D’après le fond de docummentation IFAW
Autrefois, la baleine bleue communiquait avec ses congénères sur des océans entiers. Aujourd’hui, la distance sur laquelle ces baleines peuvent s’entendre a diminué de 90 % à cause du niveau sonore accru. Ces dernières décennies, le bruit sous-marin d’origine humaine a augmenté dans des proportions dramatiques. Cette augmentation est vouée à se poursuivre et, à moins d’être maîtrisée, représente une menace potentielle majeure pour les animaux marins de toutes sortes dans le monde. Le Fonds international pour la protection des animaux (International Fund for Animal Welfare, IFAW) a produit une étude complète sur l’impact négatif des nuisances sonores sur la faune sous-marine…
Les grands cétacés et autres espèces marines qui peuplent notre planète bleue se noient dans les problèmes. Les menaces qui pèsent sur ces magnifiques créatures et leurs habitats sous-marins semblent se multiplier jour après jour. Industrie chimique, métaux lourds et engrais, urbanisation galopante des littoraux, marée montante de déchets solides, filets de pêche démodés, collisions avec les navires rapides, résurgence de la chasse commerciale à la baleine au 21e siècle et, désormais, la menace globale du changement climatique sont autant d’obstacles à leur survie. S’y ajoute une nouvelle menace, aussi insidieuse qu’invisible : la pollution sonore des océans.
De nos jours, l’humanité impose un véritable déferlement sonore aux océans. La cacophonie collective de millions de navires bruyants, les explosions assourdissantes des pistolets sismiques à air comprimé, le tintamarre déchirant provoqué par l’utilisation sans restriction des sonars militaires à haute intensité et toutes sortes de bruits d’origine humaine commencent à réduire au silence le chant naturel de la mer.
Pour les créatures dont la survie dépend de l’audition, cela représente une sérieuse menace. Une pollution sonore débridée étouffe les appels des baleines et des autres mammifères marins avec des conséquences désastreuses sur leur capacité à se nourrir, se reproduire, nourrir leurs petits, s’orienter et communiquer dans leur vaste royaume aquatique. La pollution sonore des océans éloigne déjà certains mammifères marins de leurs zones de nourrissage et de reproduction.
Alors qu’il nous reste encore beaucoup à apprendre, certains scientifiques marins préviennent que non seulement des mammifères marins perdent l’audition à cause des pires exemples de notre pollution sonore incontrôlée, mais que certains d’entre eux en meurent déjà.
Ce nouveau rapport d’IFAW et les recommandations pratiques qu’il contient, justifiées par des éléments scientifiques, lance un vibrant appel à l’humanité pour qu’elle baisse le volume. Bien qu’on ne connaisse pas avec certitude l’ampleur des dégâts déjà causés par la pollution sonore des océans, il est temps que la communauté internationale – les gouvernements, les organismes internationaux, l’industrie et les individus – coopère pour appliquer dès maintenant le principe de précaution. Sans cette action collective, l’augmentation inexorable de la pollution sonore des océans pourrait bientôt menacer des populations entières de mammifères marins. Quelle terrible ironie ce serait si les effets définitifs de cette « pollution invisible » ne devenaient évidents que … trop tard !
Echouages
En mars 2000, 14 baleines à bec, deux baleines de Minke et un dauphin ont été retrouvés échoués sur des plages des îles Providence (Chenal Providence Nord-Est et Nord- Ouest) dans les Bahamas . Huit des baleines à bec ont été remises à l’eau vivantes. Ces échouages se sont produits seulement quelques heures après un exercice de l’US Navy utilisant des sonars tactiques moyenne fréquence. Des échantillons prélevés sur quatre des baleines mortes ont montré des signes de dommages de l’oreille interne, l’un des animaux présentant des lésions du tissu cérébral.
Après une enquête approfondie, le Secrétariat de la Navy a conclu que… « les sonars tactiques moyenne fréquence utilisés par la Navy dans la zone étaient la source la plus plausible ».
Depuis cet échouage, la population locale de baleines à bec a pratiquement disparu, amenant les chercheurs à conclure que soit les animaux avaient abandonné leur habitat, soit ils étaient morts en mer.
De façon alarmante, les niveaux sonores auxquels les cétacés avaient été exposés étaient largement inférieurs aux niveaux censés causer des pertes temporaires d’audition. L’examen des carcasses de baleines lors d’échouages ultérieurs, également soupçonnés d’être dus à l’utilisation de sonars militaires, a montré des signes de formation de bulles de gaz dans les tissus, peut-être causés par un retour à la surface trop rapide des animaux, un peu comme les plongeurs humains victimes d’accidents de décompression.
À l’occasion, le bruit des océans s’est avéré mortel, avec des cas bien documentés d’échouages en masse de cétacés suite à l’utilisation de sonars militaires en Grèce, à Madère, à Hawaii et sur les côtes des États-Unis, aux Îles Vierges, en Espagne, aux Canaries et aux Bahamas.
Baleines de Sakhaline en danger
La population de baleines grises du Pacifique Ouest est à un niveau critique avec seulement 120 individus et un seul site d’alimentation connu au large des côtes orientales de l’île de Sakhaline, dans la partie russe de la mer d’Okhotsk. Pourtant, cette région est la cible des grands exploitants pétroliers et gaziers, avec des campagnes de prospection sismique et la construction de pipelines sous-marins et de plateformes offshore. La Commission baleinière internationale a exprimé son inquiétude pour la survie de cette population, citant la pollution sonore comme l’un des principaux facteurs de risque.
Toutes les baleines proches des pistolets à air comprimé risquent des blessures et des perturbations comportementales, mais à Sakhaline ces inquiétudes sont particulièrement importantes, car c’est le seul site d’alimentation connu de ces baleines qui disposent d’une belle saison très courte pour se nourrir et reconstituer leurs réserves de graisse pour le reste de l’année. Les recherches ont montré que les baleines quittaient leur aire d’alimentation pendant les campagnes de prospection sismique et ne revenaient que plusieurs jours après la fin des tirs. Apparemment, les baleines nageaient plus rapidement et faisaient surface à intervalles plus rapprochés pendant les campagnes sismiques. Ces réactions pourraient bien entraîner une baisse des prises alimentaires – de fait, plusieurs individus de cette population ont montré des signes de malnutrition et ont été qualifiés de « maigres » .
Un monde du silence assourdissant
La navigation commerciale, l’exploration sismique, les sonars, la construction navale, le dragage et le forage des fonds marins sont des progrès pour l’humanité. Mais, collectivement, ces activités ont augmenté le bruit de fond des océans jusqu’à des niveaux potentiellement dangereux. La navigation est le principal facteur de bruit, avec les moteurs et les hélices. Entre 1965 et 2003, la flotte commerciale mondiale a doublé. Selon une étude, la pollution sonore des navires dans le Pacifique a doublé tous les dix ans depuis 40 ans. Cette tendance alarmante pourrait bien s’accélérer : selon les prévisions, la flotte devrait au moins doubler d’ici 2025.
Pour les personnes, un niveau de bruit même relativement faible peut causer un stress psychologique et physique en perturbant la pression artérielle, le rythme et le débit cardiaques. Mais les gens peuvent généralement s’éloigner des sources de bruit, ce qui est impossible pour les créatures de l’océan. Les sons se propagent presque cinq fois plus vite dans l’eau que dans l’air et peuvent parcourir des dizaines de kilomètres en quelques secondes. En outre, les animaux marins ont développé une ouïe très sensible et des répertoires sonores complexes tels que l’écholocation grâce auxquels ils s’orientent, communiquent, détectent leurs partenaires ou leurs rivaux, maintiennent la cohésion du groupe et trouvent leur nourriture dans un environnement généralement obscur. Les cétacés ont une ouïe particulièrement sensible et dépendent presque totalement du son.
Le bruit d’origine humaine a commencé à perturber, voire noyer, ces systèmes vitaux basés sur le son. La majestueuse baleine bleue communiquait autrefois sur des océans entiers, mais aujourd’hui la pollution sonore a réduit de 90 % sa portée acoustique . De tels effets posent inévitablement de graves questions sur la capacité de ces animaux à pouvoir encore trouver des partenaires et de la nourriture dans l’immensité des océans.
Les baleines à dents ou odontocètes – groupe qui comprend les dauphins, les marsouins, les baleines à bec, les cachalots et les orques – utilisent l’écholocation pour se procurer des informations sur leur environnement, par exemple la profondeur de l’eau, l’emplacement de la nourriture et l’éloignement des objets.
Cela signifie que les mammifères marins ont besoin d’émettre et d’utiliser des sons en permanence. Cependant, les bruits qu’ils émettent sont extrêmement variés. Les baleines à dents ont un registre de clics et de sifflements. Les baleines à fanons émettent des gémissements à différentes tonalités ainsi que des claquements, des impulsions, des coups sourds et des bruits de trompette. Les baleines franches et les baleines à bosse sont renommées pour leurs longs « chants » sur les territoires de reproduction. Les pinnipèdes (phoque, lion de mer et morse) émettent également tout un éventail de sons. Les appels des mammifères marins s’étendent sur une large plage de fréquences, depuis les clics d’écholocation à haute fréquence (120-150 kHz) du marsouin commun jusqu’aux grondements à ultra basse fréquence de la baleine bleue, longs de 10 à 15 secondes, qui peuvent descendre sous les 20 Hz et parcourir plusieurs centaines de kilomètres. Les appels de ces deux espèces sont en dehors de la plage audible par les humains, mais il existe de nombreuses espèces de mammifères marins dont nous pouvons entendre les sons.
Pour détecter ces sons sur de vastes étendues océaniques, les mammifères marins ont développé une ouïe très fine adaptée à des plages de fréquences plus étendues que chez la plupart des mammifères terrestres. Darlene R. Ketten, chercheuse à l’institut océanographique Woods Hole, affirme : « l’audition est certainement leur principal système sensoriel, c’est évident rien qu’à voir leur niveau de développement de l’oreille et du centre neuronal auditif. Les dauphins et les baleines consacrent trois fois plus de neurones à l’audition que tout autre animal. Les lobes temporaux, qui contrôlent le niveau supérieur de traitement de l’audition, dominent leur cerveau et pourraient posséder des capacités de traitement de l’audition et des signaux bien plus complexes que la plupart des mammifères.»
Une pollution sonore qui ne fait pas de bruit hors de l’eau…
Bien qu’apparemment les mécanismes d’endommagement de l’audition soient similaires chez les mammifères terrestres et marins, actuellement on possède relativement peu d’informations sur la manière dont ces derniers réagissent à des sons intenses. Les audiogrammes, enregistrements des capacités auditives qui mesurent la perte d’audition, ne sont disponibles que pour environ 20 espèces de mammifères marins, tous des odontocètes et des pinnipèdes testés en captivité. Cela signifie qu’il n’existe aucune information auditive comportementale ou physiologique directe pour presque 80 pour 100 des mammifères marins.
Depuis leur introduction au XIXe siècle, les navires à moteur sont devenus la première source de bruit à basse fréquence d’origine humaine dans la plupart des océans du monde. Ce bruit est principalement causé par le phénomène de « cavitation » qui se produit lorsque la dépression générée par l’hélice provoque la formation de milliers de bulles dans l’eau. Le son que ces bulles émettent lorsqu’elles explosent est la première source de bruit des navires en marche. Le bruit de la navigation interfère avec les sons émis par de nombreuses espèces de baleines sur une large plage de fréquences, en particulier la plage de vocalisation des grandes baleines à fanons située entre 20 et 500 Hz. Le bruit généré par la navigation est énorme. La navigation commerciale génère des niveaux de bruits allant de 150 à 195 dB à la source. De plus, ces bruits sont émis en continu.
Plus de 90 % des échanges commerciaux dans le monde dépendant du transport par mer, ce n’est pas une surprise de constater que la flotte commerciale s’agrandit rapidement. Le tonnage brut des navires commerciaux a pratiquement quadruplé, passant de 160 millions de « Tonnes de Jauge Brute » en 1965 à 605 millions de TJB en 2003, la puissance de propulsion suivant la même pente ascendante. Aujourd’hui, la flotte de navires marchands de 100 TJB et plus atteint 97 000 unités, dont quelque 11 000 pétroliers. Le plus grand de ces pétroliers déplace plus d’un demi-million de tonnes. Les analystes prévoient que d’ici 2025, la quantité de fret maritime mondial va doubler, voire tripler.
Pistolets sismiques à air comprimé
La prospection sismique est une autre source importante de bruit d’origine humaine dans les océans. Elle est largement utilisée par l’industrie pétrolière et gazière ainsi que par les scientifiques pour étudier la géologie du plancher océanique et la croûte terrestre. Généralement, le son est émis par des batteries de 12 à 48 pistolets, remorquées par les navires de recherche, qui envoient de l’air comprimé dans l’eau. Une seule étude nécessite souvent de multiples passages.
Le son parcourt la colonne d’eau, pénètre dans le plancher océanique et rebondit vers la surface où il est analysé. Les bruits générés par ces études sont colossaux, avec des pics atteignant 259 dB à la source. De plus, ils sont répétés pratiquement toutes les 10 secondes pendant plusieurs semaines, voire des mois. Rien d’étonnant à ce qu’on ait signalé des mammifères marins s’enfuyant des sites de prospection sismique. Une étude a montré que l’activité des pistolets sismiques contribuait largement au niveau sonore des océans : les ondes propagées à grande profondeur dans l’Atlantique ont été détectées à plus de 3000 km de leur source. Dans le monde, les industries pétrolière et gazière exploitent 90 navires de recherche sismique dont environ un quart sont en service quotidiennement. En outre, 80 navires supplémentaires sont en mesure d’effectuer des études sismiques à d’autres fins, par exemple la recherche océanique. Inévitablement, la croissance de la demande en énergie va entraîner une augmentation des études sismiques par les industries pétrolière et gazière.
Sonar
Dans les fréquences moyennes et hautes, les principales sources de pollution sonore des océans sont les sonars à usage naval, commercial, pour la pêche et la plaisance. Les marines du monde entier continuent à développer et à tester des sonars actifs basse fréquence (LFA) afin de détecter et de pister les sous-marins sur de longues distances. Le sonar tactique moyenne fréquence de lutte anti-sous-marine (ASW) est utilisé pour détecter des sousmarins sur des distances plus courtes, mais encore considérables. Dans le monde, quelque 300 systèmes de ce type sont actifs. Les sonars militaires peuvent générer une pression sonore supérieure à 235 dB. Les sonars utilisés par les bateaux de pêche causent aussi de grandes inquiétudes. Ils peuvent générer jusqu’à 210 dB. Enfin, des millions de petits bateaux utilisent des sonars de plaisance.
A propos d’IFAW
Le Fonds international pour la protection des animaux (International Fund for Animal Welfare, IFAW) est l’un des principaux organismes mondiaux de protection des animaux. Les activités d’IFAW ont une portée planétaire et visent à améliorer le bien-être des animaux sauvages et domestiques en protégeant leurs habitats, en réduisant leur exploitation commerciale et en aidant ceux qui sont en détresse.
IFAW bénéficie du soutien de plus de 1,5 million de personnes dans le monde et emploie plus de 200 chargés de campagnes expérimentés, éducateurs, experts en droit et en politique ainsi que scientifiques reconnus au niveau international. IFAW possède des bureaux dans de nombreux pays, dont la France. Pour plus d’informations sur IFAW et ses campagnes, consultez le site www.ifaw.org