Par David Mayor
Enfant j’étais fan du dessin animé Les Mystérieuses Citées D’or, je me souviens même que j’avais acheté un livre sur l’architecture des temples Mayas au supermarché Mammouth à Toulouse, un peu difficile à lire, mais c’était captivant. J’étais également fan des films Indiana Jones de Steven Spielberg, mais jamais je n’aurais pensé partir au Mexique sur les terres des Mayas et me sentir un peu un Idiana Jones ou un Esteban en découvrant le monde mystérieux des Cénotes.
Samuel mon contact n’est pas là, mais les occupants de la vieille voiture vont nous conduire sur les lieux de notre plongée.
7h45, l’heure du rendez-vous à la station de gonflage avec Rick, un ami qui m’accompagne pour cette expédition. Nous chargeons les bouteilles dans le pick-up et 2h de route nous attendent pour nous rendre sur le lieu de plongée. Nous quittons la côte des Caraïbes Mexicaines pour nous enfoncer dans les terres loin de la mer. Les grandes entrées des hôtels de la rivièra Maya font place aux petits commerces sur le bord de la route qui mène à Coba, l’ancienne cité maya. Nous devons retrouver notre contact à une Pemex, les stations essence de la compagnie nationale de pétrole. Une vieille voiture est stationnée à côté de la station, je la montre à Rick qui m’accompagne. C’est surement eux.
Samuel mon contact n’est pas là, mais les occupants de la vieille voiture vont nous conduire sur les lieux de notre plongée. Nous la suivons, elle s’arrête dans un village ; nous repartons rapidement, mais cette fois accompagnés de trois autres voitures et une dizaine de personnes à bord. Je plaisante avec Rick sur le fait qu’il y a du portage mais qu’avec autant de bras on va se battre pour porter quelque chose.
C’est à cinq cents mètres d’ici, il faut utiliser des cordes pour descendre, voilà les seules informations que j’arrive à obtenir.
Nous quittons la route pour une piste en terre au milieu de la forêt. On finit par s’arrêter rapidement, le chemin est trop étroit pour les véhicules. Un peu perdu avec tout ce monde, j’essaye de savoir qui est qui pour confirmer les informations du site de plongée. Je finis par reconnaître une personne que j’ai déjà vue lors d’une première visite, mais le plan initial a été modifié par nos hôtes, donc c’est un autre point d’eau que nous allons voir. Rick n’est pas enchanté, car il y a un rappel de 15 mètres avant de toucher l’eau. Il décide de botter en touche et nous laissons les bouteilles dans la voiture. Durant la marche d’approche, j’essaye d’obtenir plus d’informations. Nos accompagnants restent évasifs sur le lieu que nous allons visiter. C’est à cinq cents mètres d’ici, il faut utiliser des cordes pour descendre, voilà les seules informations que j’arrive à obtenir.
Nous marchons à travers une forêt basse avec une végétation beaucoup plus sèche et éparse que sur la côte. L’air y est plus sec et les moustiques inexistants, ce qui rend notre marche plus agréable qu’à l’accoutumée. Après avoir dépassé un campement composé de cabanes en bois, nous arrivons devant un trou de quatre mètres de diamètre dans le sol, nous y sommes…
Il est bon de respecter les coutumes surtout quand on va descendre dans Xibalba le monde des morts dans la culture maya
Je remarque des bougies à moitié fondues sur une roche à côté de l’entrée du Cénote. J’ai déjà vu cela sur une expédition de cartographie pour un projet archéologique dans le Yucatan.
Il y avait un chaman qui déposait des offrandes et il allumait les bougies disposées aux quatre coins cardinaux avant chacune de nos plongées. La culture, les langues et les croyances mayas n’ont pas disparu, il est bon de respecter les coutumes surtout quand on va descendre dans Xibalba, le monde des morts chez les Mayas.
Rick est fumeur, il me sauve la vie ce jour-là avec son briquet pour allumer les bougies. Les dieux de Xibalba se contenteront de banane pour cette fois-ci, nous n’avons rien d’autre à leur offrir. Les bougies placées ici sont le signe que ce Cénote a un aspect sacré pour les Mayas de la zone. Le chef de la communauté m’explique dans un mauvais espagnol que ce Cénote est utilisé pour la cérémonie de Chac Chaac. Ils invoquent le dieu Yum Chaac pour qu’il apporte la pluie sur les cultures de maïs des villageois. Il arrive parfois que ce soit pour d’autres raisons que des offrandes et des bougies sont placées…
Equipé des deux bouteilles de 11 litres, je commence la descente dans le noir à la recherche du fond.
Les arbres autour de l’entrée du monde de Xibalba me servent à attacher la corde. J’enfile ma combinaison, un harnais de spéléo et mon système Sidemount par dessus. J’utilise en général cette configuration (montage latéral des bouteilles) lors de mes explorations, cela me permet plus de flexibilité au niveau des portages et des passages difficiles en plongée. Je touche l’eau 15 mètres plus bas après un rappel prudent, car il y a souvent des nids de guêpes sur les parois. Je prends le temps d’inspecter la cavité avec ma lampe principale pour être sûr que cela vaille la peine de plonger. Le faisceau de ma lampe pourtant puissante n’atteint pas le fond et j’ai du mal à distinguer les parois de la grotte malgré une eau limpide. Je donne l’ordre d’apporter les bouteilles. Le temps que l’équipe de Maya et Rick les accroche et les descende, je m’active à trouver un amarrage pour fixer le fil d’Ariane indispensable en plongée sous plafond. Equipé des deux bouteilles de 11 litres, je commence la descente dans le noir à la recherche du fond.
Ne sachant pas à quelle profondeur j’allais descendre et le nombre de porteurs que nous allions avoir, j’ai fait remplir les bouteilles à l’air. Pas de bouteille de mélange de déco cette fois-ci. Cela me donne une bonne amplitude de profondeur sachant que personnellement je ne dépasse pas les 45 ou 50 mètres à l’air. Arrivé à la profondeur de 15 mètres, je distingue des formes sous moi. Trente-deux mètres, j’arrive sur le haut d’un éboulis de roche qui est l’ancien plafond de la cavité maintenant ouverte. Le tanin contenu dans l’eau a coloré la roche calcaire d’une couleur sombre. Les parois absorbent la lumière de ma lampe. Voilà pourquoi depuis la surface je ne voyais pas le fond.
Après avoir attaché le fil d’Ariane sur une des roches de l’éboulis, je regarde mon compas pour me diriger vers l’ouest, qui est la direction générale d’où vient le flux d’eau. Je commence à chercher la continuité de la grotte dans une pente qui descend à 45 degrés. Rapidement des formes rondes sortant du sédiment noir attirent mon attention, j’ai déjà vu de telles formes dans d’autres Cénotes du centre du Yucatan… Avec une grande précaution, je palme vers la forme la plus proche. Je cherche une roche pour accrocher ma ligne de vie au plus près. Ma supposition était juste. Je me retrouve face à un premier crâne humain à demi enfoui. J’aperçois d’autres formes plus bas dans la pente. D’autres crânes et une poterie, à chaque fois je réalise des points d’accrochage au plus près. J’arrête mon exploration à 49 mètres de profondeur, la grotte s’arrête là, le sédiment touche la paroi.
Je comprends maintenant pourquoi il y avait des bougies à côté de l’entrée.
J’arrête la ligne sur une roche, je la coupe et commence ma seconde partie du travail de l’exploration, le survey (relevé des informations de la ligne, profondeurs, azimuts, distances). Le fait d’avoir mis ma ligne proche des crânes et des poteries me permet de les positionner avec précision sur la topographie. Je photographie avec ma Gopro chacun des éléments pour une future déclaration aux autorités archéologiques mexicaines. Tous les crânes comportent des fractures frontales au niveau des orbites. Je comprends maintenant l’origine des bougies à côté de l’entrée. Ce sont surement des crânes de personnes sacrifiées pour un rituel et le Cénote a gardé un côté sacré pour ces deux raisons.
De retour au sommet du talus je décide de partir à l’Est voir si la grotte continue. La topographie et les photos m’ont pris beaucoup de temps, le temps de décompression commence à être important. J’ai juste le temps d’inspecter un passage, j’entre dans une faille du mur qui finit rapidement bouchée. Là je découvre dans la paroi des fossiles d’oursins plats et des coraux incrustés.
Je décide de remonter. Arrivé à trente-deux mètres sur le haut de l’éboulis, j’observe une dernière fois le sol à la recherche d’autres ossements. Je continue ma remontée tout en prenant les mesures de la ligne. Arrêt à 9 mètres pour mon premier palier de décompression, je peux voir l’entrée du Cénote. La cavité a une forme circulaire en col de bouteille. Je quitte la ligne de vie pour en faire le tour et inspecter les parois. Quelque chose que j’ai vu au fond m’intrigue. Dans la partie basse que j’ai explorée, il y avait 5 crânes, mais pas d’autres ossements à part un seul en haut de l’éboulis : où sont passés squelettes ?
Le palier de 6 mètres me donnera la réponse en réalisant une seconde d’inspection. Là je tombe nez à nez avec des dizaines d’ossements humains dans une faille qui comporte un éboulement. A une dizaine de mètres plus loin, une seconde faille également avec des ossements. Je prends en photo les ossements dont certaines offrent des détails de ceux-ci. Ces photos me permettront de découvrir un crâne de jaguar avec ses crocs et une pierre de jade percée provenant sûrement d’un collier. Arrivé à 3 mètres pour le dernier palier, j’en profite pour essayer de comprendre comment les corps se sont retrouvés là.
je suis sur un site de l’époque préhispanique.
Entre l’an 800 et environ 950, l’eau de la nappe phréatique de la péninsule du Yucatan est descendue de huit mètres. Les corps ont pu être déposés là, les têtes se sont décrochées avec la décomposition pour tomber ensuite.
Comment ont-ils pu descendre les personnes ou les corps ? Les deux failles ou se trouvent les squelettes sont à environ 15 mètres du centre du Cénote à l’entrée du puits d’où vient directement l’eau. Un radeau ou une barque ? Je n’ai pas trouvé de bois au fond.
Ce qui est sûr est qu’ils n’ont pas jeté les corps. Avec la décomposition, les gaz font remonter le cadavre du fond et on finit par retrouver des ossements éparpillés en fonction du courant.
L’âge et la couleur des ossements, la profondeur des corps, le crâne de jaguar et la jade me font conclure que je suis sur un site de l’époque préhispanique.
De retour en surface avec plein de questions en tête, je fais une pause de 30 min avant remonter les 15 mètres de la corde. Arrivé en haut Rick est toujours vivant, les Maya modernes ne l’ont pas sacrifié, au contraire ils ont essayé de lui apprendre le Maya. Je raconte au chef de la communauté ce que j’ai trouvé et je lui demande s’il y a un autre Cénote avec une entrée proche. Il me répond en distance Maya et lui demande la distance en mètres, c’est vous dire que la culture Maya n’est pas morte dans la région… A 200 mètres se trouve une grotte sèche, ils ne sont pas entrés à l’intérieur, ils craignent les dieux de Xibalba. Ils nous promettent de nous montrer l’entrée lors d’une prochaine visite.
Retour à la civilisation moderne avec un petit arrêt pour déguster un poulet achiote grillé avec une sauce chile habanero. Arrivé à 20 heures à Playa del Carmen, je commence la dernière partie du travail. Elle consiste à enregistrer le point GPS du Cenote dans la base de données et d’y rentrer les informations de la topographie. Après il restera à faire un rapport pour les archéologues.
Je me doutais dès le départ de cette expédition que nous risquions de ne pas découvrir de galerie horizontale. Par contre j’étais certain de trouver des vestiges archéologiques. Passé une certaine distance de la côte, la géomorphologie des cavités change, il est plus courant de trouver des grands puits profonds sans départ de galerie, parfois il y a des exceptions. Ce Cénote se trouve à 30 km d’un site majeur de l’époque préhispanique, c’est pour cette raison que nous pouvons y trouver des vestiges archéologiques.
Ici la plongée souterraine n’est pas juste une balade
Les Cénotes représentent un lien bien particulier entre notre monde à l’air libre et le monde souterrain. Il se mélange celui du vivant au présent avec celui du passé, du monde minéral, le tout baigné dans un fluide essentiel : l’eau. Xibalba a préservé ses richesses archéologiques, géologiques, biologiques et minérales. A nous de les découvrir, de les étudier et de les protéger.
Souvent on me pose la question, pourquoi plonger dans les Cenotes où il n’y a pas de vie et où tout est minéral ? Ce récit d’exploration apporte une partie de la réponse. Ici la plongée souterraine n’est pas juste une balade dans des magnifiques galeries des plus grands systèmes inondés au monde. En observant bien et en étant curieux, on en découvre les multiples facettes historiques et géographiques. De ce fait on peut apporter notre contribution à la protection de cet environnement et partager cette culture maya.
Note de l’auteur : A l’heure ou j’écrivais ces lignes, un ami et mentor, grand amoureux, explorateur, cartographe et protecteur des grottes de la région nous a quitté subitement. Bil Phillips a exploré un grand nombre de grottes de la région depuis 1995. Il était également le président du Quintana Roo Speleological Survey (http://caves.org/project/qrss/). A nous d’honorer sa mémoire en continuant son travail d’exploration, partage et protection.