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En 1914 lorsque éclate la première guerre mondiale, la France disposait d’une flotte de quarante six sous-marins et submersibles aptes au combat, vingt huit autres étaient en construction.
Le sous-marin « Q55 » qui portait le nom de « Prairial » était un submersible de type « Pluviose », construit en 1908 à l’arsenal de Cherbourg pour la Marine Nationale française. Il mesurait 51 mètres de long et 5 mètres de large pour 3 mètres de tirant d’eau et un déplacement en plongée de 550 tonnes. Il possédait une motorisation mixte se composant de deux machines à vapeur à triple expansion propulsant deux hélices pour les déplacements en surface, qui permettaient d’atteindre une vitesse de 12 nœuds et de deux moteurs électriques pour 8 nœuds en plongée. Il transportait 7 torpilles de 457 mm.
Vers la fin de la Première Guerre mondiale, de nombreux submersibles étaient basés au Havre où la guerre sous marine était très active. Le « Prairial » faisait partie de ce dispositif. Le 27 avril 1918, tard dans la soirée, le « Prairial » sortait en rade du Havre dans une mer formée avec son équipage composé de vingt six hommes sous les ordres du lieutenant de vaisseau Jean-Marie le Moullec. Il était accompagné par son escorteur, le chasseur N°2. Il devait effectuer une plongée de quinze heures dans le secteur de la Manche entre le Havre et la côte anglaise. Pour se rendre en haute mer où il serait en mesure de s’immerger, il suivait son escorteur à une distance très rapprochée.
Peu après minuit, le convoi franchissait la passe du grand barrage, faisant route vers le nord ouest. Après avoir échangé les signaux d’usage avec l’araisonneur de garde, les deux bâtiments atteignirent les eaux ouvertes par nuit noire, avec la mer bien creusée par des lames de deux mètres de haut qui balayaient le sous-marin d’un bout à l’autre.
Le 28 avril 1918 à 3 heures 25 apparurent les feux des bâtiments d’un important convoi qui descendait la Manche à grande vitesse. Parmi eux le Tropic, un cargo anglais venant de Spithead, naviguait déporté de sa route, plus proche de la côte que les autres bâtiments de son convoi. Il se trouvait dans le nord-est, en vue d’Antifer, à proximité sinon même dans une zone interdite.
La route du cargo l’amenait tout droit à croiser celle du sous marin qui lui aussi avait pourtant ses feux bien visibles. Le cargo approchait dangereusement, à tel point qu’à bord du sous-marin on entendait le sourd grondement des ses machines jusqu’à ce que les veilleurs aperçoivent son sillage d’écume blanche.
Depuis le chasseur N°2, on avait l’impression que le Tropic allait passer entre le Prairial et son escorteur. Le chasseur N°2 lança alors des coups de sifflets de vapeur pour mettre en garde le cargo. Brusquement les feux du Prairial disparurent de la vue de l’escorteur pour reparaître presque aussitôt à l’arrière du Tropic, donnant l’impression que le transport venait de passer entre les deux navires militaires, formant écran entre eux.
A 3h43, le commandant du Tropic nota dans son livre de bord : « Aperçu un petit navire qui croise la route du Tropic et un autre très peu en arrière qui essaie d’en faire autant. On voit leurs feux verts. Les feux du Tropic sont tous clairs ». A 3h45, il fit battre en arrière toute et 3 minutes plus tard, une collision se produisit.
Le Prairial se trouvait en fait directement dans le sillage de l’anglais qui lui était passé dessus. Il était trop tard malgré les manœuvres de l’escorteur pour protéger le Prairial qui venait d’être éperonné. Celui-ci commença à signaler par signaux lumineux : « nous venons de… », puis les signaux stoppèrent d’un seul coup, toutes les lumières à bord du sous-marin s’éteignirent et le message resta inachevé.
A ce moment, le chasseur N°2 s’approcha à moins de 10 mètres du prairial, l’équipage de l’escorteur entendit sur la mer des cris « au secours, au secours… » Il était alors 4 heures du matin.
A 4h10, n’entendant plus rien et ne voyant rien, le Tropic remit en route sans même avoir mis ses embarcations à la mer, ne pensant pas que cela soit nécessaire. A bord du Tropic, le choc ressenti avait été si faible, déclara-t-on, que l’on ne pensa pas avoir coulé le navire abordé…
Le sous-marin a été éperonné par tribord à moins de cinq mètres de l’étrave. Lorsque la haute étrave du transport s’est dressée devant lui, taillant la mer échevelée, le commandant du Prairial qui a gardé son sang-froid, a donné instantanément l’ordre de battre arrière et de mettre la barre toute à droite. L’évolution n’était pas achevée que la collision se produisait. Les ballasts tribord avant crevés à la hauteur de la cuisine électrique, l’eau s’y engouffra, l’officier en second tenta vainement de mettre en marche les pompes d’épuisement, mais déjà l’eau montait de toute part.
Le commandant resté à son poste, cria à ses hommes par le panneau du kiosque et le porte-voix aux machines : « Prenez vos bouées !… Sauvez-vous… » Il n’y avait plus de lumière à bord, les hommes sur le pont apercevaient au ras de l’eau le projecteur du chasseur N°2 qui éclairait la surface à la recherche du submersible. Des hommes essayaient de sortir par le panneau du kiosque, d’autres par le panneau du milieu, mais ils étaient balayés par les vagues énormes qui se déversaient à l’intérieur par les panneaux ouverts.
En une minute, le sous-marin commença à piquer du nez et sombra en quelques instants. Le Commandant, resté sur la passerelle, sentit le sous-marin se dérober sous ses pieds et fut emporté avec lui. Sept hommes qui nageaient en surface furent sauvés par l’escorteur, dix neuf autres ont disparu dans le naufrage du Prairial. Plus d’un mois plus tard, la mer rendit le corps du lieutenant de Vaisseau Le Moullec, mort à son poste. Il eut droit à des funérailles solennelles.
L’endroit où avait sombré le Prairial fut repéré dans l’après-midi du 1er mai, grâce aux énormes bulles de mazout qui s ‘échappaient des soutes qui en contenaient près de huit tonnes. Le lendemain un scaphandrier descendit sur l’épave qui reposait sur un fond de 19 mètres, il observa que le sous-marin reposait droit.
Le scaphandrier eut un instant d’extrême émotion lorsqu’il aperçut par le panneau ouvert du kiosque un marin cramponné si désespérément à l’échelle de sortie qu’il lui fut impossible de dégager son corps pour le ramener à la surface.
Un moment, l’Amirauté pensa à renflouer le sous-marin, mais il était dit que la sépulture sous-marine des hommes du Prairial ne devait pas encore connaître la paix : le 5 Mai, l’épave signalée par une bouée fut à nouveau bombardée un dirigeable qui a confondu le sillage de cette bouée avec celui d’un sous-marin ennemi, les patrouilleurs qui se trouvaient à proximité accoururent et à leur tour grenadèrent le site, ce qui provoqua une nouvelle remontée de mazout. La méprise fut reconnue lorsque la bouée fut identifiée. L’épave avait bougé sous les explosions des grenades sous-marines et gisait désormais avec une inclinaison de 45° sur tribord.
La commission d’enquête estima qu’à bord du sous-marin, chacun avait fait tout ce qu’il était possible de faire pour sauver le bâtiment en faisant preuve d’une abnégation totale et elle rendit hommage au commandant du Prairial, sombré volontairement avec son navire, fidèle à la plus haute tradition de la Marine.
Le Prairial repose encore aujourd’hui par 20 mètres de fond (à marée basse) à 12 milles nautiques du Havre, avec la plus grande partie de son équipage, à demi enfoui sous les sables apportés par les courants de la Manche, aux coordonnées : latitude 49° 32’ 816 N et longitude 0°05’ 301 W. En 1988 les plongeurs démineurs de la Marine Nationale remontèrent les deux hélices en bronze d’un soixantaine de kilos chacune pour les déposer au port de Cherbourg.
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