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Texte : Marc Langleur – Photos : Marc langleur, Philippe Rousseau, Jean Toulet, Chris Brandon, Arevpam. 

Jean-Pierre Joncheray, un pionnier, une figure emblématique du monde de la plongée… Et même encore plus, tellement il a fait pour le monde des passionnés d’histoire et d’archéologie sous-marine. Car il a été à l’origine du développement de cette discipline, ainsi que de nombreuses vocations, notamment grâce à la publication de ses fameux “Cahiers d’Archéologie Sous-marine”. Jean-Pierre s’en est allé vers d’autres horizons, ce mercredi 28 octobre 2020. Nous avons choisi, pour lui rendre un dernier hommage, de republier ce portrait initialement paru dans le magazine OCTOPUS en 2017, à l’occasion de ses 75 ans, sous la plume de Marc Langleur…

Jean-Pierre Joncheray a fêté ses 75 ans en 2017. Pour cette occasion je m’étais donné comme objectif de dresser le portrait de ce plongeur, devenu ami lors d’une recherche d’identification d’épave, mais comment relater la carrière de cet homme qui est l’un des pionniers de la plongée, pionnier de l’archéologie, inventeur d’épaves (terme officiel), infatigable explorateur, à la poursuite non pas de diamants, mais d’histoires et d’Histoire (avec un grand “H”. Comment vous expliquer que lorsqu’il a découvert le sous-marin “Alose”, il a persuadé Henri-Germain Delauze, le défunt Pdg de Comex, de remonter l’épave ! L’ “Alose” est aujourd’hui déclaré monument historique…Et bien c’est ce que je vais tenter de faire le plus simplement possible.

JP à la barre de l’archéonaute dans sa jeunesse à l’andré malraux (toujours aussi jeune…)

Jp, dit Jip pour les intimes, est né au mois de juin 1941 à Souk-Ahras, dans l’Est Algérien, il fait ses premières bulles en novembre 1960 sur le bateau d’un certain Georges Beuchat… Equipé d’un détendeur CG45 et d’un masque Squale, c’est une révélation pour Jean-Pierre. Par la suite arrivèrent  les détendeurs  “Mistral” dont il ne lâchera plus jamais l’embout pour les milliers de plongées qu’il a effectuées durant toute sa carrière. “Le meilleur détendeur du monde” s’évertue t’il a répéter sans cesse.

Il a commencé ses études à Alger et, convaincu que la pharmacie menait à tout si l’on s’en éloignait un peu, est devenu biologiste à Frejus. Encore étudiant, il achète alors son premier bateau, une chaloupe de 3m, équipée d’un moteur Evinrude de 3cv qui tombait en panne régulièrement. Ce bateau fut naturellement baptisé “Pilule”. Il découvre avec ce fier navire sa première amphore à l’ile Moyade, près de Riou. Il confie ses trouvailles à Fernand Benoit, Directeur des Antiquités de Marseille de l’époque, qui gardait les pièces rares et laissait le reste à Jean-Pierre, pratique courante à l’époque.

Jp a, par la suite, eu d’autres petits navires (Pilule 2, puis 3,…) pour organiser ses opérations archéologiques : épave Dramont D, plus connue sous le nom “d’épave des pelvis”, Tradelière, Bataiguier, Chrétienne C… 

Agay 1998

Il  déclare ses premières épaves (Dramont F) dès le début des années 70. En 1971, il édite la toute première classification des Amphores, le tirage est de 15 000 exemplaires. Depuis, cette classification a été rééditée trois fois, dont la dernière mouture date de 2013.

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En 1972 il édite les “Cahiers d’Archéologie Subaquatique”, dont il est le directeur de publication. Ces cahiers ont une renommée internationale, et sont pris pour exemples par les plus hautes autorités. Ces cahiers sont toujours édités, le n°22 est sorti en 2014.

Une autre aventure démarre alors, c’est celle de la découverte par Jp en 1975, du sous-marin “Alose”.

Ce sous-marin, de classe Naïade, lancé en 1904, coulé en 1917 (il avait servi de cible) avait disparu des souvenirs. Lors d’un sondage “au hasard”, un écho apparait au sondeur au large du Lion de Mer (St Raphaël). Une plongée s’en suit et les plongeurs accompagnant Jp ont la surprise de découvrir le sous-marin planté à la verticale dans la vase par 50 m de fond, l’étrave pointant vers la surface. L’identification se fera rapidement car une plaque en bronze recouverte de concrétions, porte le nom Alose. Le Pdg de la Comex s’intéresse à la découverte et propose de devenir le mécène de Jp pour le renflouement, ce qui est chose faite en 1977. Depuis la coque est exposée dans la cour extérieure de la Comex et a été classée monument historique par un arrêté de 2008. Cette incroyable aventure est relatée dans un des livres de Jp : “L’aventure du sous-marin Alose”.

JP en compagnie de Marc Langleur, auteur de cet article

Ce n’est évidemment qu’une étape dans l’incroyable parcours de ce plongeur qui a découvert au moins 25 épaves antiques, et deux à 3 fois plus d’épaves dites “modernes”. 

Les trouver c’est une chose, mais les étudier en est une autre et c’est ce qui l’attire beaucoup plus. En effet, passé l’excitation et la montée d’adrénaline que procure toute découverte d’épave “vierge”, il va s’investir dans des recherches longues et minutieuses afin de percer leurs mystères, de découvrir l’origine ou la cause du naufrage, qui était le constructeur, la destination, bref, tout ce qui constitue l’historique du navire. Un travail de grande patience qui va également aboutir à la publication de la “bible” des épaves que beaucoup de plongeurs possèdent dans leurs bibliothèque, il s’agit du coffret “Naufrages en Provence” (édité à 4000 exemplaires…).

Le livre est un moyen de partager sa passion, et ses connaissances, sans restriction. Il écrit également des articles pour toutes les revues de plongée existant ou ayant existé.

JP sur une épave. Non, ce n’est pas un recycleur, ce sont les tuyaux de son vieux Mistral…

Même s’il n’aime pas trop les voyages, rien ne l’arrête lorsqu’il s’agit d’explorer une épave, la preuve en est par une de ses dernières expéditions avec son épouse, Anne, en Islande, à la recherche du “Pourquoi pas” de l’explorateur Jean Charcot, disparu en 1936. Ais-je besoin de préciser qu’ils ont retrouvé l’épave ? Dans une eau à 6°, Jp l’a trouvée juste un peu fraiche… et sans gants…

Sa dernière découverte date de 2012, c’est celle du “Alain” par 75m de fond, et c’est à l’occasion d’un tournage pour Tf1 que nous avons fait réellement connaissance. Nous sommes partis ensemble explorer les épaves de Scapa Flow en Ecosse, par la suite. J’ai pu apprécier la réelle convivialité de cet homme qui a un savoir extraordinaire, qui a toujours plaisir à raconter une anecdote ou une histoire invraisemblable et pourtant réelle, qui a côtoyé tellement de plongeurs connus ou moins connus du grand public qu’il serait impossible de les énumérer ici.

Jean-Pierre, moniteur fédéral, scaphandrier classe 2B, dirigeait encore régulièrement des chantiers de fouilles.

Je vais laisser la parole à quelques uns de ses amis , qui ont eu l’occasion de travailler avec lui sur des chantiers de fouilles, ou lors d’explorations. Je vais commencer par un des ses amis intimes, qui lui répare et révise ses détendeurs “Mistral”, puisqu’il  ne plonge qu’avec ça, et lorsque ceux-ci arrivent en bout de course. Il s’agit de Philipe Rousseau, qui a écrit une lettre a Jean-Pierre, en lui faisant un compte-rendu des opérations effectuées sur un de ses détendeurs :

« J’ai démonté ton Mistral cet après-midi (non sans mal vu que tout est oxydé et quasiment soudé par l’oxydation).

Tu as le record du monde du Mistral le plus pourri que j’ai vu à ce jour, et j’en ai réparé des wagons !

JP (à droite) en compagnie de Philippe Rousseau (au centre) et Maurice Fenzy (à gauche)

Comment pouvait-il encore fonctionner ? Le porte-clapet était bloqué, le pointeau était bloqué, etc…

Il avait dû être monté sur une bouteille et l’ensemble avait dû tomber par terre : le demi-boitier arrière de chambre sèche était enfoncé et déformé de près d’un centimètre ! J’ai donc d’abord été obligé de jouer au carrossier pour détordre et redonner une forme correcte à ce demi-boitier arrière…

Toutes les pièces baignent actuellement dans une solution de désoxydation.

Je pense arriver à te le sauver et à te le remettre en état de plonger, mais c’est parce que la « clinique Rousseau » est spécialisée dans les cas désespérés.  

Qu’est-ce que ça te coûterait de rincer ton matériel à l’eau douce au moins une fois par mois, et avant les longues périodes de stockage ? »

Malgré ls progrès technologiques, Jean-Pierre Joncheray gardait sa préférence pour le bon vieux détendeur Mistral…

Un autre ami, Francis Le Guen, rencontre Jean-Pierre dans les années 90 :

“Ayant entrepris pour l’agence SYGMA un reportage sur les épaves du débarquement en Provence, nous avions pris contact avec Jean-Pierre Joncheray, qui faisait déjà autorité dans le domaine… Et qui dirigeait par ailleurs un cabinet d’analyses médicales à Fréjus. On plongeait donc pendant la pose de midi et, sur son bateau, Jean-Pierre enfilait son étanche directement par dessus sa blouse blanche.

Une combinaison étanche “customisée”…

Aujourd’hui, direction le Cap Camarat. L’épave d’un Stuka, renversé sur un tombant, dans les 70m… JP Joncheray consulte son cahier d’enseignures, rond à force d’être rempli de ses griffonnages. De quoi rendre plus d’un chasseur d’épaves jaloux. Mais, en pleine mer, un avion, ce n’est pas gros, d’autant qu’une brume légère estompe la côte… L’œil au sondeur, Joncheray crie soudain :

– Le zizi, envoie le zizi !

Et je jette aussitôt le plomb (effectivement en forme de…) relié au filin enroulé autour d’un bloc de polystyrène. 


Descente interminable le long du fil guide, dans une eau qui noircit. Trouver un avion ? Allons donc !

Mes pensées sont légèrement confuses : l’ivresse me gagne. Soudain, il est là. Intact, posé en bordure d’un petit tombant et comme prêt à décoller. Le “zizi” planté en plein cœur ! 

Un Stuka de la Luftwaffe comme en témoignent ses ailes caractéristiques. Nous planons vers l’arrière, à la recherche de la queue. Nous en trouvons huit… de langoustes ! L’arrière de la cabine, sectionnée, sert de refuge aux crustacés dont les antennes se confondent avec les fils électriques et les tubulures concrétionnées.

Autre plongée sur le Consolited Liberator B24 G, dont les restes reposent au pied de l’Esterel, à quarante mètres de profondeur. Avec son masque en Panavision, son détendeur de Mistralopithèque, sa combinaison étanche de Du Guesclin balafrée par d’autres combats, ses vieilles Jetfins, Jean-Pierre disparaît dans un nuage de sédiments. Il s’adonne à son vice : il fouille !

Seul le couinement du détendeur archaïque nous rassure sur son état de santé. Partout de longues balles de mitrailleuses 12,7mm s’étalent, encore dans leurs chargeurs en bandes. C’est alors qu’avec un flegme presque britannique, Jean-Pierre pense qu’il est bon de nous signaler qu’il vient de crever son tympan droit ! Pas d’erreur de plongée mais simplement une fragilisation due à ses descentes journalières et en toutes saisons. Malgré la douleur, sans doute vive, il fouille de nouveau ! La remontée, on verra plus tard.

JP remonte des munitions

Pas une raison en tout cas pour renoncer au rituel de la décompression médicalement assistée : une large rasade de vieil Armagnac, injectée directement dans la bouche grâce à une grosse seringue à silicone…”

Nicolas Ponzone, qui a participé à quelques campagnes de fouilles témoigne:

“C’est lors d’un sondage, l’épave de la Tour Fondue, que j’ai rencontré J-P et très vite, j’ai plongé avec lui assidûment. A l’époque depuis son Pilule, j’ai attrapé le virus de la recherche archéologique et de la recherche d’épaves. Il m’a beaucoup appris.

JP,  toujours avec son étanche et son Mistral, un personnage authentique, avec du caractère et grand cœur, un personnage ! Un érudit, un cuisinier, un passionné, un collectionneur… un ami. C’est un personnage ! “

JP présente son livre “90 épaves à Marseille”

Gérard Loridon, ancien scaphandrier professionnel :

« Mon ami Jipé »

“Nous nous sommes connus sur une demande que m’avait fait mon ancien Pacha et ami Philippe Tailliez qui m’avait écrit « il faut que tu rencontres Jean Pierre Joncheray qui veut te connaître et te parler d’épaves ». Ce qui fut fait quelque temps après, alors que j’étais dans notre cabanon en Corse à Pianotolli-Caldarello.

Et là des épaves on en a parlé, et des amphores, et des plongées…

Et depuis cela n’a jamais cessé et il n’y a pas si longtemps, alors que j’étais dans mon mazet cévenol, où on échangeait au téléphone quelques sujets, idées et souvenirs.

Et ce diable d’homme capable de s’adapter à bien des situations en dehors de la plongée, je l’ai invité dans nos Cévennes un 31 décembre, où dans la journée je l’ai fait monter avec Anne, sac au dos, une piste un enneigée pour aller griller des andouillettes au sommet de la colline en plein le soleil.

Le soir nous avons vécu un réveillon au coin du feu… mémorable.

Jipé, j’ai encore des questions en cours sur l’une de ses 50 épaves, on va se voir cet hiver. 

Et je promet de ne pas lui poser des questions insidieuses sur le trésor de Rommel lors de sa prochaine conférence. Encore que…” (Rappelons que ce texte a été écrit en 2017 – NDLR)

Grand amateur d’Histoire, JP était aussi un collectionneur averti

et pour finir, le témoignage de Philippe Castellano :

” La remontée du Ju 87 Stuka de La Moutte, à Saint-Tropez, en juin 1989. Après les premiers travaux de « déblaiement » au fond, Jean-Pierre gonfle “à mort” le parachute de plus de 2 tonnes de poussée. D’un coup, le Ju 87 remue puis décolle comme une fusée et arrive intact en surface, se balançant tranquillement comme un pendule sous le parachute. Imaginez la frayeur des plongeurs que nous étions en sécurité-surface, de voir arriver du fond et en trombe une telle masse… Pffffff….” 

L’avion est aujourd’hui exposé dans un musée en Allemagne. 

Sera suivi le travail d’étude du P-38 de La Ciotat, et de bien d’autres épaves d’avions encore… 

JP donnait souvent des conférences pour présenter ses ouvrages et… son fameux mistral !

Sacré Jean-Pierre, j’en passe, il y en a tellement à raconter…

Une chose est par contre certaine à mes yeux, s’il y a un “Monsieur Plongée” en France, voire même… Ailleurs dans le monde, c’est bien toi, Jean-Pierre, en sachant que tu as effectué tout cela en amateur, avec une passion hors du commun, tout en travaillant bien après l’âge légal d’ailleurs (belle leçon de vie !).

Chapeau bas Jean-Pierre, ta rencontre a changé beaucoup de choses dans ma vie de plongeur, et aussi de tous les jours, que tu en sois grandement remercié, en tout cas, on s’est vraiment amusés durant toutes ces années de farfouilles et d’échanges, ce qui est en finalité le principal dans une vie, non ?

Jean-Pierre Joncheray laissera toujours un souvenir impérissable à ceux qui l’ont rencontré…

Alors, je te dit simplement « à plouf »…, en sachant que tu risques de plus, de battre des records, tant par le nombre de plongées effectuées à ce jour (incomptable…) que dans la durée de cette longue vie d’homo-palmus  !

Donc, Jean-Pierre Joncheray a tiré sa révérence ce mercredi 28 octobre 2020, après 79 années d’une vie particulièrement bien remplie.

Les gens qu’on aime, on les croit immortels. Pour beaucoup c’était un ami, une inspiration, pour d’autres un mentor. Une chose est certaine, quand on rencontrait JP, il y avait quelque part en soi, quelque chose qui changeait et tous ceux qui ont croisé sa route en ont gardé un souvenir impérissable. Il nous a tant apporté, ses connaissances sur le monde des épaves étaient inépuisables, les fiestas chez lui, mémorables…

Un homme au caractère bien trempé. Tu me manques déjà, JP…

Nos pensées vont tout naturellement à ses enfants et à Anne, son épouse.

 

2 Commentaires

  1. que dire écrire de plus ……..
    Et oui “JP” tu nous manque déjà et nous manquera longtemps, je ne pense pas qu’il soit possible de t’oublier !

  2. C’est avec une grande tristesse que j’ai appris la mort de Jean-Pierre Joncheray.
    J’ai eu l’honneur de faire un film avec Karel Prokop documentant la passion de JP.
    Il était et reste un homme d’exception qui a tant donné à l’histoire et à l’archéologie marine mais surtout à sa famille et ses amis.

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