Du 21 au 26 octobre 2018 aura lieu la 18e conférence internationale sur les algues nuisibles à Nantes, événement organisé par l’Ifremer avec le soutien d’un réseau de 40 laboratoires français (le groupe de recherche Phycotox et le groupement d’intérêt scientifique sur les cyanobactéries). L’occasion de faire le point sur quelques questions scientifiques que soulèvent ces organismes marins aux effets environnementaux et sanitaires néfastes.
Invisibles à l’œil nu, les micro-algues mesurent à peine 20 à 50 microns, soit moins que le diamètre d’un cheveu. Elles produisent près de la moitié de l’oxygène de notre planète et constituent le premier maillon de la chaine alimentaire marine. Parmi les milliers d’espèces connues, seule une centaine produit des toxines aux effets néfastes. Elles peuvent être toxiques pour la flore et la faune marine, provoquant par exemple des mortalités de poissons. Elles peuvent aussi être toxiques pour l’homme principalement via la consommation de fruits de mer, étant à la base de l’alimentation des coquillages. En cas de prolifération, elles donnent parfois à l’eau une teinte variant du bleu turquoise au rouge, en passant par le vert et le jaune brun.
Impact accru des activités humaines
Ces efflorescences sont étroitement liées à une exploitation intensifiée des bassins versants et des zones côtières par les activités humaines : les micro-algues se nourrissent en effet du CO2 et de nutriments (phosphate et azote) issus notamment de l’agriculture industrielle ou des stations d’épuration. « On constate qu’il y a plusieurs zones côtières dans lesquelles les efflorescences de micro-algues toxiques augmentent, mais cela n’est pas à généraliser à l’échelle globale », souligne Philipp Hess, chercheur à l’Ifremer, organisateur du colloque sur les algues nuisibles et coauteur du guide Micro-algues toxiques et nuisibles de l’océan mondial publié par l’Unesco (séance de dédicace le 25 octobre dans le cadre du colloque). Dernier exemple spectaculaire sur notre planète bleue : la « marée rouge » provoquée par la microalgue Karenia brevis en Floride, qui a débuté en octobre 2017 et s’est accentuée depuis l’été dernier sur une distance de 320 km, décimant des tonnes de poissons. « Un pays se démarque dans le contexte mondial, relève Philipp Hess, c’est le Japon. Après une augmentation du phénomène jusqu’au milieu des années 70, une gestion drastique des rejets de nutriments a permis de réduire considérablement le nombre d’efflorescences d’algues toxiques. »
30 ans de surveillance en France
En France, trois familles de microalgues toxiques sont particulièrement surveillées : Dinophysis (qui produit des toxines diarrhéiques), Pseudo-nitzschia (des toxines amnésiantes), et Alexandrium (des toxines paralysantes). La première est la plus répandue sur l’ensemble du littoral français, avec de nombreuses zones touchées chaque année. Les toxines paralysantes et amnésiantes sont plus nocives mais moins souvent présentes sur nos côtes. Les toxines paralysantes ont été sans doute introduites par le biais de coquillages importés, on les observe régulièrement dans certaines zones seulement, notamment dans l’étang de Thau et en Bretagne nord, avec une apparition plus récente en rade de Brest à l’été 2012. Quant aux toxines amnésiantes, elles sont apparues en 2000, avec un premier signalement en Bretagne ouest, concomitamment à leur apparition à l’échelle de l’Europe entière. Ces toxines affectent plus particulièrement les coquilles Saint-Jacques.
Les espèces toxiques et les toxines sont suivies depuis les années 80 par le réseau de surveillance REPHY-REPHYTOX, à travers des observations, des prélèvements et des comptages à l’aide d’un microscope et des analyses de toxines. Avec une fréquence de mesure pouvant être hebdomadaire sur plusieurs centaines de points de prélèvement.« Aucune vraie tendance ne se dessine à partir des données accumulées depuis 1987, que ce soit sur une augmentation ou une diminution potentielle du nombre d’épisodes toxiques par famille de toxines », souligne Catherine Belin, co-auteur d’un ouvrage à paraitre aux éditions Quae sur les 30 ans de données acquises depuis la mise en place de ce réseau(présentation sur ce sujet le 24 octobre).
L’avenir est encore incertain
Les scientifiques s’interrogent aussi sur l’évolution des micro-algues toxiques à l’avenir, sachant que le changement climatique aura un impact sur la température de l’eau, sa salinité ou encore son pH. Ainsi, on pourrait s’attendre à ce que des températures plus douces favorisent les efflorescences, puisque c’est un facteur déclencheur au printemps et en été. Mais la baisse de pH pourrait limiter la croissance de certaines. « Nos expériences en laboratoire montrent qu’une baisse de salinité ou de pH pourrait affecter la prolifération et la toxicité des efflorescences de Pseudo-nitzschia dans 100 ans », relève la chercheuse Nour Ayache, en lien avec sa présentation le 23 octobre au colloque. Au contraire, d’autres micro-algues, qui alimentent Dinophysis, risquent d’être favorisées par cette baisse de pH. Un processus particulièrement étudié dans le cadre du projet européen Co-Clime (Co-development of climate services for adaptation to changing marine ecosystems) auquel contribue l’Ifremer. D’ailleurs, les scientifiques s’intéressent de plus en plus aux interactions entre les micro-algues pour anticiper leur évolution : « Chaque micro-algue occupe une niche dans la communauté phytoplanctonique. Soit elles s’entraident, soit elles sont en compétition avec leurs voisines. Il faut donc comprendre cette communauté pour prévoir son évolution », souligne Stéphane Karasiewicz qui étudie actuellement la niche d’Alexandrium avec celle des autres espèces en rade de Brest (présentation le 23 octobre).
Le changement climatique pourrait donc avoir un impact sur les efflorescences de micro-algues toxiques. Inversement, certaines de ces micro-algues pourraient avoir un effet bénéfique pour le climat : l’Ifremer étudie ainsi deux espèces d’Alexandrium qui produisent une molécule précurseur d’un gaz à effet refroidissant (posters présentés les 22, 23 et 25 octobre par les chercheuses Amandine Caruana et Solène Geffroy).
Reste que la toxicité de ces micro-algues sur l’environnement et les bivalves est de mieux en mieux comprise. Ainsi, une expérimentation menée en laboratoire à l’Ifremer en 2017 a montré que certaines toxines produites par l’espèce Alexandrium catenella étaient capables d’induire la mort des cellules immunitaires de l’huître réduisant ainsi leur capacité de défense contre les infections microbiennes (présentation du chercheur Jean-Luc Rolland le 23 octobre). Une avancée notable qui suggère qu’un tel type d’efflorescence toxique pourrait contribuer aux phénomènes de mortalité massive de l’huître creuse.
Programme complet et Informations pratiques sur le site web du colloque.