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Le paquebot Louise était l’un des fleurons de la flotte de la compagnie corse Valery Frères & Fils. Construit en 1855 par les chantiers Scott Shipbuilding & Engineering de Greenock en Grande Bretagne, c’était un navire à vapeur et à voiles de 55 mètres de long sur 7 mètres de large pour 5 mètres de tirant d’eau. Sa machine de 120 cv lui permettait d’atteindre la vitesse de 8 nœuds mais il jouissait en plus d’un gréement de trois mâts.
En 1831, alors que la navigation à vapeur balbutiait à peine, le vieux port de Bastia accueillait 28 navires jaugeant 382 tonneaux. En 1845, le projet d’un nouveau port dans l’anse Saint-Nicolas recevait un début de financement, le trafic marchand allait doubler avec 59 navires dont cinq à vapeur battant pavillon de la compagnie Valery, née en Corse et assurant les rotations aussi bien avec Marseille qu’avec Livourne. La cité de Bastia connut ainsi une expansion sans précédent, où le transport maritime réactiva l’agriculture et favorisa l’industrie. Convaincu de l’importance croissante de la ville, le gouvernement de Louis-Philippe se proposa d’y développer un port moderne répondant aux nouvelles normes. Mais aucun port ne peut se vanter d’être sûr à 100%…
C’est dans ce contexte que la Louise assura la ligne Livourne – Bastia, de sa mise en service en 1855 jusqu’au 23 février 1860. Tout commença le mercredi 22 février 1860. Le vapeur Louise, de la société française Valéry Frères et Fils a appareillé du port de Livourne en Italie, pointant directement vers le port de Bastia en Corse. À bord, il y avait environ 80 personnes, y compris l’équipage. Parmi eux se trouvaient des ouvriers, des gens ordinaires et toute la compagnie de théâtre Gagliardi. Le fondateur, Luigi Gagliardi est né à Venise en 1819 ; il était le fils de deux humoristes modestes mais populaires de l’époque. Luigi et sa compagnie avaient une vie pleine de difficultés et de vicissitudes, échappant à un premier naufrage en 1841, se retrouvant en prison en 1849 pour avoir présenté à son public une pièce interdite par la censure, subissant l’incendie de son théâtre en 1855… Gagliardi chercha de nouvelles possibilités et, à la fin de l’hiver 1860, il embarqua, avec toute sa troupe, vers la Corse dans l’espoir de rencontrer sur l’Île de Beauté le succès qu’il espérait depuis si longtemps.
Avec sa compagnie qui comprenait sa femme accompagnée de leurs deux fils, un beau-frère avec sa famille et divers autres artistes salariés, Luigi a dépensé le peu d’argent qui lui restait dans des billets pour embarquer à Livourne pour la Corse sur le paquebot Louise. Cette fois, le malheur de Gagliardi aboutit à un drame terrible. Dans la nuit du 22 au 23 février 1860, alors que la Louise effectuait sa traversée, une terrible tempête s’abattit sur la mer Méditerranée devant la Corse. Le vent soufflait, la tempête se déchaînait, la mer battait sur la côte. Il était minuit et demi, la Louise, malmenée par les éléments, manqua l’entrée du port, manœuvra et réapparut une seconde fois devant le chenal. Ce fut le drame.
Un fort coup de vent poussa le navire vers le banc de rochers qui s’élevait entre le port et le phare. Le choc fut si terrible que la Louise, coincée dans la vieille jetée se brisa et l’eau l’envahit. Tout le monde paniqua. Seul le chef mécanicien Cambiaggi fit preuve d’un courage exceptionnel en se lançant dans la salle des machines abandonnée par les chauffeurs et réussit, alors que l’eau montait rapidement, à purger les soupapes de sécurité et à éviter l’explosion de la chaudière au contact de l’eau froide. La plupart des passagers sautèrent dans l’eau. La scène qui suivit fut dramatique. Bien que les secours commençaient à s’organiser dans le port, l’état de la mer en furie rendait toute approche des lieux du naufrage extrêmement périlleuse.
Quelques-uns parvinrent à atteindre la jetée. Les plus nombreux, précipités contre les rochers, furent avalés par la mer. Sur la jetée, le commissaire de police fit allumer de grands feux. Même le maire et toutes les autorités étaient là. Moins de deux heures après le début du drame, seul le mât du navire émergeait encore, sur lequel cinq passagers avaient trouvé refuge. Après des efforts désespérés, trois capitaines du port parvinrent à les sauver, mais 44 personnes (50 selon les sources) avaient perdu la vie.
On rapporte plusieurs épisodes douloureux de ce triste drame. Huit personnes qui avaient réussi à embarquer dans un canot furent également jetées contre les rochers et englouties. Une jeune femme dont le mari venait de périr était dans l’eau, tenant son enfant serré contre elle. Elle parvint à le lancer à quelques hommes qui se penchaient vers elle depuis la jetée. Les hommes récupérèrent l’enfant tandis que la mère était entraînée par les flots et disparaissait de la surface.
En cette fin de nuit, parmi les 44 (ou 50 ?) passagers manquants, 28 étaient les artistes de la troupe de théâtre de Luigi Gagliardi qui devait se produire le lendemain à Bastia. Sur la troupe, seuls Luigi le directeur et l’un de ses fils ont été sauvés. Luigi, très bon nageur, avait essayé désespérément mais sans succès d’amener ses enfants en sécurité. Il s’était retrouvé épuisé à terre avec un seul d’entre eux. Le lendemain, continuant à plonger à la recherche des siens, il réussit à récupérer le corps de sa femme. Parmi les rescapés, il y avait aussi le représentant de la compagnie de navigation, six marins ainsi qu’un employé du journal Le Courrier de Marseille qui publia par la suite un récit détaillé du naufrage dans les pages du journal. Le jour suivant, les cercueils contenant quelques corps récupérés dans la mer ont été déposés dans l’église où, les jours suivants les funérailles ont eu lieu en présence des autorités.
Dans son ouvrage « Souvenirs d’un homme de lettres » en 1889, l’écrivain français Alphonse Daudet a évoqué brièvement le drame de la Louise : « …je me rappelais qu’il y a dix ans (sic), par une nuit semblable, j’étais sur la terrasse d’une hôtellerie de Bastia à écouter une canonnade funèbre que la haute mer nous envoyait ainsi, comme un cri perdu d’agonie et de colère. Cela dura toute la nuit ; puis, au matin, on trouvait sur la plage, dans une mêlée de mâts rompus et de voiles, des souliers à bouffettes claires, une batte d’arlequin et des tas de haillons pailletés d’or, enrubannés, tout ruisselants d’eau de mer, barbouillés de sang et de vase. C’était, comme je l’appris plus tard, ce qui restait du naufrage de la Louise, grand paquebot venant de Livourne à Bastia, avec une troupe de mimes italiens. »
Les restes de la Louise dorment toujours près de l’entrée du port de Bastia, par 18 mètres de fond, à la latitude 42° 41’ 50 N et la longitude 09° 27’ 25 E. L’épave n’a pas résisté au temps et à la fureur des éléments. Les membrures et le fond de la coque s’élèvent encore au-dessus d’un fond sableux parsemé de posidonies. La proue est également reconnaissable, ainsi qu’une ancre. Si l’épave est fortement dégradée, il n’en reste pas moins que le site suscite encore une forte émotion à l’évocation du drame qui s’est déroulé là, par une nuit de tempête, sous les yeux horrifiés des habitants impuissants.
Lien vers la vidéo Vimeo de Pierre-Jean Micaelli / Corse Images Sous-Marines https://www.corse-images-sous-marines.com