Par IFREMER, Projet Connect-Med
Les poissons méditerranéens sont-ils d’éternels voyageurs, ou bien sont-ils attachés à leur lieu de vie ? Les chercheurs de l’IFREMER tentent de répondre à cette question. Une étude qui permet de mieux cerner les habitudes des habitants du monde sous-marin.
Où vont les poissons quand ils quittent les lagunes méditerranéennes? Des chercheurs de l’unité mixte de recherche Marbec ont équipé des poissons d’émetteurs pour suivre leurs déplacements. Après des premiers résultats sur la daurade royale et le bar (aussi appelé loup en Méditerranée), un projet plus large a débuté. Les recherches ont été étendues à deux autres espèces pêchées localement : le mulet et la saupe.
Les quatre espèces de poissons étudiées vivent à la fois dans les lagunes et en mer, près des côtes. Mais on ne sait pas exactement à quels moments elles passent d’un milieu à l’autre, ni ce qui les motive à sortir des lagunes ou à y entrer. Un premier projet, Sb-tag (Sb pour « sea bream », qui signifie daurade royale en anglais), mené entre 2017 et 2018, a testé la possibilité d’implanter des marques acoustiques sur les daurades et les bars. Les poissons marqués sont ensuite détectés par des récepteurs sous-marins appelés hydrophones placés à différents endroits dans les lagunes et en mer. Menée sur 160 poissons à l’échelle de la lagune du Prévost, un petit étang près de Palavas-les-Flots (Hérault), l’étude a déjà permis de recueillir un certain nombre d’informations sur la biologie des deux espèces.
Des daurades migratrices
Ainsi, les daurades sont fidèles à leurs lagunes, puisque la majorité y retourne d’une année sur l’autre. Elles partent toutes en l’espace d’une quinzaine de jours en octobre, disparaissent pendant six mois et retournent de façon groupée, au printemps suivant. Des facteurs environnementaux donnent le signal de départ et de retour. Par exemple, le départ coïncide avec un vent du sud associé à une température de la lagune identique à celle de la mer. Les daurades sont également très sensibles aux diminutions de la quantité d’oxygène, liées notamment au développement des algues et à la minéralisation du sédiment, qui augmentent en été, avec la température et la stagnation de l’eau dans la lagune. Elles quittent alors l’étang pour revenir quelques jours plus tard. « Cet aspect est important, car avec le réchauffement climatique, l’augmentation de ces phénomène est à prévoir, ce qui pourrait affecter les comportements de l’espèce », souligne Jérôme Bourjea, chercheur Ifremer à l’UMR Marbec.
Des bars plus sédentaires
En revanche, les bars sont présents toute l’année dans la lagune, même s’ils font des allers-retours plus fréquents entre mer et lagune en hiver. Ceci est probablement lié à la localisation de leur site de reproduction, qui pourrait être beaucoup plus proche des côtes que celui des daurades. Les bars remontent également les cours d’eau : « Pendant la période estivale, on remarque que certains bars vont dans l’eau douce pendant quelques jours, avant de retourner dans la lagune. Nous avons plusieurs hypothèses pour expliquer ce comportement : soit ils y vont pour chasser des proies, soit pour se débarrasser de parasites attrapés dans la lagune ou en mer. »
Un nouveau projet à plus grande échelle
Le projet Connect-Med (connectivité des poissons à l’interface lagune – mer en Méditerranée) élargit ces premiers résultats à d’autres lagunes et d’autres espèces. Pour cela, 260 daurades, 150 bars, 50 saupes et 50 mulets vont être marqués. Les quatre espèces n’ont pas été choisies par hasard, elles représentent quatre régimes alimentaires distincts : les bars sont carnivores, les daurades omnivores, les saupes herbivores, et enfin les mulets trouvent leur nourriture dans la vase. Il sera ainsi possible de faire le lien entre leurs déplacements et leurs besoins en nourriture, ainsi qu’entre leur croissance et leur lieu de vie. « On pourrait par exemple montrer que certaines lagunes permettent une meilleure croissance, parce qu’elles offrent des conditions environnementales plus favorables», explique Fabien Forget, chercheur IRD au sein de l’UMR Marbec . Les poissons sont équipés à la fois d’une marque externe, repérable par les pêcheurs, d’un tatouage bleu sur le ventre, et d’un petit émetteur acoustique interne. Ce dernier peut être détecté par un réseau régional d’une centaine d’hydrophones, mis en place dans le cadre du projet Connect-Med grâce aux partenaires du projet. Ceux-ci sont placés à des endroits stratégiques entre la frontière espagnole et les calanques de Marseille, comme les entrées de lagunes ou les lieux supposés de reproduction en mer. Le cap des 200 poissons marqués en 2019 a été franchi début septembre, pour un total de 360 marqués depuis mi 2017.
Une seconde phase de marquage est prévue entre octobre et décembre 2019 sur les sites de reproduction présumés. En effet, on sait que ces poissons se reproduisent en mer, mais le lieu exact n’est pas certain. « Ces marquages permettront de mieux comprendre le rôle des lagunes pour ces espèces, les couloirs migratoires régionaux durant la phase hivernale et d’identifier les sites de reproduction aujourd’hui peu connus » précise Jérôme Bourjea. Les résultats complémentaires seront disponibles au printemps prochain.