mail Line. Construit en 1867 par les chantiers Matthew Pearse & Co à Stockton (Angleterre), il mesurait 104,5 mètres de long pour 13 mètres de large. Il était motorisé avec une machine à vapeur à deux cylindres inversés qui le propulsait à une vitesse de 10 nœuds.
Le 18 décembre 1872. Le Germany appareillait de Liverpool avec à son bord, 127 personnes. Le navire traversait régulièrement l’Atlantique, ralliant Québec depuis Liverpool. Cette fois, c’est à la Nouvelle-Orléans que se rendait le Germany, de Glasgow, après escale à Pauillac, Santander et la Corogne où il devait embarquer de nouveaux passagers et compléter son chargement.
Après quatre jours de navigation, le Germany longeait les côtes de l’île d’Oléron, en route vers l’embouchure de la Gironde. Jean Croizet, 35 ans, pilote à la station de Pauillac, embarqua alors pour effectuer l’entrée dans l’estuaire de la Gironde car la zone est particulièrement dangereuse avec des bancs de sable et des îles qui jalonnent le secteur. Même par beau temps, cette zone est redoutée des marins. Les courants sont violents et déplacent les hauts-fonds. La passe du nord pour entrer dans l’estuaire est connue par tous les capitaines comme étant très difficile, pour les vapeurs comme pour les voiliers. Les conditions idéales pour une catastrophe…
Le Capitaine Trooks, commandant du Germany, écrira plus tard dans son rapport de naufrage : « Le samedi 21 décembre dans l’après-midi, beau temps, vent calme. Remis le commandement du bâtiment entre les mains de mon pilote. Nous nous trouvions alors à 6 milles à l’Est de Rochebonne. Avant la nuit, nous étions en vue de terre. Ayant dit au pilote que je préférerais rester en dehors plutôt que de courir le moindre risque en entrant ainsi la nuit dans les passes de la Gironde, il me répondit qu’il n’y avait absolument rien à craindre ; cependant on ralentit les machines dès notre entrée en rivière. Vers 6 heures, le pilote ayant aperçu à tribord la bouée indiquant le banc de la Coubre, donna immédiatement l’ordre de faire machine en arrière ; au même instant le navire touchait et donnait une forte bande à tribord ».
Le pilote Jean Croizet qui dirigeait la manœuvre d’entrée sur le fleuve, raconte de son côté: «Le feu de Cordouan a disparu soudainement dans la brume pendant que je m’engageais entre la Mauvaise et le Demi-Banc et j’ai cru néanmoins pouvoir continuer ma route sur l’alignement des feux de la Coubre et de la Palmyre. Mais en apercevant à tribord la bouée Ouest du banc de la Coubre, j’ai été effrayé et, en raison de la position critique dans laquelle je me situais, j’ai paniqué et j’ai donné l’ordre de faire machine arrière tribord barre au lieu de faire simplement machine en arrière sans changer la position du gouvernail. Reprenant mes esprits, j’ai commandé peu de temps après bâbord la barre mais le navire s’est aussitôt échoué sans secours sur le banc. »
Il ne fallut alors que quelques instants pour que le pont du navire, qui prenait de la gite, commence à embarquer de gros paquets de mer. A 20h30, le grand mât tombait, suivi peu de temps après par le reste de la mâture, faisant dans leur chute plusieurs victimes. Dans la panique, les embarcations de sauvetage furent mises à l’eau, mais furent aussitôt détruites et renversées avant même de pouvoir embarquer quiconque.
Le 22 décembre 1872, au lever du jour, on découvrait une scène apocalyptique. La position du Germany était désespérée, il était déjà coupé en deux dans sa partie avant par la force des vagues. Le bateau était couché sur le côté et recevait de plein fouet toute la fureur des flots. Les naufragés s’accrochaient tant bien que mal à tout ce qui dépassait de la surface de l’eau, bastingage, cheminée, passerelle, restes de mâture. Le dernier canot de sauvetage encore en état essaie de récupérer quelques personnes. C’est à cet instant que le guetteur du sémaphore de la Coubre découvrit le drame. Il hissa aussitôt les pavillons signalant un naufrage et envoya une alerte par télégraphe. Joseph Tristan, patron d’un bateau de pêche de Groix qui se trouvait non loin des lieux, intervint très rapidement, récupérant les infortunés qui dérivaient dans le canot, puis se glissant à l’abri de l’immense carcasse, put embarquer une grande partie des naufragés. Son acte héroïque permit ainsi de limiter les pertes et d’éviter un massacre. Une baleinière du feu flottant du Grand Banc se porta à son tour sur les lieux du naufrage, ainsi que trois chaloupes du vapeur Mendoza qui sortait juste de l’estuaire à ce moment-là. Une centaine de survivant purent ainsi échapper au funeste destin et furent déposés à La Rochelle par le bateau de Joseph Tristan. On dénombrera 27 victimes.
Alors que de nombreux débris étaient ramenés à la côte dans les jours qui suivirent, le Germany, ou ce qu’il en restait, était toujours battu et submergé par la forte houle et une partie était déjà ensablée, avant même qu’il puisse être tenté une quelconque récupération de sa cargaison. L’épave ne fut jamais renflouée. Elle finit par disparaître de la surface de l’estuaire et repose toujours par 17 mètres de fond, en partie ensablée, tout près de la pointe d’Arvert à Ronce les Bains, à la pointe sud de l’île d’Oléron. Latitude 45° 45’89 N et longitude 01° 21’ 81 W, à 4 nautiques dans le 254 de la balise de la Barre à la sortie du pertuis de Maumusson.
Le rapport des autorités locales apporte des précisions quant aux victimes : « La Tremblade, 24 décembre. C’est le 21 courant que les veilleurs du sémaphore de la Coubre ont vu le paquebot s’échouer. L’Estramadure, qui venait de Bordeaux, a pu recueillir les passagers et l’équipage. La plage a été visitée hier par la population. Jamais elle n’avait vu désastre pareil. Le cadavre d’un enfant de quatre ans a été apporté à terre par les flots, dans la journée. Le Germany avait à bord 98 hommes d’équipage et 29 passagers, en tout 127 personnes. 101 personnes ont été sauvées, 27 ont disparu, et leurs cadavres ne sont pas encore retrouvés. Parmi les personnes disparues se trouvent madame Tarly et ses quatre enfants en bas âge. Le père a été sauvé miraculeusement. MM. Lalague, Four; miss Bayley qui, se trouvant dans le gréement à côté du docteur du bord, a voulu descendre sur le pont et a été enlevée par une vague. Miss Bayley allait rejoindre son fiancé en Amérique; Marie Perrié, âgée de neuf mois, à laquelle ses parents ont survécu, 2 Italiens, 1 Américain; un habitant de Jersey, M. Demerie; 6 hommes d’équipage, 2 mécaniciens, 5 domestiques. Le désastre est arrivé si rapidement que ni la caisse ni les papiers du bord n’ont pu être sauvés. Les habitants de la Rochelle ont rivalisé de zèle et de générosité pour apporter des secours aux naufragés. On a généralement trouvé que le vice consul anglais à Tonnay en Charente s’était peu dérangé pour ses malheureux compatriotes. M. Bossange, agent de la ligne Allan, nous écrit pour nous affirmer qu’aucun passager du Germany n’a péri. Nous renvoyons M. Bossange à la liste nécrologique dressée plus haut par notre correspondant. »
Le Préfet maritime intervint auprès du ministère pour souligner le comportement héroïque du marin Joseph Tristan, qui à lui seul a sauvé près d’une centaine de personnes, dans des conditions effroyables et le propose pour la Légion d’Honneur : « Versailles le 15 février 1873 Notifié par dépêche du 18 février n° 39 Note pour le ministre. Le préfet maritime de Rochefort a adressé au ministre trois états de propositions de récompenses honorifiques établis en faveur des différents sauveteurs de ceux des hommes de l’équipage et des passagers du vapeur anglais le Germany qui ont pu être arrachés à la mort. Ce bâtiment s’est perdu le 21 décembre 1872 sur le banc de la Coubre, dans des circonstances effroyables, qui ont vivement ému l’opinion publique. En présentant ces états à l’approbation de Son Excellence, j’ai l’honneur de lui faire remarquer que M, le contre-amiral Moulac propose pour la croix de chevalier de la Légion d’honneur, l’un des sauveteurs, le sieur Tristan, Joseph, matelot de 2e classe inscrit à Groix, f° 13092, n° 92, patron de la chaloupe de pêche J.T. Ce marin a fait preuve dans cette triste circonstance d’un courage et d’un dévouement au-dessus de tout éloge, et a contribué pour la plus large part au sauvetage des naufragés du Germany qu’il a recueillis à son bord au nombre de cent et conduits à La Rochelle. Je sais combien le ministre apprécie les actes de dévouement tels que celui qui a été accompli par le sieur Tristan, aussi j’ai l’honneur de proposer à Son Excellence de vouloir bien décider que ce brave marin sera inscrit au tableau des candidats à la décoration de la Légion d’honneur. Le commissaire général Directeur des services administratifs Ministère de la Marine et ses colonies. »