Chaque jour, une épave : 17 juin 1940, le Lancastria, catastrophe classée “Secret”

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Chaque jour, découvrez dans www.plongee-infos.com l’histoire d’une épave, coulée à la même date par le passé, quelque part près des côtes françaises ou ailleurs dans le monde, déjà explorée… ou pas ! Vous retrouverez ainsi quotidiennement un nouveau site, pour vous confectionner une collection passionnante pour vos futures plongées ou simplement pour explorer… l’Histoire!

Il est des naufrages qui ont été de grandes tragédies, mais qui sont passés quasiment inaperçus, bien qu’ils aient causé la mort d’un très grand nombre de personnes. C’est le cas du paquebot Lancastria, coulé par l’aviation allemande le 17 juin 1940 devant l’estuaire de la Loire qui, malgré ses plus de 5000 morts, 3 à 4  fois plus que le Titanic, n’eut pas la notoriété de celui-ci…

Le paquebot Lancastria

Le Lancastria est né en 1922 sous le nom de Tyrrhenia, dans les chantiers Beardmore & Co, de Glasgow en Ecosse, pour le compte de la compagnie Anchor Line, située elle aussi à Glasgow. C’était un paquebot en acier de 16243 tonnes, de 176 mètres de long sur 21 mètres de large et 11 mètres de tirant d’eau. Ses 6 turbines à vapeur de 2527 cv alimentées par 3 chaudières doubles et 3 chaudières simples entraînaient deux hélices pour atteindre la vitesse de 16,5 nœuds. Pour cette compagnie, le Tyrrhenia assura la ligne vers New York.

En 1924, le paquebot est devenu la propriété de la compagnie Cunard Steamship / White Star Line, de Liverpool et a été rebaptisé Lancastria. A partir de 1930, il fut utilisé comme navire de croisières entre l’Angleterre et la Méditerranée, ainsi que dans les fjords de Norvège.

En 1940, le Lancastria a été réquisitionné par la Royal Navy, pour être transformé en navire de transport de troupes.

Le 12 juin 1940, le front n’a pas résisté aux les troupes allemandes, malgré sa réputation d’invincibilité. Après avoir envahi tout le nord de la France et notamment les côtes de la Manche pour couper tout ravitaillement de ce côté, les troupes allemandes se rapprochaient de la côte atlantique. L’évacuation du port de Dunkerque venait d’avoir lieu deux semaines auparavant dans des conditions catastrophiques, Saint-Valery-en-Caux et Le Havre venaient de tomber dans les jours précédents.

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À partir du 15 juin 1940, près de 40 000 soldats britanniques ont reflué vers le port de Saint-Nazaire pour tenter de regagner la Grande-Bretagne. Ils étaient une partie des 136 000 officiers et soldats du Corps Expéditionnaire Britannique, que l’on tentait de rapatrier depuis des ports français devant l’irrésistible avancée allemande. Pour exécuter cette mission, surnommée Opération Ariel, de nombreux navires ont été envoyés vers la France avec pour mission d’embarquer le maximum de personnes, soldats et même civils.

Dans la nuit du 14 juin 1940, le Lancastria quitta le port de Liverpool pour une destination tenue secrète. Il fit escale à Plymouth le 15 juin, puis se dirigea vers Brest, la baie de Quiberon et enfin l’embouchure de la Loire près de Saint-Nazaire. Le Lancastria était officiellement engagé dans l’opération d’évacuation Ariel. Près de 80 bâtiments de commerce avaient été réquisitionnés et attendaient en rade de Saint-Nazaire.

Le 17 juin 1940, vers 6h00 du matin, le Lancastria jeta l’ancre à 4 km du port pour réduire les risques d’être pris pour cible par des attaques aériennes ou depuis la côte. Les troupes allemandes étaient alors à 40 km de Saint-Nazaire. L’embarquement des passagers se ferait donc par des navires qui feraient le va-et-vient entre le port et le mouillage du paquebot.

Lors de l’évacuation de Saint-Nazaire, le Lancastria était surchargé, chaque recoin était occupé

La capacité normale du paquebot était de 2200 personnes, mais son capitaine, Rudolf Sharpe, reçut l’ordre des officiers de la Royal Navy d’embarquer autant de passagers que possible, sans tenir compte des limites règlementaires, ni même des simples mesures de sécurité. Dans la précipitation de la débâcle qui régnait alors face à la Blitzkrieg (guerre éclair), les quais du port de Saint-Nazaire étaient remplis et c’est environ 9 000 soldats et civils qui montèrent à bord d’après les notes des officiers britanniques, sans avoir de compte exact. Les premières navettes arrivèrent au Lancastria dès 7h du matin. L’embarquement terminé, les soldats du Corps expéditionnaire britannique et autres réfugiés étaient tassés au point de ne plus pouvoir se déplacer sur les ponts du navire. Même les canots de sauvetage étaient occupés ainsi que les coursives, les entreponts et même les cales.

Le bombardement du Lancastria a été mené par des avions allemands Junkers 88

Comme il est le plus gros navire de la flotte, le Lancastria représentait une cible idéale pour les bombardiers de la Luftwaffe. Alors qu’il s’apprêtait à quitter l’estuaire de la Loire, peu avant 16h00 une escadrille de bombardiers allemands Junkers Ju 88 apparut à l’horizon et passa aussitôt à l’attaque. Les avions arrivaient au ras de l’eau et larguèrent des bombes de 500 kg sur le navire, à différents endroits de celui-ci : la première explosa dans la cale N°2 au milieu de 800 hommes de la RAF ; la deuxième éventra la cale N°3 qui contenait 1500 tonnes de fioul ; la troisième tomba dans la cheminée et explosa juste sur la machine et la quatrième explosa dans la cale N°4. Le fioul libéré de la cale N°3 se répandit dans la mer et forma bientôt une immense couche visqueuse et irrespirable à la surface, dans laquelle de nombreux hommes qui sautaient à l’eau se retrouvèrent piégés, englués, étouffés, asphyxiés, noyés dans des conditions horribles.

Le Lancastria mit seulement une vingtaine de minutes à sombrer

Ceux qui avaient échappé aux explosions s’agrippaient à tout se qu’ils trouvaient et tentaient de rester le plus longtemps possible sur la coque du paquebot. Puis une nouvelle vague de bombardiers survint, cette fois des Heinkel He 1115 qui lancèrent une salve de bombes incendiaires pour enflammer le fioul qui s’était répandu autour du navire en perdition, comptant enflammer l’ensemble. Heureusement, les bombes incendiaires, lancées trop bas, n’eurent pas le temps de s’amorcer et ne se déclenchèrent pas.

De nombreux rescapés s’accrochaient à la coque, jusqu’à ce qu’elle sombre définitivement

En une vingtaine de minutes seulement, le Lancastria chavira sur bâbord et coula en projetant à la mer les derniers rescapés qui se maintenaient encore sur sa coque.

Officiellement, le naufrage a fait entre 4000 et 6000 victimes (en absence de compte précis des passagers embarqués, il est impossible de fournir un bilan précis, cette estimation est faite en rapport aux témoignages des officiers de la Royal Navy), ce qui place cette catastrophe en 5e ou 6e place sur la liste des naufrages les plus meurtriers de l’histoire maritime moderne.

Les rescapés repêchés par les escorteurs. Certains ont perdu jusqu’à leurs vêtements

Les 2 477 survivants du naufrage du Lancastria, dans lesquels on trouvait son capitaine Rudolf Sharpe, ont été pris en charge par des escorteurs, des bateaux pilotes et des chalutiers qui sont intervenus immédiatement. Le capitaine Rudolf Sharpe a plus tard perdu la vie dans le naufrage du nouveau navire qu’il commandait, le paquebot Laconia, torpillé le 12 septembre 1942.

De nombreuses victimes du naufrage ont été inhumées au cimetière militaire international de Pornichet, près de Saint-Nazaire.

À la suite du naufrage, Churchill imposa le secret sur la nouvelle du désastre, afin de ne pas démoraliser davantage les citoyens britanniques. L’information du naufrage ne commencera à fuiter que cinq semaines plus tard.

Au cimetière militaire de Pornichet, des tombes ne portent pas de nom, de nombreuses victimes du naufrage n’ayant pu être identifiées

Churchill ne décrira ce naufrage que dans ses mémoires, en avançant un chiffre de 4 000 victimes. Si l’on peut comprendre l’intention du Premier Ministre anglais de ne pas démoraliser sa population avec l’annonce d’une telle catastrophe, on comprend déjà moins pourquoi il a décidé de placer un embargo de 100 ans sur tous les documents ayant un lien avec le naufrage. Et même si, en 2015, soit 75 ans après les faits, le Parlement anglais a enfin célébré officiellement l’anniversaire de la catastrophe, il n’empêche qu’en vertu de la loi sur les secrets officiels, le rapport sur le naufrage du Lancastria ne peut être publié avant 2040… Pourquoi ?

Un autre fait étonnant s’est produit en juin 2005, lorsqu’une centaine de personnes, d’une association britannique rassemblant des familles des victimes, se sont réunies pour commémorer l’anniversaire de la perte de leurs proches et se recueillir sur leurs tombes au cimetière militaire de Pornichet, elles ont eu la surprise de découvrir, au pied des tombes, la cloche du Lancastria, qui avait été déposée là par un anonyme qui a laissé un mot expliquant l´avoir remontée de l´épave il y a trente ans…

Aujourd’hui, l’épave du Lancastria dort toujours dans l’estuaire de la Loire en face de la pointe Saint-Gildas, par 26 mètres de fond, aux coordonnées : latitude 47° 08’ 989 N et longitude 2° 20’ 417 W. Le site est désormais sanctuarisé en tant que sépulture de guerre et un arrêté de la Préfecture Maritime interdit la plongée de loisir sur l’épave. Seules quelques interventions à vocation scientifique, historique ou informatives, peuvent y être menées sur autorisation, comme ce fut le cas pour la vidéo ci-dessous tournée par Jacques Lelay pour un reportage télévisé :

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