Une aventure vécue de Gérard Loridon
Gérard Loridon, infatigable conteur, a déjà publié de nombreux livres et romans ayant pour thème la mer et les plongeurs. Il est aussi l’auteur d’un blog (voir lien en fin d’article) où il publie régulièrement de nouvelles histoires. Un “vieux de la vieille”, ancien plongeur du temps des pionniers du Gers, ces plongeurs d’essai de la Marine Nationale, dans les années 50, au sein desquels il fait son service militaire puisqu’il est déjà scaphandrier dans une des toutes premières entreprises privées. Il nous offre cette truculente histoire, dramatique et comique à la fois de l’une de ses aventures en cette époque des pionniers…
Février 1956. Une vague de froid sans précédent vient de s’abattre sur le littoral Méditerranéen. Les oliviers gèlent, ce qui fait dire au provençaux que l’on entend les arbres crier… Le 14 février, la Côte d’Azur est bloquée par la neige. Une aviatrice célèbre, Marie Nicolas décolle avec un monomoteur Norécrin de l’aérodrome de Cannes Mandelieu avec à son bord un journaliste de France Soir et un photographe (Mrs Costes et Bravet). Ils partent pour faire un reportage vers St Tropez.
L’avion décolle mais a peine a-t-il pris un peu d’altitude, qu’il décroche et part en perte de vitesse. Il s’abîme dans la mer devant le port de la Galère à Théoule. Les secours arrivent très vite sur place, mais ne peuvent retrouver que les corps des journalistes, celui de la pilote est resté prisonnier de l’épave.
Devant la perte de cette personnalité, l’Amiral Nomy ministre de la marine, demande que soient envoyés sur place, pour retrouver les restes de cette aviatrice renommée, les meilleurs plongeurs de la Marine Nationale, ceux du GERS. Le capitaine de frégate René Chauvin qui commande l’unité choisit cinq plongeurs, dont je fait partie, pour cette délicate mission.
Le lendemain nous voit donc, au large de Théoule, dans un froid intense à bord du canot de sauvetage « Notre dame de Bon port » à la verticale de taches irisées d’essence, provenant de l’épave de l’avion. Nous sommes sous les ordres du lieutenant de vaisseau Francis Le Boucher, officier en second du Gers, commandant du bateau l’Elie Monier.
Nous nous habillons en Mutta di Gomma et nous plongeons deux par deux. Je suis dans la deuxième équipe. Comme ceux qui m’ont précédé, je ne découvre rien sur le fond, situé quand même à 54 mètres de profondeur. Nous sommes équipés de ces scaphandres tri/acier, sortant de la Spirotechnique, dont la contenance est assez faible et du détendeur CG 45. Il fait au fond et surtout au palier, un froid de loup. Nous sortons violets, après les paliers rendus nécessaire suite la durée de la plongée de vingt minutes au fond.
Le commandant Le Boucher explique alors aux autorités présentes, qu’il faut faire draguer le fond si on veut avoir une chance d’accrocher l’épave. Ce qui est fait dans les jours qui suivent, par deux bateaux de pêche, tractant un filin équipé de gueuses.
Nous sommes donc de retour, la même équipe, la semaine suivante. Je plonge en première bordée avec Bernard Cabrejas ; nous nous connaissons bien, sortant tous les deux de la Sogétram avant notre incorporation. Nous n’avons pas besoin de beaucoup de signes pour nous comprendre. Nous descendons le long du câble que nous découvrons pris dans le moteur de l’avion. Ce dernier est en plusieurs morceaux informes, dispersés ça et là. Mais pas le corps de la malheureuse pilote.
Il faut faire vite, nous nous éloignons l’un de l’autre, en restant cependant à vue et nous commençons à faire des cercles ; il faut être calme, pour respirer lentement, et ne pas se narcoser. N’oublions pas que nous sommes à 54 mètres, que l’eau est glacée, que nous avons des vêtements qui sont loin d’être aussi isothermes que nos néoprènes actuels, que l’air des bouteilles nous est distribué par le détendeur ancestral, le CG 45. Dans ces conditions, l’ivresse dite des grands fonds existe et nous en sommes conscients.
Nous sommes en train de passer sur réserve, c’est-à-dire que nous ouvrons le robinet de la troisième bouteille. Soudain, dans un creux de sable, je découvre les restes de Marie Nicolas, dont le corps reposant dans l’eau depuis plusieurs jours a subi les attaques du milieu. Je fais signe à Bernard, qui comprend aussitôt et nous prenons chacun l’un des bras du cadavre et prenons la direction la surface. Pas question de faire de palier avec le corps. Quand nous arrivons en surface au milieu des autorités et autres journalistes, personne ne veut accepter la prise en charge des restes de la malheureuse aviatrice. Heureusement, il y a là le médecin légiste qui lui, nous débarrasse du corps. Ceci au milieu de nos vociférations : «vite, attrapez-là, il faut que l’on retourne au palier…» Ce que nous faisons enfin. Le palier est long, nous vidons jusqu’à la dernière goutte d’air, en claquant des dents sur l’embout du CG45. Et nous remontons à bord, en piteux état.
Démontrant la solidarité des gens de mer, le patron du canot de sauvetage, fait sauter le plomb fermant la pharmacie du bord et nous offre la bouteille de rhum, inscrite sur la liste des médicaments : «…allez y les gars, ça vous réchauffera…» L’alcool, c’est connu, ça réchauffe, mais très brièvement, alors nous en avons usé largement jusqu’à l’extinction complète du liquide. Le Commandant Le Boucher, lui nous regardait en se disant que : «Après tout, si cela leur fait du bien, il ne leur reste plus qu’à ranger le matériel et à dormir en route…» Lui il avait fait les convois d’Atlantique pendant la guerre et il avait le respect du marin. Mais il avait oublié l’essentiel.
Arrivé au port, les autorités et personnalités présentes se devaient de se congratuler mutuellement, de se féliciter de cette mission parfaitement accomplie. C’est alors que survient, descendant de son véhicule avec chauffeur, un haut gradé de la Gendarmerie Nationale. Car, il y avait aussi des gendarmes. Un grand silence se fait devant cette personnalité militaire qui demande à passer en revue, ses gendarmes et les plongeurs, bien sûr. Notre supérieur, le Commandant Le Boucher commence à être inquiet, mais nous ordonne de nous ranger en ligne. Ce qui ne se révèle pas facile, vu notre fâcheuse propension à ignorer le cérémonial militaire et surtout l’état d’ivresse que l’on ne pourra pas faire avaler au super Pandore, prétextant une suite de la Narcose des Grands fonds !
Mais enfin, on réussit, à établir une ligne zigzagante. Ceci fait, l’Officier, passe devant ses hommes et nous entendons le chef de Brigade lui dire : «…mais, oui, bien sur, mon Colonel, nous avons enfin réussi…» Nous, nous restons pantois, mais ronds comme des queues de pelle, ce qui nous procure un calme relatif et presque respectueux. Le rhum militaire a fait son œuvre et nous sommes amorphes quand, soudain, l’un d’entre nous, se réveille et, alors que le gendarme lui sert la main, lui envoie : « À vot’service, mon vieux, vous savez où nous trouver !» D’un matelot en bleu de chauffe à un cinq galons de la Gendarmerie Nationale, ça choque ! Stupeur dans la foule.
Le Commandant Le Boucher, redoutant une suite, due à une émulation éventuelle, de la part des autres membres de l’équipe, lance : «À votre matériel les gars, on embarque…» Dispersion, départ en vitesse et sans fanfare. Il ne nous en voudra pas, nous offrant un bon gueuleton au retour, dans un excellent restaurant à Ste Maxime. Euphorique, l’un d’entre nous passera toute la durée du repas assis sur la casquette de notre officier. Mission accomplie dans la joie !
L’épave était oubliée quand un groupe de plongeurs de la région l’a retrouvée, il y a environ dix ans, avec quelques images des restes disparates dus au choc. L’avion est sectionné en trois parties principales moteur/cabine/queue. Le tout repose près d’un tombant devant le port de La Galère, à Théoule.
L’aviatrice Marie Nicolas établit le record du monde des 500 km en circuit fermé pour avion de tourisme (décembre 1951)
Marie Nicolas est née le 7 février 1903 à Lyon. Elle dirige un commerce de chaussures à Limoges. Puis vient à l’aviation et passe ses premiers brevets en 1935 à Bron à l’Aéroclub du Rhône et du Sud-Est. Ultérieurement, elle obtient son brevet de transport public. Installée sur la Côte d’Azur, elle s’inscrit à l’Aéroclub de Cannes «Les Ailes d’Azur», et participe à d’innombrables rallyes. Marie Nicolas est détentrice du record international de vitesse en circuit fermé pour appareils de moins de 1000 kg sur 500 et 1000 Km. Le 7 juillet 1954, elle bat le record international de vitesse sur 2000 km en circuit fermé avec son avion personnel, un Norécrin monomoteur de 4 places. Marie Nicolas trouve la mort avec deux de ses amis à bord de son Norécrin, immatriculé F-BEBN, le 14 février 1956 au large de Cannes.
Blog de Gérard Loridon : https://le-scaphandrier.blog4ever.com
Magnifique texte!