Par Philippe ROUSSEAU (texte et illustrations)
L’histoire du scaphandrier qui sauva une cathédrale… Pas banal ! Philippe Rousseau a exhumé de ses archives cette histoire extraordinaire de William Walker, ce scaphandrier qui pendant 5 ans et demi, a travaillé à consolider les fondations immergées de l’une des cathédrales les plus prestigieuses de Grande Bretagne…
WINCHESTER est la ville principale du comté de Hampshire, au Sud de l’Angleterre. Elle compte environ 42.000 habitants. Sa cathédrale est l’une des plus connues en Grande-Bretagne, d’architecture gothique anglo-normande, avec la plus longue nef des cathédrales d’Europe. La partie la plus ancienne de la cathédrale de WINCHESTER est l’arrière-chœur situé à l’Est du bâtiment qui a été construite par les Anglo-Normands en 1079. Par la suite, la cathédrale a été agrandie au 13ème siècle à sa taille actuelle.
Notre histoire débuta en 1905, le jour où John B. COLSON, l’intendant de la cathédrale, constata que de larges fissures étaient apparues sur cette partie la plus ancienne. Les fissures dans les murs porteurs descendaient jusqu’à leur partie inférieure et des chutes de pierres s’étaient déjà produites à l’intérieur de l’édifice. Le mur porteur extérieur s’était fortement déplacé du fait de tassements différentiels. COLSON en informa rapidement Thomas Graham JACKSON, architecte en chef pour les bâtiments du diocèse. Devant l’ampleur de ces fissures, ils consultèrent Francis FOX, ingénieur réputé en travaux publics. En juin 1905, une première réunion de travail fut organisée avec COLSON, JACKSON et FOX.
Une cathédrale construite sur l’eau
Que s’était-il passé ? La cathédrale avait été construite près d’un millénaire plus tôt sur une tourbière. La nature du sol avait imposé de battre de gros pieux en chêne couronnés par un platelage de madriers, servant d’assise aux murs de pierres. Ces éléments en bois (pieux et platelage) étaient à l’origine totalement immergés dans la tourbe, leur assurant ainsi un taux d’humidité permanent. Le niveau de la nappe phréatique s’étant certainement abaissé plusieurs fois, les parties non immergées s’étaient dégradées. Ces éléments en chêne n’assurant plus intégralement la portance du bâtiment, la tourbe avait été comprimée, créant les affaissements.
Une tranchée d’évaluation du sinistre fut creusée. Ils découvrirent d’abord un mélange de terres différentes, puis une couche de tourbe fortement comprimée. Puis, en-dessous de celle-ci, une importante quantité d’eau allait avec la pression inonder rapidement la tranchée d’affouillement. A environ 5,50 mètres de profondeur, ils découvrirent une épaisse couche de graviers sur lesquels il serait possible de créer une assise et de stabiliser le bâtiment.
Dans l’urgence, il allait être nécessaire d’étayer les murs afin d’éviter qu’ils continuent à s’écarter plus qu’ils ne l’étaient déjà. Les murs furent stabilisés avec des tirants et du mortier de clavetage fut coulé. Mais il fut également indispensable de réaliser une reprise en sous-œuvre des murs périphériques. Pour chaque tranchée creusée, il fallut pomper l’eau puis injecter un mortier relativement liquide, avant que l’eau ne le submerge à nouveau. Il apparut vite nécessaire de creuser en-dessous de toutes les assises existantes et de venir s’appuyer sur la couche de graviers. Le modernisme de l’époque permettait de mettre en œuvre une pompe entrainée par un moteur à vapeur. La solution fut le creusement de plus petites tranchées perpendiculaires et profondes pour passer sous les murs porteurs. Ils découvrirent ainsi que les murs reposaient également sur un platelage de madriers de chêne datant de la construction initiale, placés horizontalement.
Le chantier fut rendu particulièrement compliqué par la présence constante d’eau, provenant de la rivière « Itchen » passant à proximité immédiate. Le projet initial était de réaliser les travaux en pompant continuellement l’eau grâce à la puissante pompe. Mais l’eau revenait avec une telle vitesse pour ré-inonder les tranchées que cela devint le problème majeur et le chantier n’avança que très lentement.
Un scaphandrier pour sauver la cathédrale
Dès mars 1906, FOX proposa judicieusement d’utiliser un scaphandrier pour réaliser les travaux immergés, car lui-même avait suivi dans le passé une formation de scaphandrier par la société anglaise SIEBE-GORMAN. FOX demanda donc une équipe auprès de la société SIEBE-GORMAN. Celle-ci arriva sur place le samedi 6 avril 1906, composée du chef-plongeur William WALKER (né en 1869), du plongeur Edwin Albert RAYFIELD, de leur assistant William WEST et des équipements de scaphandriers lourds expédiés par le train depuis LONDRES jusqu’à WINCHESTER. Dans le contrat initial, la société SIEBE-GORMAN facturait 3 Livres par jour pour le scaphandrier, l’assistant et l’ensemble du matériel, plus les frais d’hébergement sur place et le prix des billets de retour par le train jusqu’à LONDRES en 3ème classe.
La configuration du site et l’étroitesse des tranchées d’affouillement faisaient qu’il n’était possible d’utiliser qu’un seul des deux scaphandriers à la fois. Ils se rendirent donc compte rapidement qu’il n’y avait pas besoin de disposer en permanence de deux scaphandriers sur place, mais qu’un seul suffisait. Ils planifièrent donc que RAYFIELD serait le scaphandrier durant la 1ère partie de la semaine (lundi, mardi et mercredi) et que WALKER le serait pour la 2ème partie (jeudi, vendredi et samedi), le dimanche étant le jour de repos.
Faire travailler ainsi des scaphandriers sous les murs porteurs d’une cathédrale était un évènement totalement inédit jusqu’alors, dont la presse de l’époque se fit régulièrement l’écho. Tout l’équipement de plongée provenait du stock destiné à la location par la société SIEBE-GORMAN qui l’avait également fabriqué (pompe à bras 2 cylindres et à 1 volant pour l’air comprimé respirable, tuyaux, casque 12 boulons à tube acoustique et tout nouveau casque 6 boulons « Admiralty-Pattern » créé l’année précédente en 1905, vêtements « peaux-de-boucs », chaussures, plombs de lestage, etc…). Tout le monde avait estimé que ce chantier subaquatique allait durer environ de 10 mois à 1 an maximum. Il n’en fut rien et la presse britannique en parla presque chaque semaine.
Un travail titanesque pour un seul homme
Le travail consistait à aller placer des sacs de toile de chanvre remplis de mortier et posés par rangées superposées en s’entrecroisant. Les tranchées devaient être suffisamment espacées pour assurer la stabilité temporaire de l’édifice et éviter qu’il ne s’écroule, avant d’en recreuser d’autres entre ces dernières dans les espaces non encore consolidés. La tourbe était également retirée par le scaphandrier, seau après seau, puis remplacée par les sacs en toile contenant le mortier. Le scaphandrier travaillait chaque jour 3 heures et demi le matin, il avait une courte pose pour le déjeuner, puis travaillait à nouveau 3 heures et demi l’après-midi. WALKER, qui était hébergé à proximité de la cathédrale, pouvait arriver le matin déjà revêtu de ses sous-vêtements en laine épaisse.
Parmi les archives du chantier, il fut écrit que WALKER réalisait un travail plus rapide et plus efficace que son collègue RAYFIELD qui avait moins d’expérience du travail en immersion. A partir de 1907, il fut décidé que seul WALKER continuerait le chantier comme unique scaphandrier. La tourbe compressée était si dure qu’il fallait la casser avec une petite pioche à manche court et un burin. Il y avait le risque que tout s’écroule en ensevelissant le scaphandrier au travail.
WALKER avait noté dans son agenda personnel que quand il descendait pour la première fois le matin, avant que ses chaussures ne touchent le fond, il pouvait voir sur toute la longueur de la tranchée. Dès que ses chaussures touchaient le fond, l’eau devenait totalement noire. Une lampe sous-marine fut essayée, sans succès, le scaphandrier devant travailler uniquement à tâtons. WALKER ne déjeunait pas durant sa pause de la mi-journée. Il fumait une pipe de tabac avant de redescendre sous la cathédrale. En raison de la possible proximité de tombes et que l’eau puisse y être infectée, les responsables du chantier craignaient que si le scaphandrier se blessait ses plaies ne soient contaminées. WALKER leur répondait imperturbablement que le tabac qu’il fumait était le meilleur antiseptique.
Comme il était un ancien scaphandrier, Francis FOX descendait périodiquement pour inspecter le travail réalisé par WALKER. Dans plusieurs de ses rapports, il confirma que le travail effectué par les scaphandriers était réellement exceptionnel. Plus le travail progressait et plus ils constataient qu’il fallait placer d’épaisseur de sacs de mortier. Un jour, alors qu’il travaillait sous un mur en angle, WALKER se rendit compte qu’il ne pourrait pas finir de l’étayer ce jour-là. Alors il proposa de continuer à travailler cette nuit-là, malgré les 7 heures d’immersion qu’il avait réalisées dans sa journée. Quand il eût fini, il n’avait pas posé moins de 420 sacs de mortier depuis la matinée précédente. WALKER ne ménageait pas ses efforts et FOX le savait. Quand WALKER demandait quelque chose, FOX l’acceptait systématiquement.
Travail sans visibilité
En progressant, ils découvrirent sous les anciennes assises quasi-millénaires non seulement des madriers placés horizontalement, mais aussi des pieux placés verticalement. Les constructeurs Normands de la cathédrale avaient installé une forêt de pieux dans la tourbière pour ensuite appuyer dessus le platelage. Les problèmes apparurent 950 ans plus tard… Ces innombrables pieux furent donc découpés sous l’eau et extraits, un par un et par morceaux d’environ 40 à 60 centimètres de diamètre, à la scie à main par le scaphandrier dans une eau sans aucune visibilité. La partie périphérique des pieux s’était dégradée avec le temps (et les baisses de niveau de l’eau), mais la partie centrale du bois apparaissait aussi solide que presque 10 siècles auparavant. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle la cathédrale ne s’était pas enfoncée et fissurée plus tôt. Ces travaux de creusement sous l’eau firent également découvrir des tuiles et carrelages de l’époque romaine, des boulets de canon ainsi que des ossements humains.
L’un des problèmes majeurs du chantier fût son coût. De l’estimation initiale à 30.000 Livres, ce chantier finira par coûter 112.000 Livres. Les pieux millénaires retirés servirent à sculpter des petits objets-souvenirs vendus aux visiteurs et aux touristes de l’époque. Lorsqu’ils passèrent à la consolidation de la face Nord, la situation se compliqua : la profondeur de l’eau passa de 4,50 mètres à 8 mètres, ce qui impliquait beaucoup plus d’épaisseur de sacs de mortier pour réaliser le même soutien.
En 1908, les finances étaient au plus bas. Une question se posa : était-il possible de continuer et d’achever les travaux ? Les responsables du chantier étaient conscients que la partie la plus critique et importante du travail était réalisée par le scaphandrier. Dans leurs archives, ils firent plusieurs allusions au fait que si William WALKER devait partir pour un autre travail ordonné par la société SIEBE-GORMAN qui l’employait, il serait probable qu’il ne pourrait pas revenir et que le chantier serait interrompu, voire inachevé.
Un chantier de 5 ans et demi
WALKER essayait de rentrer chez lui à LONDRES tous les samedis soirs afin de voir sa femme et ses enfants et de récupérer du linge propre. Il envoyait un télégramme le matin afin d’indiquer par quel train il arriverait et que ses enfants puissent venir le retrouver à la gare. A cette époque, il avait 6 enfants et sa femme était enceinte du septième. WALKER et WEST faisaient régulièrement du vélo ensemble durant leur peu de temps libre. Quand WEST termina ce travail, il se maria et vécu à WINCHESTER tout le restant de sa vie. Il ouvrit une poissonnerie dans la rue principale et il s’en occupa jusqu’à sa retraite.
Après 5 ans et demi de ces travaux immergés, la dernière plongée fut réalisée le vendredi 8 septembre 1911. WALKER rangea et emballa tout l’équipement, puis rentra à LONDRES par le train. Il avait fallu creuser au total 235 tranchées d’affouillements. Lors des travaux en plongée, les scaphandriers avaient placé à la main pas moins de 25.800 sacs de mortier, 115.000 blocs de béton et 900.000 briques, étant deux lors de la première année et WALKER tout seul par la suite.
Le 15 juillet 1912, le Roi GEORGE V et la Reine MARY vinrent voir l’achèvement des travaux. Le travail exceptionnel réalisé par William WALKER fut évoqué lors de l’allocution de l’Archevêque de CANTERBURY et lors de celle du Roi, à qui il fut présenté et qui lui posa des questions sur ce travail hors-normes. Par la suite, WALKER poursuivit sa carrière de scaphandrier par d’autres travaux et chantiers. Quelques semaines plus tard, il reçut par l’intermédiaire de la société qui l’employait une lettre officielle l’invitant à se rendre à Buckingham Palace le 19 décembre où il reçut la médaille du « Royal Victorian Order ». Quant aux deux concepteurs de l’opération, Francis FOX fut fait Chevalier de l’Empire britannique et JACKSON fut fait Baron lors des distinctions honorifiques de la nouvelle année.
WALKER attrapa la grippe espagnole en 1918 et mourut de pneumonie 3 ou 4 jours plus tard. Il fut inhumé au cimetière de BECKENHAM, près de LONDRES. Un buste en bronze le représentant et lui rendant hommage a été installé depuis une vingtaine d’années à quelques dizaines de mètres de la cathédrale. Si vous allez aujourd’hui à WINCHESTER, vous ne pourrez pas manquer un pub situé au « 43 The Square » qui a été dénommé « The William Walker ». L’état de la cathédrale est toujours étroitement surveillé tous les ans, notamment avec des marquages-témoins, mais elle n’a pas bougé depuis les travaux de consolidation réalisés en partie par les mains de William WALKER, le scaphandrier qui sauva la cathédrale de WINCHESTER grâce à ses deux mains.
Philippe ROUSSEAU
(avec la relecture attentive de mon vieux complice et confrère expert judiciaire Georges GRAVOT, architecte, plongeur professionnel, expert près les Tribunaux en bâtiments et structures immergés)
Un immense bravo à ces hommes au courage extraordinaire !!!! Pour sauver un édifice de cette importance !!! … Et le soit disant ” bon dieu ” est une belle merde de l’avoir récompensé en le laissant mourir pour son dévouement !!!!!