Reportage Paul Poivert
Au fond du lac de Vouglans dans le Jura, dort la mythique Chartreuse de Vaucluse, un monastère extraordinaire noyé par un barrage EDF. Une plongée qui se mérite, puisque les bâtiments, sur la rive de l’ancienne rivière, dorment dans la froide obscurité entre 55 et 90 mètres de fond.
Vous connaissez le lac de Vouglans ? C’est un immense lac qui s’étend à la place de ce qui fut autrefois la rivière de l’Ain. Sa particularité, c’est l’immense barrage d’EDF qui barre la vallée encaissée entre deux hautes collines. Là, en amont du barrage, s’accumulent quelque 600 millions de mètres-cube d’eau… Depuis 1968, plus de 1600 hectares de la vallée de l’Ain se sont retrouvés noyés, sur près de 32 kilomètres. Et quelque part sous ces millions de mètres-cube d’eau, dort un monastère !
La Chartreuse de Vaucluse (du latin Vallis Clausa : vallée fermée) a été construite en 1139. Composée d’un ensemble de bâtiments qui s’étendaient sur un espace très vaste sur le bord de la rivière, elle a toujours été considérée comme le joyau de la vallée. On y voyait une église, un cloître, des cellules de chartreux, une hostellerie, une superbe porte, une maison des convers, une chapelle, la maison du prieur, des bâtiments communautaires, trois terrasses, une serre. Le monastère, l’un des plus importants de la région, a été habité par les moines jusqu’à la Révolution. Puis il fut vendu et passa dans différentes mains, jusqu’à cette année 1968 où l’eau commença à monter dans la vallée…
Aujourd’hui, abandonnée à son sort, la Chartreuse a disparu sous les eaux. Elle dort maintenant à une profondeur qui varie entre 55 et 90 mètres.
Lors de la mise en eau de la vallée, EDF a fait enlever tout ce qui pouvait causer des problèmes au fonctionnement des turbines du barrage. Les rives de la rivière ont été déboisées ainsi que les flancs des collines avoisinantes et les villages furent détruits. La Chartreuse, ultime témoin du passé de cette région, qui n’avait jamais été classée monument historique, a connu un sort plus clément. Par respect pour son grand âge et son histoire, on a décidé de l’épargner et de l’engloutir au plus profond du lac, comme un joyau que l’on déposerait dans son écrin. Seul son toit a été enlevé ainsi que ses charpentes et toutes les boiseries susceptibles d’être emportées par le courant. Le grand portail d’entrée, flanqué de ses deux pavillons, a été démonté puis remonté pierre par pierre, à l’identique, sur le haut de la colline, au-dessus du niveau de l’eau, près de ce qui est aujourd’hui la rive du lac. C’est le dernier indice de la présence de cette antique construction.
Une plongée difficile
Plonger sur la Chartreuse n’est pas chose facile. En période estivale, alors que le niveau du lac est au plus haut, le sommet des murs est à environ 55m de profondeur. Le monastère étant bâti à flanc de colline, les bâtiments s’étagent successivement jusqu’à 90m de profondeur : la cour centrale se trouve à 60m ; le bas du deuxième bâtiment s’appuie sur une terrasse à 65m ; par une porte voûtée on descend vers une deuxième terrasse à 75m, laquelle est posée sur une forêt d’arches de pierre à plus de 85m de profondeur. En aval de ces premiers bâtiments, se dressent encore les restes de l’ancienne église et du cloître, où s’ouvrent les gueules béantes des caves voûtées, encore intactes. En descendant, on arrive sur une autre terrasse posée à 80m, à mi-hauteur de la forêt d’arches. Enfin, le fond de la rivière est atteint à près de 90m de la surface.
La profondeur importante de ce site limite forcément toute tentative de visite du monastère. Mais ce n’est pas la seule difficulté : l’eau étant relativement turbide près de la surface, la lumière du jour ne dépasse pas quelques mètres de profondeur dans l’eau glauque. Au fond du lac, les bâtiments dorment dans une totale obscurité. De plus, il ne faut pas oublier que le lac de Vouglans se trouve dans le Jura, à 450m d’altitude : la température de l’eau dépasse rarement 10°C en surface, alors qu’elle reste toujours à 3°C ou 4°C au fond.
La plongée doit se préparer minutieusement, en prenant les renseignements auprès de quelqu’un qui connaît bien le site. La profondeur rendant très risquée toute plongée à l’air, les plongeurs doivent s’équiper lourdement : en circuit ouvert, la configuration la plus adaptée comporte un ensemble bi-bouteilles comportant un Trimix moyen (pour la réalisation de ce reportage, nous avons utilisé un trimix 18/55/27). Sur la partie avant du harnais viennent deux bouteilles de « travel mix » de type Nitrox 50 ou 60 pour l’arrivée à faible profondeur et les paliers. Les plus prudents laisseront sur la ligne de décompression, entre 9 et 6m, une bouteille d’oxygène pour optimiser la fin de la décompression… Dans une eau aussi froide, l’utilisation d’une combinaison étanche est de rigueur, éventuellement équipée d’un système de chauffage individuel du genre de ceux qui sont utilisés dans les longues plongées souterraines.
Les possesseurs de recycleurs bénéficieront quant à eux d’une configuration guère moins lourde, puisqu’ils doivent malgré tout emmener des bouteilles de sécurité.
La descente sur le monastère s’effectue le long d’un filin, terminé par une chaîne qui est fixée sur le haut du premier bâtiment, à 55m de profondeur. Là, l’obscurité et les particules en suspension en grande quantité rendent l’orientation particulièrement difficile, par très faible visibilité, de sorte qu’après avoir suivi les murs qui tournent et s’entrecroisent, il devient quasiment impossible de retrouver le point de départ. Si l’on ne souhaite pas être forcé d’effectuer une remontée en pleine eau (sans visibilité, rappelons-le), il est préférable de dérouler un fil d’Ariane, ce qui réconforte grandement les plongeurs…
La découverte de ces bâtiments chargés d’histoire donne l’impression que le monastère possède encore une âme et qu’il consent à laisser approcher les plongeurs, comme un vieil ermite dérangé dans sa méditation… Ces murs finement travaillés dormant sous ce linceul d’eau noire, définitivement engloutis et perdus pour notre patrimoine, inspirent le respect. C’est un moment particulièrement émouvant dans cet espace autrefois humain où le temps s’est arrêté, comme un vieux tombeau tout juste ré-ouvert. Le plongeur passe sous une grande porte cochère qui devrait se trouver, selon le plan, dans le bâtiment jouxtant l’ancien portail démonté. La pierre rose vient ajouter encore à l’ambiance surnaturelle, dont les variations de couleurs, allant de l’ocre au rougeâtre, donnent l’impression de traces de sang séché… En continuant, on s’aventure dans une galerie voûtée où déambulaient autrefois des hommes occupés à leur méditation. Plus loin, on suit un mur, toujours de pierre rose, puis apparaît un bout de corniche où l’artisan tailleur de pierres d’un siècle lointain a fait œuvre de tout son savoir-faire. Cette corniche sculptée se dresse comme une stèle dominant une immense sépulture noyée…
Au fond du lac, plusieurs sites
Une telle plongée ne peut pas laisser indifférent, mais elle est réservée à des plongeurs confirmés, ayant l’expérience de la plongée profonde dans des conditions extrêmes.
Pour les autres, aux pratiques plus raisonnables, c’est-à-dire la grande majorité des plongeurs de loisir, le lac de Vouglans offre une multitude de sites intéressants, mais aux conditions de plongée nettement plus accessibles. La vallée était autrefois fortement encaissée et aujourd’hui, les anciens versants escarpés sont devenus autant de tombants offrant de très belles immersions en sécurité. Certains, descendant de la surface jusqu’à 20m, sont accessibles aux débutants. D’autres feront la joie des plongeurs d’un niveau plus élevé, avec de véritables murs qui descendent à plus de 50m.
Le lit de l’ancienne rivière contient lui aussi quelques sites intéressants, moins profonds car plus éloignés du barrage EDF : à 50m de profondeur, on peut trouver un ancien barrage, situation plutôt anachronique… Plus loin, à 30m de profondeur, ce sont quelques pans de murs formant les ruines d’un ancien village, ou encore un vieux pont qui autrefois enjambait l’Ain et qui aujourd’hui, est submergé. Le terrain est par endroit hérissé d’anciennes forêts qui ont échappé aux tronçonneuses des défricheurs lors de la mise en eau du barrage et qui dressent encore leurs branches fantômatiques dans une ambiance de film d’épouvante, à une vingtaine de mètres de profondeur.
Aux beaux jours (c’est-à-dire en été…), la sortie de plongée se fait dans un cadre magnifique de collines boisées bordant le lac et pour peu que le soleil soit de la partie pour réchauffer nos vieux os, on ne peut que garder un souvenir impérissable d’un tel endroit !
Plonger à Vouglans
Le lac de Vouglans se trouve dans le Jura, au centre d’un triangle formé par Lons-le-Saunier au nord, Bourg-en-Bresse au sud-ouest et Genève au sud-est. La ville la plus proche du site de plongée est Clairvaux-les-Lacs, à une quinzaine de kilomètres.
La plongée dans le lac de Vouglans se fait par l’intermédiaire d’un club local, ou encadré par un professionnel.
Merci pour cet super article!
J’aimerais organiser une sortie club pour plonger sur la Chartreuse, pouvez vous svp m’indiquer une structure sur place qui peut nous amener pour cette plongée. D’avance un grand merci.
Christoph
Je suis Franc-Comtoise et je découvre ce reportage incroyable. J’apprécie mais…. quels regrets de voir de tels bâtiments engloutis (cette chartreuse était pourtant classé alors,
à quoi ça sert ?)
Je sais : il faut de l’électricité