Texte Vincent Rouquette Cathala – Photos terrestres : karla Ortega/Gran Acuifero Maya – Photos subaquatiques : Marcelin Nebenhaus
Comment un plongeur souterrain vit-il l’isolement et les émotions liées à ces explorations extrêmes ? Vincent Rouquette Cathala, explorateur des cénotes mexicains du Yucatan, se confie…
Cela faisait longtemps que je pensais écrire une série de textes, touchant à des sujets personnels voire intimes, en relation avec ce que je recherche et ce que je trouve dans ma pratique de la plongée technique et souterraine, plus particulièrement lors des plongées d’exploration.
À contrepied des articles techniques, des destinations de voyages et des équipements clinquants, nous avons tous au fond de nous de profondes raisons de nous immerger : tout plongeur entretient j’en suis sûr, un jardin secret rempli d’émotions, de sentiments et de réfections personnelles, alimenté et motivé par cette activité unique.
Je n’aurais pas la prétention de voir en mes états d’âme des vérités universelles, puisque ce ne sont finalement que mes vérités personnelles, le noyau dur de mes pensées lors d’une exploration. Je ne parlerai ni de technique, ni de distance, ni de profondeur, mais essaierai humblement de donner forme à un mélange complexe d’idées, de ressentis et d’émotions vécues au fil d’années d’expérience.
Voici donc le premier texte de cette série hors des sentiers battus, intitulé « confinement ».
Par ces temps étranges, assis derrière l’écran de mon ordinateur, je ne pouvais évidemment pas aller bien loin. Seuls mes doigts pianotaient au hasard dans l’espoir de faire jaillir une inspiration qui semblait elle aussi confinée.
Mon esprit en revanche, n’avait aucun mal à flotter, isolé lui aussi mais heureux, dans une des nombreuses grottes ou il m’arriva un jour de laisser un bout de moi-même.
Isolement, confinement, solitude, sont autant de termes généralement chargés de connotations négatives telles que la frustration, l’ennui, l’incapacité à se développer ou même à s’exprimer.
J’imagine donc ne pas avoir besoin de vous expliquer pourquoi l’isolement social obligatoire, destiné à ralentir une pandémie, entrave les déplacements, les projets et les rêves, lourd à traîner comme une chaîne invisible aux chevilles, plus encore pour qui, comme moi, passe le plus clair de son temps en contact direct avec la forêt et la nature.
C’est de cette expérience de mon propre isolement physique et mental lors de mes plongées d’exploration, de cet isolement formateur et libérateur tant recherché dont j’ai envie de vous parler, ou de comment conquérir sa propre liberté par le confinement volontaire.
Ce processus d’isolement très personnel débute lorsque je m’endors : C’est toujours là que reviennent me hanter les vieilles obsessions exploratrices, les mêmes questions récurrentes : La grotte continue-t-elle ? Sera-t-elle plus profonde, va-t-elle se connecter ?
Répondre à ces questions et apprendre quelque chose de plus sur la planète devient alors un nouvel objectif de vie, qui ne disparaîtra pas jusqu’à avoir obtenu des réponses. Le signal est donné ! Le signal qu’il est temps pour moi d’aller explorer, de m’isoler pour trouver mes réponses.
Les contacts humains et le travail d’équipe sont paradoxalement des préalables logistiques à mes retraites minérales, des matériaux nécessaires et volontaires, car c’est de briques humaines que se construit l’édifice d’un projet d’exploration (Des personnages trop souvent négligés, auxquels j’ai rendu un hommage dans un article intitulé « hommage aux héros de l’ombre »).
Comme une pyramide dont la base large de contacts, de rumeurs, de pistes à déchiffrer avec ou sans succès, permet à chacune de ses arrêtes de converger en un tout unique et homogène, au point que représente la véritable raison d’être de la pyramide : son sommet. La plongée de pointe est quant à elle le sommet du processus exploratoire.
Au fur et à mesure que le temps et l’espace convergent vers la date et l’endroit de ma prochaine aventure aquatico-souterraine, je me force à opérer une transition psychologique entre les milieux terrestres et souterrains. La concentration augmente.
M’exprimant de moins en moins, limitant les contacts au minimum, je me replie alors dans ma bulle (sans jeux de mots) et me force à visualiser les facteurs connus de la plongée, lorsqu’il y en a : mise à l’eau et ses spécificités, aspects techniques du trajet jusqu’au point où commence l’inconnu.
Une sorte d’hypnose consciente s’installe et le film se déroulant en pensées est alors bien différent de ce que voient mes yeux, une grande partie de moi-même est déjà partie. Cette étape est absolument nécessaire à ma concentration.
Trajet initiatique, début de l’isolement.
Bien que ce ne soit pas toujours le cas, il arrive souvent que les marches d’approche des sites convoités soient longues et exténuantes. Humidité à 100 %, insectes, charges lourdes à porter ne sont que quelques exemples parmi d’autres, des difficultés à surmonter pour qui désire dompter la jungle mexicaine. J’ai fréquemment constaté avec curiosité, que même ces souffrances et leur répétitivité, qui seraient agaçantes voire insupportables dans de nombreuses situations de la vie quotidienne, deviennent à leur tour des éléments sur lesquels fixer mon attention, facilitant encore la concentration de toutes les ressources mentales vers un unique objectif.
La douleur se convertit alors en un exercice de résistance, une transe permettant de calmer l’impatience, un rite initiatique en fin duquel s’offre la cavité à découvrir.
En éveil total, mes sens sont alors décuplés et totalement focalisés sur l’objectif principal : trouver des grottes vierges et immergées. Les parfums sont plus intenses, les couleurs plus vives et les espoirs plus frétillants, à mesure que se rapproche l’objet de ma convoitise. Une zone plus humide, un bosquet plus vert et plus haut sont autant de promesses et d’indices de paysages millénaires jamais dévoilés. Il ne dépend que de moi de m’imprégner de mon environnement et de déchiffrer les indices semés par la nature, en espérant en résoudre l’énigme.
Le bruit du vent dans les arbres et l’absence de sons humains sont alors des atouts majeurs de l’analyse de ce qui m’entoure. Isolé dans mes pensées et sous le couvert des arbres, les idées parasites disparaissent, et le temps change alors de rythme et de texture jusqu’à ce qu’apparaisse au détour du sentier l’objectif de la marche.
Retiré à l’écart des porteurs, des binômes et des compagnons, débute alors le dialogue intérieur entre moi et la grotte. Par superstition, peur, ou respect, je ne peux me mettre à l’eau sans avoir demandé permission, sans montrer patte blanche et respect aux Dieux de la grotte, ou au nom que vous leurs donnez. Cette pause impérative permet à mon esprit de se détacher de la matière organique qui me constitue, pour se diriger vers la matière minérale dans laquelle je m’apprête à disparaître.
Rituel de l’équipement, pour accueillir l’imprévu.
S’équiper devient une extension de l’état méditatif dont j’ai besoin avant de m’immerger. La mémoire musculaire de protocoles répétitifs, réglés comme du papier à musique, élimine les derniers parasites mentaux qui auraient survécu aux rigueurs de l’approche. Toutes mes pensées convergent alors vers la visualisation des prochains gestes à réaliser-
Au fil des ans une manière rigide, presque rituelle de vérifier tout mon matériel s’est imposée à moi. Bien que cette rigueur puisse sembler superstition aux yeux du néophyte, elle est à mes yeux un moyen d’avoir sur ma vie un contrôle maximal, une façon de renforcer la confiance dans ma capacité à prendre en main mon futur et ma survie.
Cela me permet aussi d’accepter, voire d’apprécier, que je serai peu de temps après dans une des très rares situations de l’existence, ou l’aide d’autrui n’est pas une option.
Je continue alors à me fermer au monde terrestre que je laisse, pour me donner au monde aquatique qui m’attend et l’anxiété diminue, finalement. Concentré et détendu, l’immersion peut alors commencer.
Finalement présent au sein même de la planète, je suis un privilégié. Et bien qu’essayant de laisser une trace, je préfère qu’elle soit légère et qu’elle ne fasse pas référence à mon nom, à mon être, que l’indiscrétion de mes éclairages accompagnant mon éphémère passage ne troublent pas de trop l’obscurité éternelle.
L’objectif n’est alors plus que d’atteindre la fin de cette ligne insignifiante. Insignifiante et à la fois symbole de tant de choses : le symbole ponctuel de l’isolement jouissif, de la curiosité à son apogée, l’espoir que chaque paysage qui s’ouvre soit absolument vierge d’œil humain, et dévoile une infinité de formes abstraites, si souvent reflets de mon état d’esprit.
Je n’ai rien à enseigner à la terre, mais elle dévoile alors des secrets que je suis sensé être le seul à connaître, sur elle comme sur moi-même.
Un satellite, une galaxie, peu importe la taille du passage, explorer c’est aussi savoir se contenter de n’importe quelle surprise et accepter que la surprise consiste souvent à ne faire aucune découverte…
Les mains sur la roche, les yeux fermés, l’isolement se brise alors puisque je suis au cœur de la terre, en contact indirect avec chaque élément qui la compose, dans une bulle temporairement intemporelle, en apesanteur méditative.
Certains sens exacerbés par la disparition de certains autres, intimement lié à l’univers par l’isolement le plus brutal, je suis alors au sommet de la pyramide, au sommet du sens de ma vie.
Le retour à la réalité terrestre ne mérite sans doute pas de vous ennuyer plus avec mes états d’âme. Il se compose en effet essentiellement de frustrations, pour la plupart positives et constructives. Le sujet est en lui-même si vaste, qu’il sera l’objet d’un autre texte.
En attendant je suis là, face à moi-même, à l’univers, et à ma propre existence comme explorateur des derniers endroits cachés de la planète.
Vincent Rouquette Cathala
Je suis né dans le sud de la France,
J’ai commencé à plonger à l’âge de 12 ans.
J’ai fait une carrière dans l’ingénierie des procédés industriels, avant de décider de devenir moniteur de plongée à plein temps.
Cela fait maintenant 19 ans que je travaille dans le domaine de la plongée, et j’enseigne la spéléologie ainsi que la plongée technique depuis plus de dix ans.
Après avoir plongé et travaillé au Canada, en Nouvelle-Zélande, aux Tonga, en France, en Espagne, aux États-Unis et au Mexique.
Je vis ici au Mexique depuis 17 ans, où je suis resté par amour pour ces lieux spéciaux que sont les cénotes.
Avec ma meilleure amie, Natalie Gibb, nous recherchons, explorons et documentons les cénotes de la péninsule du Yucatan depuis maintenant plus de 10 ans.