Chaque jour, une épave : 8 mai 1902, Roraima, Tamaya, les naufrages de l’éruption en Martinique

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L'éruption de la Montagne Pelée et ses épaves, vues par Dominique Serafini qui a publié une bande dessinée sur le sujet (voir en fin d'article)
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Chaque jour, découvrez dans www.plongee-infos.com l’histoire d’une épave, coulée à la même date par le passé, quelque part près des côtes françaises ou ailleurs dans le monde, déjà explorée… ou pas ! Vous retrouverez ainsi quotidiennement un nouveau site, pour vous confectionner une collection passionnante pour vos futures plongées ou simplement pour explorer… l’Histoire!

Ils avaient pour nom Roraima, Tamaya ou encore Nord-America, Teresa Lo Vico, Diamant et Biscaye, en tout 18 navires ont coulé corps et âmes en ce jeudi 8 mai 1902, jour de l’Ascention, dans la baie de Saint-Pierre en Martinique, suite à l’explosion du volcan de la Montagne Pelée qui a détruit la ville, causant la mort de près de 30 000 personnes.

À cette époque, Saint-Pierre était la capitale de la Martinique et la plaque tournante de l’économie de tout l’arc antillais. Surnommée « le Petit-Paris », c’était une ville agréable à vivre. La montagne Pelée, volcan que l’on disait éteint et sans danger pour la population, était un lieu de tourisme.

Dès le mois de février 1902, diverses manifestations du volcan auraient dû être des signaux d’alarme. Des averses de cendres ont déjà commencé à tomber sur Saint-Pierre. Les écoles ont été fermées à partir du 3 mai. La population attendait dans l’inquiétude. Certains prirent la fuite, la situation ne présageant rien de bon. Préoccupées davantage par l’organisation du deuxième tour des élections législatives qui devaient avoir lieu le 11 mai, les autorités s’efforçaient de rassurer la population. Le 5 mai, la sucrerie Guérin, à 3 kilomètres de la ville, fut détruite par une coulée de boue, faisant de nombreuses victimes. Un raz-de-marée s’ensuit sur la rade, sans aucune réaction des autorités. Au contraire, on rassurait et on appelait au calme.

La baie de Saint-Pierre et le mouillage des navires

Pour éviter d’affoler la population, il fut interdit aux capitaines des navires au mouillage, de lever l’ancre sans autorisation. Le 7 mai, un homme pourtant, le capitaine Ferrata, commandant de l’Orsolina, décida de partir. Son bateau était déjà couvert de cendres. Il connaissait déjà bien les colères du Vésuve et ce qu’il voyait l’alarmait au plus haut point, de par son expérience du volcan italien. Les douanes refusèrent de le laisser partir, et le menacèrent de lourdes sanctions s’il levait l’ancre malgré tout. Il les quitta en leur répliquant : « Qui m’appliquera les sanctions ? Demain, vous serez tous morts ! ». Son bateau fut le seul rescapé de ceux qui se trouvaient en rade.

Les candidats aux élections législatives, Fernand Clerc et Louis Percin eux, avaient déjà fui la ville depuis 6h30. A 7h52, en moins d’une minute, près de 30 000 habitants périrent étouffés, brûlés, asphyxiés.

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L’éruption de la Montagne Pelée fit 30 000 victimes en une minute

Parmi les 18 navires qui restèrent au mouillage dans la baie de Saint-Pierre, se trouvait le Roraima, cargo à vapeur mixte fret/passagers battant pavillon canadien. Construit en 1883 par les chantiers Aitken & Mansel, de Glasgow en Ecosse pour la compagnie anglaise Mogul Line sous le nom de Ghazee, il avait été racheté en 1900 par la compagnie Quebec Steamship et avait été rebaptisé Roraima. Long de 103 mètres pour 11 mètres de large, il jaugeait 2712 tonnes et était motorisé par une machine à vapeur Compound à 2 cylindres de 350 cv.

L’éruption de la Montagne Pelée, le jeudi 8 mai 1902, jour de l’Ascension, à 7h52

Le Roraima venait tout juste de jeter l’ancre dans la baie de Saint-Pierre quand la catastrophe se produisit. Voici le témoignage de l’un des rares survivants de l’équipage du Roraima, l’officier Ellery Scott :

« Le jour commençait à poindre lorsque le 8 mai au matin, la Martinique fut signalée. Nous venions de traverser un orage et il était environ 6 heures lorsque nous jetâmes l’ancre en vue du débarcadère de la place Bertin. Quand l’agent vint à bord avec les chalands et les gabariers, il nous dit que la Montagne Pelée faisait des siennes depuis le samedi et que jusque dans Saint-Pierre il était tombé une forte pluie de cendres chaudes. Cependant le volcan paraissait apaisé et les gabariers se mirent vaillamment au travail.

Il y avait à l’ancre à côté de nous, dans la rade, environ 18 vapeurs ou caboteurs, sans compter 4 grands voiliers dont l’un était un navire français du port de Nantes, le Tamaya, capitaine Moritz. Le steamer anglais Roddam était mouillé tout près de nous.

Il se produisit alors un singulier phénomène, comme une sorte de trépidation de l’atmosphère et j’eus la sensation d’avoir été bousculé par une main invisible. Immédiatement, quelqu’un s’écria auprès de moi : -Grand Dieu ! Regardez !

Il avait les yeux fixés sur la Montagne Pelée et les regards de tous prirent la même direction.

Ce que je vis, je suis impuissant à le décrire, mais ma première pensée fut que c’était la fin du monde. On aurait dit que tout ce qu’il y avait de dynamite dans l’univers venait de faire sauter la montagne.

Une immense colonne de flammes s’éleva droit dans l’air, puis s’élargissant, sembla crouler sur nous du haut du ciel. Je courus alors avec notre second et quelques hommes vers la pointe d’avant pour essayer de lever l’ancre. En passant, j’entendis le capitaine donner des ordres et le vis le mécanicien descendre précipitamment dans l’entrepont.

Le Roraima et le Tamaya dans la tourmente

Au moment où nous arrivions à l’avant, la terrible trombe était sur nous. Une véritable avalanche de pierres incandescentes, de fange bouillante et de gouttes de feu s’abattit sur le bâtiment comme une volée de mitraille. En même temps, on aurait dit que toute l’eau du port se ramassait en bloc avec un fracas épouvantable, pour se ruer à l’assaut des navires qui, soulevés par l’énorme vague, semblèrent capoter et couler à pic. Quand le raz de marée atteignit le Roraima, ce fut un effroyable coup de tangage et tout fut rasé sur le pont : les mâts, les cheminées, les embarcations, tout. Il y avait une manche à air à ma portée : je m’y accrochai de toutes mes forces, ce qui faillit me coûter la vie car la force du flot fit entrer mon corps dans l’orifice. Deux gabariers me dégagèrent et m’entrainèrent dans l’entrepont. Je restai là quelques instants, à moitié évanoui, pendant que les projectiles et le feu faisaient rage au-dessus de moi.

De temps en temps, un matelot carbonisé dégringolait, avec des hurlements atroces, à travers l’écoutille et expirait en bas : je fus bientôt enseveli sous un monceau de cadavres. Quelqu’un pourtant m’ayant relevé, je remontai sur le pont et je me mis à essayer de sauver les blessés qui étaient tous étendus çà et là sous la boue et les pierres incandescentes qui continuaient de pleuvoir. Pendant que j’étais à cette besogne, le capitaine Mugrah parut : je ne le reconnus qu’à ses vêtements qui fumaient, car son visage entièrement brûlé était méconnaissable.

-Amène tout, cria-t-il. Il fut impossible d’obéir à cet ordre car, après avoir échappé au raz de marée, le navire avait été troué comme une écumoire par la pluie de feu.

Je n’ai plus revu le capitaine depuis, mais un gabarier m’a dit qu’il avait sauté par dessus bord, s’était réfugié sur un radeau qu’on avait improvisé en toute hâte et qu’il y était mort presque aussitôt.

Pendant ce temps, la mer continuait de rouler de formidables lames de fond, la Montagne Pelée ne cessait de mugir et de prodigieuses secousses ébranlaient l’atmosphère. Du côté de Saint-Pierre, le spectacle était terrifiant. La ville avait disparu et à sa place, on n’apercevait plus qu’une immense traînée de poussière grise, de flammes et de fumée. Tout autour de nous, les navires qui n’avaient pas coulé flambaient et toute la rade était couverte de cadavres flottant isolément ou par groupes.

Quelques heures plus tard – je ne saurai dire au juste combien – vers 3 heures de l’après-midi d’après ce qu’on m’a raconté, le navire français Suchet put nous accoster : c’est ainsi que j’ai été sauvé avec 16 autres personnes, toutes plus mortes que vives. On nous conduisit à Fort-de-France, où nous avons été recueillis à l’hôpital. »

On sait que 9 des compagnons de Ellery Scott moururent pendant le trajet vers Fort-de-France. Le Roraima et sa cargaison de potassium continuèrent à brûler pendant 3 jours avant que le navire moribond finisse par sombrer. 53 membres d’équipage et passagers moururent à bord.

L’épave du Roraima reste aujourd’hui encore par 45 mètres de fond, posée sur sa quille avec une légère inclinaison sur son bâbord aux coordonnées : latitude 14° 44’ 42 N et longitude 61° 10’ 85 W. Le site est devenu un grand classique de la plongée en Martinique.

Saint-Pierre, le jour d’après…

Le Tamaya, voisin du Roraima au mouillage, était un grand voilier trois-mâts barque de 50 mètres de long sur 8 mètres de large, jaugeant 500 tonnes, construit en 1862 en Grande Bretagne aux chantiers Vernon de Liverpool pour la compagnie Balfour Williamson, avant de passer aux mains de la compagnie française Pitre Rozier et Cie, de Nantes. Ce splendide navire aux formes élancées brûla et coula immédiatement lors de l’explosion du volcan, entraînant avec lui la totalité des 13 hommes de son équipage. Son épave a été découverte en 1984 par le navire océanographique D’Entremaux et identifié grâce à sa cloche, par 85 mètres de fond, aux coordonnées : latitude 14° 44 261 N et longitude 61° 11’ 023 W. Le site constitue aujourd’hui un « must » pour les plongeurs Tek, au regard de sa profondeur qui nécessite une plongée au Trimix.

On trouve encore les navires Nord-America, Teresa Lo Vico, Grappler, Diamant, Biscaye parmi la liste des bateaux coulés dans la rade de Saint-Pierre en ce 8 mai 1902, dans un périmètre très proche des deux premiers.

Pour un peu, aurait aussi pu se trouver dans les victimes le grand voilier Belem, qui n’était qu’à trente kilomètres à vol d’oiseau du terrible volcan, en-dehors de la baie. Il put cependant échapper au désastre, mais son pont fut couvert de cendres et de cailloux, son gréement et sa mâture en subirent quelques dommages ; la couche épaisse de poussières volcaniques fut transformée quelques heures plus tard par la pluie torrentielle en une boue caustique et consistante difficile à enlever, aussi dure qu’un mortier.

A lire : la superbe bande dessinée de Dominique Serafini : Saint-Pierre, escale infernale.

Dominique Serafini, ancien membre de l’équipe Cousteau, a toujours été passionné par l’histoire dramatique du drame de Saint-Pierre. Il a participé aux plongées pour explorer et identifier les épaves. En 1983, il a pu faire une plongée en solitaire sur l’épave vierge et encore inconnue du Tamaya, par 85 mètres de fond. Il en a remonté un croquis qui a par la suite inspiré l’une de ses toiles maîtresses. http://www.dominiqueserafini.com

Lien vers video Youtube de Caribbean Dream Destinations :

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