Chaque jour, une épave : 24 avril 1868, le Queen of the South, un naufrage en-dehors des heures ouvrables…

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Chaque jour, découvrez dans www.plongee-infos.com l’histoire d’une épave, coulée à la même date par le passé, quelque part près des côtes françaises ou ailleurs dans le monde, déjà explorée… ou pas ! Vous retrouverez ainsi quotidiennement un nouveau site, pour vous confectionner une collection passionnante pour vos futures plongées ou simplement pour explorer… l’Histoire!

Le Clipper Morning Light peint en 1861 par le peintre américain William Gay, allait devenir deux ans plus tard le Queen of the South

Le Queen of the South était un grand clipper (dit « extrême clipper »), ces magnifiques voiliers de commerce américains surtoilés qui battaient des records de vitesse dans les traversées. Construit en 1853 aux chantiers Tobey & Littlefield de Portsmouth, aux Etats Unis, pour la compagnie américaine Glidden & Williams de Boston, il portait à sa mise à l’eau le nom de Morning Light. Propulsé uniquement par ses trois mâts, il mesurait 67 mètres de long sur 13 mètres de large, pour 8 mètres de tirant d’eau et jaugeait 1713 tonnes. Il était manœuvré par un équipage de 37 marins.

Les clippers, aux lignes fines et sur-toilés, étaient des navires de transport aux allures de bêtes de courses

A l’époque de la ruée vers l’or en Amérique, tous les moyens de transport étaient bons pour rejoindre la Californie. Le Morning Light fut utilisé dans les premières années de sa carrière au transport des colons de Boston et New York, sur la côte est des Etats unis, vers San Francisco sur la côte ouest. A l’époque, le canal de Panama n’existait pas encore et le passage d’une côte à l’autre se faisait par le contournement du cap Horn, sur une durée d’environ quatre mois et demi. Le chemin de fer était juste en construction et loin d’être terminé, aussi le transport par bateau était encore le moyen le plus sûr (malgré le passage du cap Horn), plutôt que d’avoir à traverser tout le continent, entassés dans des chariots, à la merci des brigands…

En 1863 le clipper mit le cap plus au sud, quand il fut vendu à la compagnie anglaise Black Ball Line, de Liverpool. Rebaptisé Queen of the South, il a alors assuré le transport des migrants vers l’Australie. En 1867, il fut revendu à une autre compagnie de Liverpool, la Pacific Steam Navigation Company qui allait l’employer à des tâches nettement moins prestigieuses : s’il continuait à transporter les migrants dans un sens, au retour il transportait du fret de toutes sortes. Ainsi au début de l’année 1868, il chargeait une cargaison de 2000 tonnes de guano à Callao, au Pérou, pour le livrer à Saint Nazaire, sous le commandement du capitaine Thomas Reeves. En outre, 7 passagers (2 femmes et 5 enfants) profitaient de la traversée de l’Atlantique pour rentrer en France. Les quelques semaines de traversée ne devaient pas être très agréables avec le voisinage de la cargaison de guano qui devait propager des odeurs pestilentielles. Le guano n’est autre que des excréments d’oiseaux et de phoques, qui était très utilisé comme engrais. On en extrayait aussi des nitrates qui entraient dans la composition de la poudre à canon.

Le 24 avril 1868 dans la matinée, le Queen of the South arrivait devant l’embouchure de la Loire par très mauvais temps. Dans l’attente d’un pilote pour remonter le fleuve jusqu’au port de Saint Nazaire, l’estuaire étant particulièrement dangereux, le clipper dut se mettre au mouillage devant la pointe Saint Gildas en face du sémaphore. Dans la soirée, la mer devenant très forte finit par avoir raison du mouillage et la chaîne de l’ancre céda. Poussé par le vent et la marée, le navire finit par être drossé sur les rochers du banc de la Couronnée à 19h30. En milieu de nuit, des voies d’eau s’étaient déclarées dans les fonds et le navire commençait à se remplir de façon alarmante. La coque finit par se briser sous les assauts conjugués des vagues sur les rochers. L’équipage s’affairait à évacuer le navire, en commençant par les passagers, mais la mer était tellement déchaînée que les canots, à peine mis à l’eau, furent retournés et engloutis avec les personnes qui y avaient pris place.

Le lendemain matin, 25 avril, le chasse-marée Jeune Marie Désirée s’approchait de l’épave quand son patron, Jean Elie Chantreau, aperçut trois malheureux accrochés aux restes de mâture qui émergeaient encore. Parmi eux se trouvait John Boyle, le second du Queen of the South, qui allait pouvoir fournir un rapport accablant concernant les circonstances du naufrage et de la perte de 44 personnes dont les cadavres vinrent s’échouer les jours suivants sur le littoral.

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L’écho sonar de l’épave du Queen of the South

En mai 1868, soit un mois après la catastrophe, suite au témoignage du second John Boyle, une enquête fut menée et ses conclusions furent publiées dans un opuscule édité par les membres de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Nantes, paru le 6 juin 1868. Le rapport mettait en lumière les difficultés de communication entre le navire anglais et le sémaphore français, qui n’utilisaient pas le même code de communication et donc ne se sont pas compris. S’est ajouté à ce problème, la lenteur administrative de la transmission des ordres, le tout ayant abouti à l’absence de secours lors de la catastrophe.

Que s’est-il donc passé ? Un article paru dans le journal Le Temps, met en cause directement l’administration : « il y a quelque temps, un navire anglais le Queen of the South, venant des îles Chinchas, faisait naufrage à l’embouchure de la Loire. Quarante-deux personnes, deux femmes, cinq enfants étaient à bord. Trois hommes ont survécu. Qui a laissé périr les autres ?

Ouvrez une brochure de quelques pages que vient de publier M. A. Chérot, ancien élève de l’Ecole Polytechnique, ancien membre du conseil municipal de Nantes, elle vous répondra : la CENTRALISATION.

Le sémaphore de Saint-Gildas et le navire en détresse ont échangé des signaux, sans se comprendre, le capitaine n’ayant à son bord que le « Code Marryat » dont le vocabulaire a été remplacé depuis deux ans par une nouvelle langue, « Signalétique Internationale ». Le sémaphore a télégraphié au sous-commissariat de la Marine à Saint-Nazaire, qu’il ne comprenait pas les signaux du navire. La dépêche est arrivée vers sept heures du soir. Le sous-commissaire a télégraphié au commissaire-général de la Marine, résidant à Nantes et communiqué la dépêche du sémaphore au vice-consul d’Angleterre et au pilote-major. Mais de neuf heures du soir à sept heures du matin, le service télégraphique est interrompu en France ; la dépêche est arrivée à Saint-Nazaire le lendemain à huit heures.

Dans la nuit, les pilotes de Saint-Nazaire avaient débordé leurs chaloupes ; ils étaient prêts à prendre la mer. Plusieurs d’entre eux étaient allés proposer au pilote-major de partir. –Attendez, il n’y a pas d’ordre. Telle est la réponse qu’ils avaient reçue. Les ordres vinrent quatorze heures après la demande de secours. »

La cloche du Queen of the South, remontée de l’épave, est exposée au sémaphore de la pointe Saint-Gildas

Un autre article particulièrement acide, paru dans la presse le 30 mai 1868 sous la plume d’un certain Edouard Lockroy et intitulé « On meurt à cause de l’administration », fait une analyse au vitriol des difficultés administratives :

«M. Feynet raconte, dans le journal Le Temps, une histoire fort curieuse. Il y a quelque temps un navire anglais sombra à l’embouchure de la Loire. Les signaux de détresse ne furent pas compris de la côte. Cependant, comme on voyait qu’il allait périr, on télégraphia au sous-commissaire de la Marine à Saint-Nazaire, pour savoir s’il fallait lui porter secours. Le sous-commissaire télégraphia au commissaire-général à Nantes. Malheureusement, le service du télégraphe est interrompu pendant la nuit. La réponse arriva quatorze heures après la demande. Il y avait bien longtemps que l’équipage était noyé. On était allé, dans l’intervalle, prier le pilote-major de prendre la mer. Il avait dit : je n’ai pas d’ordre.

J’admire comme tout se passe avec ordre et régularité dans notre pays. On a inculqué aux employés subalternes un tel respect des règlements que, pour rien au monde, ils ne sauveraient un homme qui va mourir sans l’agrément de leur supérieur. C’est admirable. Pourquoi aussi un homme s’avise-t-il de mourir ? En plus en dehors des heures ouvrables ? Qu’il attende que nous ayons des ordres. Nous le sauverons. Ce n’est pas plus difficile que ça.

Exemple : un homme tombe à la mer, près de la côte du Sénégal ; un employé de la Marine est sur le bord, tenant une perche.

– Sauvez-moi ! crie l’homme

– Tout de suite ! répond l’employé. J’écris un mot au ministre de la Marine à Paris. Le paquebot part dans huit jours et si Son Excellence me répond courrier par courrier, avant deux mois je te tendrai la perche.

Ah ! Quels règlements, quelle administration, quels employés et comme ils vont bien ensemble ! Que nous sommes heureux d’avoir de tels gens pour NE PAS nous sauver en cas de péril ! Et dire que c’est pour tout comme ça. Oui, ces employés qui télégraphient pour savoir si l’on doit secourir des gens qui se noient ; ces employés me ravissent. Quand on a quelque chose de précieux, on dit : il faut le mettre sous verre. Pour eux, ce serait encore mieux de les mettre sous cloche. »

Ces difficultés administratives ont coûté la vie à l’équipage et aux passagers du clipper Queen of the South. Vous croyez qu’une telle situation ne pourrait plus se reproduire de nos jours ? Réfléchissez bien…

Quant aux restes du Queen of the South, ils sont encore présents sous quelques mètres d’eau près de la pointe Saint-Gildas, malgré quelques travaux de récupération menés dans les mois qui suivirent le naufrage. Le site, aux coordonnées : latitude 47° 09’ 383 N et longitude 2° 16’ 026 W, a fait l’objet de fouilles archéologiques et des objets provenant de l’épave sont désormais exposés à l’espace muséographique du sémaphore de la pointe Saint-Gildas. Il a même couru pendant très longtemps une légende concernant des coffres d’or qui seraient cachés dans les flancs du Queen of the South et dont une partie aurait été retrouvée en compagnie d’un cadavre dans une barque échouée et cachée sur le littoral… Mais, cela est une autre histoire. Une histoire comme les aiment les marins !

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