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Par Jean de Saint Victor de Saint Blancard

Il est des métiers qui ne souffrent pas l’à-peu-près. Les démineurs-plongeurs de la Sécurité Civile font partie de ces hommes qui savent gérer le double risque de la plongée professionnelle et du maniement d’explosifs. Ceux-ci, vestiges des nombreux conflits qui ont émaillé notre histoire, sont légions, aussi bien sous terre qu’au fond des eaux. Portrait de «spécialistes» dignes des meilleures séries télévisées…

Savez-vous que les mines constituent un fléau mondial ? Partout où un conflit s’est déroulé, des mines sont restées, vestiges de l’affrontement meurtrier des hommes entre eux… Mines terrestres ou fluviales, engins explosifs improvisés, les menaces sont nombreuses, aussi variées que l’imagination mortifère de l’être humain. Difficile pour nous plongeuses et plongeurs au XXIème siècle de se souvenir qu’à l’époque assyrienne une des techniques d’assaut des villes consistait alors à creuser des galeries ou mines sous les murs de la cité fortifiée, galeries longues à creuser et étayées à l’aide de poutres. En y mettant le feu cela pouvait entraîner l’effondrement de la structure et des murs permettant ainsi à l’assiégeant de s’introduire dans la cité environ 669 avant JC ! Avec la poudre noire et des charges placées judicieusement et une explosion maîtrisée un gain de temps considérable permettait de faire écrouler les murs comme pour conquérir Pise par Florence en 1406. L’usage de la mine antipersonnel se généralisa lors de la seconde moitié du 19e siècle avec la guerre de Sécession et les «Bomb Brothers» : Gabriel et Georges Rains. David Bushnell fut un des acteurs de la «bataille des barils», épisode de la guerre navale d’indépendance en mettant au point des barils, sorte de mines navales équipés d’un dispositif à pression les faisant exploser au moindre choc mais une explosion causée par mégarde par deux jeunes donna l’alerte à la flotte britannique ! Robert Fulton poursuivit des recherches sur les mines flottantes : peintre, inventeur et ingénieur américain, on lui doit le concept du sous-marin, la réalisation du premier bateau à vapeur, l’invention de la torpille et de la mine de contact. La première guerre mondiale est aussi une guerre sous-marine intensive avec le torpillage du Lusitania par un U-20 allemand et une parade avec un vaste champ de mines marines déployé entre l’Ecosse et la Norvège pour arrêter les sous-marins d’attaque allemands. Des mines magnétiques et acoustiques sont développées : plus besoin de contact direct pour les faire exploser !

De dangereux souvenirs de la Seconde Guerre mondiale

Avec la seconde guerre mondiale nous changeons d’échelle avec l’utilisation fréquente par les allemands de mines antipersonnel au nom redouté de Schrapnellmine 35 ou S35. Aucune zone de conflit ne fut épargnée par l’utilisation de mines en Europe comme en Afrique et pour notre pays se posait vers la fin de la seconde guerre mondiale un enjeu de dépollution du territoire national avec des engins des obus non explosés. Les mairies participèrent à la lutte anti mines par un balisage systématique des zones dangereuses. La tâche du déminage était immense et le temps pressait pour la reconstruction. Les pertes élevées en vies humaines des «volontaires démineurs» s’expliquaient par un niveau trop sommaire de formation, un manque de connaissances, une absence de rigueur, d’organisation et de minutie. Le génie militaire accaparé par son engagement sur des zones de progression des troupes alliées vers l’Allemagne, une organisation du déminage devenait une priorité d’intérêt national pour Raoul Dautry – Ministre de la Reconstruction en novembre 1944 du gouvernement provisoire de la République Française. Le 21 février 1945, le service du déminage est créé sous sa responsabilité et sera confié pour sa direction à Raymond Aubrac, devenant ainsi premier chef du service de déminage en étant le plus jeune officier de réserve du Génie à s’être porté volontaire… Il y avait des millions de mines à détecter, à neutraliser afin de rendre à leur destination primitive les terrains, les bâtiments et ouvrages militaires, les installations des ports maritimes et fluviaux les propriétés… Déminer exigeait des personnes qualifiées , une main d’œuvre abondante, des travaux de terrassement, un effort considérable de localisation des mines et de déblaiement.

Le 1er octobre 1946, le service de déminage prit totalement en charge la recherche, la mise hors d’état de nuire et la destruction en tous territoires civils des projectiles tirés, lancés ou largués et qui n’auraient pas fonctionné. Avec l’autorisation des Alliés, des prisonniers de guerre furent employés pour aider certains travaux de déminage mais selon les instructions de sécurité seuls les démineurs français formés pouvaient désamorcer ou détruire bombes ou obus. Les travaux de neutralisation des champs de mines connus et répertoriés furent considérés comme terminés fin 1947. Le 13 mars 1964, le service du déminage et du désobusage et du débombage fut subordonné au ministère de l’Intérieur au sein du service national de la protection civile qui deviendra ensuite la direction de la défense et de la sécurité civiles. C’était une section du bureau des plans de secours et dès le 2 septembre 1964, les artificiers de la sécurité civile avaient comme mission de participer à la protection des voyages officiels et des visites de chefs d’Etats.

En 1965, le service du déminage est chargé du repérage de l’enlèvement, de la neutralisation et de la destruction des engins explosifs et des pièges et en 1996 cette mission comprendra l’enlèvement d’engins chimiques de guerre, y compris ceux présents sur les terrains militaires.

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Changement de statut

En 1991 une grande majorité des personnels ont opté pour le statut de policier. Jusqu’en 2004, le recrutement a eu lieu principalement parmi les personnels militaires souhaitant bénéficier de la loi 70-2 qui permet à quinze ans d’ancienneté d’intégrer le corps des officiers de police après une scolarité à l’Ecole Nationale Supérieure d’Officiers de Police. D’anciens «plongeurs-démineurs» de la Marine Nationale pouvaient ainsi devenir «démineurs-plongeurs» de la sécurité civile, passant du statut militaire à celui d’officier de police en assurant des formations subaquatiques pour des démineurs.

Depuis 2004 le corps des artificiers de la police nationale a été intégré au sein du Service de déminage de la DDSC. Tout au long de leur carrière les démineurs de la sécurité civile suivent les différents stages de spécialisation. Niveau 1 : «démineur adjoint» (assiste le démineur .) Niveau 2: «démineur» (traite et élimine la menace .) Niveau 3 : «Chef démineur» (organise les chantiers et traite directement les chantiers délicats.) Niveau 4 : «démineur principal» (le plus haut niveau de technicité au sein de la sécurité civile) Vous l’avez compris : des femmes et des hommes démineurs ont choisi de servir leur pays, leur prochain en exerçant un métier exceptionnel, nécessitant d’immenses qualités, une formation permanente. Chaque «Centre de Déminage» intervient dans sa zone de compétence mais peut être appelé à renforcer d’autres centres.

Nul besoin d’insister sur l’importance du travail accompli chaque année et qui reste à faire lorsque selon des statistiques plus de 10% des munitions des derniers conflits mondiaux n’ont pas explosé et peuvent donc encore tuer ou blesser gravement. Le message explicite «TOUCHE PAS, ÇA TUE !» sur des affiches pédagogiques pour dissuader les imprudents doit être constamment répété pour éviter des drames lors de manipulations. Le 12 septembre 2005, Monsieur Nicolas Sarkozy, ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur et de l’aménagement du territoire, remettait officiellement le drapeau au aux démineurs de la direction de la défense et de la sécurité civiles à l’occasion du 60ème anniversaire du service. Il porte la devise «Réussir ou périr» et il est décoré de la médaille d’or pour actes de courage et de dévouement.

Sécurité Civile et Gestion des Crises

Créée le 7 septembre 2011 à la demande du Président de la République, la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises (DGSCGC) est la structure centrale responsable de la planification, de la gestion des crises et des accidents de la vie courante, qu’ils surviennent en France ou à l’étranger. La DGSCGC est au cœur des situations d’urgence. Depuis sa création en 1945 plus de 600 démineurs de la sécurité civile ont perdu la vie en service. 440 tonnes de munitions de guerre ont été traitées sur la seule année 2004. Au-delà de leur organisme d’appartenance, au-delà de leur statut civil ou militaire, au-delà même de leur nationalité, les démineurs se caractérisent par leur savoir-faire, leur maîtrise d’eux-mêmes, leur modestie. Présenter des images de femmes et d’hommes démineurs est une manière de leur rendre hommage, de témoigner d’un professionnalisme et d’un dévouement sans faille.

Répartis dans 20 centres de déminage, dont 2 outre mer (Guyane et Guadeloupe), les 307 démineurs de la sécurité civile sont chargés de la détection, de l’enlèvement, du désamorçage ou de la destruction des objets suspects. Ils apportent leur concours lors des voyages officiels ou de grandes manifestations populaires et interviennent pour neutraliser et détruire les anciennes munitions des deux derniers conflits mondiaux, encore présentes dans le sol français.

Mais partons à Brest (29) rejoindre dans une enceinte du Port réservé au Service des Phares & Balises des démineurs plongeurs de la sécurité civile à l’occasion d’un stage de travaux subaquatiques. Avec par exemple les demandes d’interventions pour des catastrophes naturelles les Unités d’Interventions de la Sécurité Civile ont besoin parfois de renforts de « démineurs-plongeurs » capables d’utiliser divers outils sous l’eau. Réfléchir à l’organisation d’un chantier de travaux subaquatiques en situation d’urgence cela ne s’improvise pas notamment pour la préparation de tous les outils à mettre en œuvre dans les meilleurs délais tout en pensant de manière constante à la sécurité du chantier, à la logique de son déroulé selon les objectifs assignés par la mission. Réfléchir à la sécurité, préparer tout pour assurer la sécurité d’un chantier : pas besoin de longues explications pour justifier la participation régulière à des stages de travaux subaquatiques pour maîtriser la conduite en sécurité de travaux parfois dans des conditions météo délicates ! J’avoue avoir été impressionné par l’atelier de procédés de découpage «thermique».  La lance thermique ou lance à oxygène est un outil d’oxycoupage utilisé pour forer ou découper les matériaux. Largement utilisée après la Seconde Guerre mondiale en France pour permettre le démantèlement de bunkers et d’infrastructures métalliques, c’est une technique efficace lors d’interventions mais avec obligation de maîtriser les problèmes de sécurité liés à l’utilisation de l’oxygène, la protection difficile de l’opérateur, la toxicité de fumées, la forte énergie dégagée. L’auto combustion de la baguette de magnésium + O2 va générer trois réactions : une «thermique», une «chimique», et une «cinétique». Le stagiaire «démineur-plongeur» et son formateur vont veiller à la non accumulation de bulles d’hydrogène dans une cavité car cela peut provoquer une explosion avec une étincelle ! En faisant des trous, en injectant de l’air, en créant des cheminées d’évacuation des gaz, le risque diminue et le formateur peut intervenir pour corriger un geste, faire contrôler la sécurité de l’amorçage par arc électrique en surveillant la découpe rapide de presque tous les matériaux grâce à une température de fusion supérieure. L’amarrage en toute sécurité des pièces à découper évitera des chutes d’objets lourds et parfois contendants. La communication avec la surface par des signaux clairement interprétés à la manière des scaphandriers, la vigilance permanente du Directeur de Plongée…

Impossible de lister ici tous les détails de sécurité qui sont la condition du bon déroulement d’un chantier réfléchi, organisé, pensé pour garantir la sécurité des stagiaires. Découpage, utilisation de narguilé en passant sur secours et remontée contrôlée, élingage pour un relevage lourd de véhicule avec déplacement dans le courant, désenvaser au moyen de l’hélice d’un scooter, tronçonnage d’une bille de bois solidement amarrée, utilisation de bouée de marque, de parachute de relevage, mise en œuvre d’une motopompe, d’une suceuse, visite sous l’eau avec inspection de coque…

J’ai pu bénéficier en quelques immersions d’un aperçu du savoir-faire indispensable pour réussir une mission de travaux pratiques subaquatiques tout en admirant l’implication des stagiaires très attentifs aux conseils prodigués par ateliers sécurisés : un stagiaire suivi par un formateur. Outre la formation aux travaux subaquatiques les démineurs volontaires pour devenir «démineurs-plongeurs» de la sécurité civile auront pu bénéficier d’une formation sur neuf semaines à Toulon(83) et à Brest(29) : formation initiale, au déminage subaquatique, aux munitions, à la lutte anti-terroriste, aux travaux avec un contrôle continu des connaissances pour préparer et réussir un examen final avant de pouvoir intégrer le groupe «Plongée» existant depuis 1995 grâce au savoir-faire subaquatique de quarante anciens «plongeurs-démineurs» de la Marine Nationale.

Rappelons que le décret N°76-225 du 4 mars 1976 prévoit que la recherche, la neutralisation, l’enlèvement et la destruction des munitions, mines, pièges, engins et explosifs sont de la compétence du Ministre de l’Intérieur, en tout temps, sur le terrain civil. A ce titre l’ensemble des eaux intérieures et l’emprise des ports civils, jusqu’à la limite de leurs zones administratives dépendent du Ministre de l’Intérieur ce qui justifie l’emploi des «démineurs-plongeurs» pour des missions liées aux munitions et protection de voyages officiels ou à caractère spécifique dans un cadre réglementé.

Pendant les derniers Jeux Olympiques de Londres 2012, des équipes de démineurs sont intervenues  pour des opérations de contrôle et de sécurité à titre préventif lors d’embarquements de véhicules dans des ferries dans certains ports en France direction l’Angleterre.

Les démineurs plongeurs peuvent assumer des missions liées aux munitions en chantier organisé et /ou en intervention ponctuelle. Les missions à caractère spécifique sont du domaine de l’expertise, de recherche d’éléments, de récupération, de sauvetage, d’essais de matériels et de techniques nouvelles… Les interventions sur les munitions anciennes sont réalisées pendant les heures ouvrables sauf en cas d’urgence mettant en danger la sécurité des populations mais bien entendu les interventions sur objets suspects sont effectuées par les Centres qui assurent une astreinte 24 heures sur 24. Si nécessaire un hélicoptère de la Sécurité Civile est mis à disposition de l’équipe engagée. Rappelons que 90% des missions concernent le «désobusage-débombage». La formation «démineur-plongeur» est adaptée pour les besoins spécifiques en déminage subaquatique par des «scaphandriers-professionnels» qui peuvent intervenir sous l’eau comme des «ouvriers de la mer» pour reprendre l’expression d’un démineur-plongeur formateur à Brest (29).

La prise de vue subaquatique a un rôle dans le déminage dans le cadre de certaines missions. Complément d’informations utiles pour l’organisation du travail à effectuer, certaines prises de vues seront exploitées pour des rapports officiels, des échanges d’informations. Figer l’avant et l’après d’un travail technique sur un chantier peut être instructif et pédagogique pour compléter les archives des missions effectuées. Image «parlante» donc très utile lorsqu’elle est décryptée par les démineurs-plongeurs sur des travaux délicats sur des chantiers importants. Pour conclure souvenons-nous que le risque zéro n’existe pas pour les démineurs ! Le danger fait partie de leur quotidien. C’est un corps d’élite qui travaille quotidiennement dans l’ombre de la mort. Winston Churchill n’écrivait-il pas à propos de démineurs anglais en septembre 1944 : «En un millionième de seconde, ils sont projetés dans l’éternité et ne connaissent pas de demeure dernière. Ils ont des tombes mais pas de cadavres, c’est une race d’êtres à part…». Merci à « Plongée OCTOPUS » de m’avoir permis de rendre hommage à celles et à ceux qui exercent ce métier parfois… «palmes aux pieds».

Remerciements

Monsieur Manuel  VALLS – ancien Ministre de l’Intérieur – Monsieur Claude GUEANT – Ancien Ministre – Le porte-parolat au ministère de l’Intérieur pour la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises – DGSCGC – Le Lieutenant-colonel Florent HIVERT – Monsieur Patrice FAURE – DGSCGC – (Sous-Direction des Moyens Nationaux à la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des Crises) Madame Sylvaine ASTIC – DGSCGC –  Monsieur Serge GONZALEZ -Chef du Bureau du Service du Déminage – DGSCGC – Messieurs Philippe JAMIN – Chef du CD BREST (29), son adjoint Sylvère DAMOUR ,Guy GEAY – Responsable Formation Plongée, Référent Plongée- Chef du CD TOULON (83) ,Responsable du stage « Travaux Subaquatiques Brest 2012 », tous les formateurs rencontrés à Brest (29), Michel SZTUKA ,Gilles SOREAU, Thierry GRANDJAN, Patrice RITOUET, Daniel DESALONS, sans oublier les stagiaires en travaux subaquatiques croisés sous l’eau comme « au sec » avec une météo délicate à gérer… Avec ces remerciements, souhaitons le meilleur aux 307 démineurs de la sécurité civile dont les soixante démineurs-plongeurs de la sécurité civile pour mener à bien leurs missions en métropole, corse et outre-mer…

A lire…

Le magnifique ouvrage « DEMINEURS » de Patrice Ventura – Photographies « Collectif » Mission Spéciale Productions avec un dvd vidéo inclus « Mémento & Mission Spéciale Production » – www.missionspeciale.com

Sites internet à voir

http://www.interieur.gouv.fr/sections/espace-presse/porte-parolat www.deminex.net/liens www.direction-securite-civile.fr www.ocdpc.com  (Site de l’Observatoire Citoyen de Défense et de Protection Civiles … « Archives »… « InfosOCDPC »… « Liens ») http://www.hamap.org  (Site de l’ONG HAMAP – L’audace de l’engagement humanitaire dans tous les coins du monde – qui a une branche « DEMINAGE » )

 

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