Week end commémoration et baptême souterraine à Font Estramar le 18 novembre 2017, par Franck Gentili (crédit photos des participants).
Le 3 juillet 1955, le plongeur Jean Claude Guiter trouvait la mort en s’égarant dans l’un des boyaux annexes de la Galerie Sud… Malgré deux campagnes de recherche (1955 et 1956), le corps du malheureux restait introuvable… Ce n’est en qu’en 1958 lors du tournage de son film à Font Estramar que M. Bonneau retrouve le corps dans la cheminée de la Galerie dite “H”. A la demande de la famille Guiter, le corps a été laissé sur place et la SOGETRAM a érigé trois murs pour fermer les accès à cette galerie… Yvan Dricot, Franck Gentili et Jérémy Sastre, tous trois membres de l’association « Plongée Sout », ne sont pas restés insensibles à cette tragique histoire qui dans leur esprit, ne devait pas tomber dans l’oubli. En ce 18 novembre 2017 et après avoir accompagné Patrice Strazzera et Francis Micheletti en exploration souterraine, ils en ont profité pour aller déposer une nouvelle plaque… Elle a été scellée sur l’un des murs qui obturent encore aujourd’hui, les trois accès à la galerie « H », fatale au jeune plongeur… Maintenant, la boucle est bouclée…
L’histoire que je vais vous conter, mêle sans vergogne, des noms de légende de la plongée française (André Bonneau, Jacques Yves Cousteau, Haroun Tazieff, Maurice Piovano), une cavité extraordinaire (Font Estramar) mais également des « vieux loups de mer » / auteurs de livres à succès (Francis Micheletti, Patrice Strazzera) et enfin des plongeurs souterrains passionnés…
Mais qu’est-ce qui peut bien réunir tout ce beau monde dans la vasque de Font Estramar en ce 18 novembre 2017 ? En fait, c’est la sortie d’un ouvrage magnifique de Francis Micheletti relatant la vie d’un pionnier de la plongée : André Bonneau. Pour ceux qui ne connaissent pas bien ce grand personnage, M Bonneau n’est autre qu’un des inventeurs et metteurs au point les plus prolifiques de sa génération, un plongeur et aventurier de génie qui créa la marque « Star France » à Perpignan en 1955. Cette marque, bien connue des plongeurs catalans, a distribué pendant près de 40 ans, des combinaisons néoprène, des détendeurs et autres matériels de plongée…
De célèbres précurseurs
Il se trouve qu’André Bonneau doit une partie de sa notoriété à ses explorations dans la résurgence de Font Estramar (Salse le Château – 66). Cette cavité a été explorée dès 1951 par J.Y Cousteau et Haroun Tazieff… En 1952 André Bonneau reprend les explorations de la cavité et y cumulera près de 150 plongées jusqu’en 1955, poussant à chaque fois un peu plus loin ses investigations et dressant les premières topographies. En 1955 Haroun Tazieff monte une expédition afin de réaliser un film pour la télévision relatant les explorations dans cette résurgence sans fin. Mais une plongée tourne mal et le plongeur Jean-Claude Guiter se perd dans une des galeries borgnes de la cavité et ne retrouvera jamais la sortie… Pour retrouver le corps, l’équipe fait alors appel à celui qui connait le mieux les méandres de Font Estramar : André Bonneau. Les plongées de recherches du corps du malheureux Guiter s’enchaînent sans succès… Ce n’est qu’au printemps 1958 qu’André Bonneau découvrira la dépouille de Jean-Claude Guiter dans la Galerie H lors d’un film qu’il tourne lui-même. A l’automne 1958 des plongeurs de la SOGETRAM murent, à l’aide de sac de ciments, les 3 principaux accès à cette galerie H, où est décédé le plongeur. Ces murs cèleront sa sépulture. Un peu plus tard une plaque sur la falaise de la vasque sera gravée à la mémoire de J-C Guiter. (Sources, F Micheletti : « André Bonneau, un grand pionnier ») On pouvait y lire : « A la mémoire de Jean Claude Guiter décédé en plongée le 3 juillet 1955. Mais avec le temps, cette plaque toujours en place, est devenue illisible…
Nous avions rencontré Francis Micheletti lors de l’écriture de son précédent ouvrage consacré à Patrice Strazzera et au Sommeil Des Epaves. Une solide amitié en est sortie, ainsi qu’une farouche envie de « refaire quelque chose ensemble ». C’est ainsi que Patrice Strazzera, Yvan Dricot, Jérémy Sastre et moi-même avons modestement apporté notre aide, par des témoignages, explications, croquis et autres photos, à Francis qui écrivait le chapitre « Font Estramar » de son récit sur la vie d’André Bonneau.
De nos jours tous les plongeurs souterrains qui parcourent le Galerie Sud (ou Galerie Piovano) de Font Estramar passent devant ces murs de sacs de ciment. Cette galerie H murée, est depuis 1958 un sanctuaire. Peu avant la sortie du livre de Francis, nous avions évoqué l’idée de placer sous l’eau, près des sacs de ciments, une plaque à la mémoire de Jean-Claude Guiter.
Voilà plus de 40 ans que Francis n’avait pas touché l’eau de la vasque bleue d’Estramar… Depuis de nombreux mois il contait sur son écran, les aventures de Bonneau dans cette résurgence, sans oser rêver de pouvoir y pénétrer à son tour… Jusqu’au moment où lors d’une conversation téléphonique, un peu comme une boutade, je lui lançais une invitation à venir y faire son « baptême de sout » en toute sécurité et encadré par une « équipe de choc » !
Une bonne occasion de nous retrouver, entre amis, afin de baptiser, Francis et notre ami Patrice Strazzera également, à l’eau de Font Estramar, mais aussi de rendre un hommage à Jean-Claude Guiter et André Bonneau. Patrice Strazzera, « Maître des photos d’épaves », est déjà venu plusieurs fois avec nous jusqu’au puits d’entrée. Il avait donc déjà exercé ses talents photographiques aux clairs obscurs de l’entrée d’Estramar. Mais n’avait, lui non plus, jamais pénétré plus avant dans les entrailles de la résurgence.
Les nouveaux explorateurs
Une « équipe de choc » s’est donc mise en place afin d’assurer une sécurité optimale à ce précieux chargement de futurs baptisés. Et ce d’autant plus que Patrice, expert en plongée vintage et soucieux de coller au plus près à la réalité des conditions de plongée de Bonneau, avait décidé de parcourir les premières dizaines de mètres de la galerie en Mistral: bi 9 à réserve et combi humide! Drôle d’accoutrement pour un baptême de sout! Mais bon, qu’à cela ne tienne, nous allions trouver la solution pour qu’il plonge en toute sécurité ainsi accoutré. Je dois bien avoué que j’ai cogité un peu avant de trouver la solution : A l’aide d’une sangle à cliquets, nous avons fixé un bloc 4l alu bien gonflé et équipé d’un « vrai détendeur » entre les deux fûts du bi vintage. Il allait plonger en tri bouteille, comme Bonneau ! Un casque sur la tête, Alain Fournet (spéléonaute expérimenté et formateur en plongée souterraine) collé à ses palmes et le voilà prêt. Francis, en config plus conventionnelle (bi 7l séparé, casque…) se voyait lui aussi affublé d’un ange gardien exclusif et attitré en la personne d’Yvan Dricot (Yvan cumule près de 300 h dans cette cavité). Enfin, Jérémy Sastre porte une partie de l’éclairage vidéo, la plaque commémorative et l’appareil photo de Francis… Je complète cette palanquée pour le moins hétéroclite, en mode vidéaste !
11h30, tout le monde entre dans la vasque et s’équipe, les dernières recommandations sont répétées : le parcours, les binômes, les consos et les règles à respecter… Je démarre le premier pour me positionner à l’entrée et filmer l’arrivée du groupe. Francis et Patrice palment vers l’inconnu, vers ce gouffre qui les attire et les impressionne tout de même un petit peu… Derniers clichés et derniers échanges de signes à la lumière du jour, je plonge au fond du puits pour immortaliser l’entrée de la palanquée. Francis dégringole le puits en tête, collé de près par Yvan, son ange gardien. Puis, suivent Patrice, encadré par Alain, enfin Jérémy ferme la marche avec la plaque commémorative.
La configuration de la cavité nous permet de guider nos hôtes tout d’abord dans les 50 premiers mètres de la Galerie Nord. Les premiers coups de palmes sous plafond… tout le monde se surveille, s’observe. Pat et Francis cherchent à se rassurer un peu dans le regard de leurs encadrants. Puis, très vite le spectacle offert par la galerie et nos puissants éclairages fait vite oublier les premières inquiétudes. Patrice et Francis en prennent plein les mirettes. Je les vois qui s’abandonne à la beauté envoutante de Font Estramar. Une fois de plus la magie opère. Les minutes défilent, je filme, Patrice shoote et Francis jubile. Nous approchons du Puits du Salut, il est temps de faire demi-tour et de retourner tranquillement au pied du puits d’entrée.
Là, un bref état des lieux, manos, consos… J’ai l’immense plaisir de constater que les yeux de nos deux illustres baptisés sont grands ouverts, pétillants et émerveillés ! Tous les feux sont au vert et nous ne tardons pas à nous engouffrer dans le petit boyau pentu qui débute la Galerie Sud. Yvan montre à Francis, à -14m, la première lucarne bouchée par la SOGETRAM en 1958. Il ira voir ce muret de plus près avant de poursuivre la descente. Le convoi suit, Patrice armé de ses deux fidèles Nikon RS shoote dans des positions dignes des plus grands contorsionnistes. Nous arrivons à -30m et Yvan montre à Francis le fameux grand mur de sacs de ciments. Francis ne l’avait vu qu’en photo et il faut qu’il le touche… Je le filme en train de caresser délicatement et respectueusement le ciment figé par l’eau. Je peux sentir l’intensité de ce moment. Moment d’émotion tactile. Moment de recueillement. Moment d’hommage… Le temps passe vite, trop vite, nous pénétrons encore de quelques mètres puis c’est le retour vers la lumière du jour. Patrice fait quelques derniers clichés et déjà, presque main dans la main, les deux amis remontent à la surface dans une grande complicité…
Une plaque pour le plongeur perdu
Nous, nous avons encore une mission à accomplir : La pose de la plaque commémorative. Jérémy Sastre l’a gravée lui-même. Il est à la tête de « Sastre Graveur » à Perpignan et il en a fait don pour l’équipe, pour l’hommage rendu à Jean-Claude Guiter. Yvan Dricot est venu plonger à FE (comme on dit) le weekend avant et a repéré un endroit dans la Galerie Sud qui conviendrait parfaitement à la plaque. Entre deux murets de sacs de ciment, contre la paroi de cette fameuse Galerie H où le valeureux plongeur à la perdu la vie. Yvan dégaine le matériel : tamponnoir, massette et gabarit. Il simule plusieurs positionnements avant de se décider, puis commence à frapper le tamponnoir en le tournant. Chaque coup de massette résonne dans toute la cavité et dégage un petit nuage de calcaire pulvérisé. Au bout de 15’ le premier trou est fait, le gougeons est en place. Jérémy lui passe alors la plaque, Yvan y fixe le premier écrou et prend le repère pour le second trou. Je filme et Alain Fournet éclaire… Nous nous relaierons pour terminer les autres trous, il nous aura fallu près d’une heure pour fixer la plaque.
Désormais, nul plongeur qui empruntera la Galerie Sud, ne pourra oublier qu’en ce 3 juillet 1955 Jean-Claude Guiter a perdu la vie juste là, derrière ce mur de roche calcaire. Patrice Strazzera a mis un point d’honneur à plonger « presque » dans les mêmes conditions matérielles qu’André Bonneau, Francis a touché du doigt ces murs de sacs de ciment qu’il a si bien décrits dans son ouvrage et nous avons placé la plaque commémorative à la mémoire de Jean-Claude Guiter… Job is done ! La boucle est bouclée. En remontant vers la surface de la vasque, c’est le cœur léger que je refais surface, non sans une pensée admirative pour ces pionniers qui nous ont ouvert la voie. Pour nous, parcourir Font Estramar de fond en comble aujourd’hui c’est « facile », nos recycleurs nous donnent une grande autonomie, nos scooters nous tractent loin en toute fiabilité, et nous y voyons comme en plein jour avec nos puissants éclairages. Mais à l’époque, les Cousteau, Tazieff, Bonneau et autres Guiter… il fallait qu’ils en aient pour oser affronter l’inconnu et la noirceur des galeries de Font Estramar. Chapeau bas messieurs, nous ne vous remercierons jamais assez de nous avoir ouvert la voie !
Nous retrouverons nos compères devant une mousse fraiche et un pique-nique convivial au bord de la vasque bleue. Les yeux de Patrice et Francis pétillent encore, et les sourires sont définitivement fichés sur leurs visages. Ces deux « vieux loups de mer » ont vécu une expérience de plongée différente, dans un autre monde un monde qu’ils ne maitrisaient pas. Ils nous ont fait confiance, nous avons essayé de leur faire partager notre connaissance et notre passion pour Font Estramar. Mais pas que… Surtout… surtout… nous avons rendu un vibrant hommage à nos glorieux aînés…
Remerciements particuliers : Jaques Chabert (Plongée Technic- Cap d’Agde) ; pour sa présence et son soutien au cours de cette journée particulière ; Société Sastre Graveur (perpignan) Gravure et don de la plaque commémorative
Participants : Francis Micheletti ; Patrice Strazzera ; Franck Gentili ; Yvan Dricot ; Jérémy Sastre ; Alain Fournet ; Jacques Chabert
Un vieux rêve de gamin exaucé (Francis Micheletti)
Je n’ai pas encore 10 ans lorsqu’au printemps 1973, je fais mon baptême de plongée dans l’anse de « Reguers » près de Collioure avec le club « La Flottille», c’est la révélation ! Quelques mois plus tard, c’est avec une combinaison STAR FRANCE achetée par mon Père au magasin de M. Bonneau à Perpignan, que je commence mon apprentissage de plongeur, n’ayant encore aucune idée de l’histoire de cette marque et de son fondateur.
En 1978, dans son livre intitulé « Angoisses dans la mer », Frédéric Dumas consacre tout un chapitre aux recherches menées à Font Estramar en juillet 1955 pour tenter de retrouver le plongeur Jean Claude Guiter, disparu lors d’une plongée d’exploration. L’auteur, évoque M. André Bonneau, en ces termes : « …Bonneau, un de ces pionniers… » C’est en lisant ce passage que je découvre que Monsieur Bonneau a fait aussi partie de cette poignée de précurseurs qui ont ouvert la voie de la plongée sous-marine et a largement contribué à sa vulgarisation. Je finis par faire la relation entre lui et la marque Star France.
J’ai passé toute ma jeunesse à Perpignan et déjà, j’étais fasciné par cette mystérieuse vasque située sur la commune de Salses-Le Château… et mon père ne manquait pas de m’emmener régulièrement sur place où je contemplais la vasque en rêvant de pouvoir un jour y tremper mes palmes, racontant à chaque fois à mon père qui avait fini par connaître l’histoire par cœur mais faisant toujours semblant de la découvrir pour la première fois, le rôle de M. Bonneau, l’accident du plongeur militaire Jean Claude Guiter… les opérations de recherche menées par le créateur de la marque « Star France », qui n’avaient rien donné et finalement la découverte du malheureux, près de deux ans plus tard, par Bonneau lui-même… le choix de la famille de JC Guiter de faire murer les accès à la galerie où le plongeur s’était perdu…
Et me voilà plus de quarante ans après, revenu au point de départ. Pendant près de 22 mois, je rédige un livre dédié à M. Bonneau en puisant dans les archives que m’a confié la famille du pionnier de la Côte Catalane. Et ce ne sont pas moins de 70 pages qui sont consacrés à Font Estramar car dans mon esprit, cette résurgence est indissociable de l’épopée de Monsieur Bonneau…».
Et comme un miracle n’arrive jamais seul, voilà que Franck Gentili me propose d’exaucer mon rêve de gamin… un rêve de 40 ans… aller faire une plongée découverte à Font Estramar… et cerise sur le gâteau, en présence de mon ami Patrice Strazzera… la plongée est fixée au samedi 18 novembre 2017 au matin…
Arrivé tôt sur place, je ne peux m’empêcher de me rendre au bord de la vasque, le retour aux sources… Là, mes premières pensées sont pour mon père, puis à tous ces pionniers qui ont foulé les lieux dès la fin des années 50…
Après le briefing d’usage, je m’équipe, vérifie mon matériel… je me mets à l’eau l’appareil photo en bandoulière… Je ne perçois aucune appréhension car je sais qu’Yvan est là, il me chaperonne discrètement mais efficacement… C’est en surface que l’on s’approche tranquillement de l’entrée du réseau… Je commence par prendre quelques clichés de la plaque commémorative posée en 1958 sur la falaise qui surplombe le plan d’eau… le temps a fait son œuvre, elle est presque illisible… Après avoir confié mon appareil à Jérémy et fait le signe « ok » à mon chaperon, je descends et m’arrête sur le rebord du puit d’entrée… en essayant de relier ce qu’il y a sous mes yeux et ce que je m’imaginais au travers des archives de M. Bonneau… Il est midi lorsque je m’enfonce et arrive dans la première salle à – 14 mètres… Ce que les spéléonautes appellent « le col ». C’est plus petit que je ne l’imaginais… Instinctivement, je lève les yeux pour contempler le spectacle… effectivement et comme n’avaient pas manqué le dire, les premiers visiteurs des lieux, à cette heure-ci, la lumière pénètre encore bien à cet endroit… Yvan me fait signe de poursuivre en m’engageant dans la galerie Nord… Le spectacle est féérique… c’est effectivement magique comme me l’avait confié Jérémy… Les phares de mon casque illumine les parois… je suis ébloui par le spectacle et je ne peux m’empêcher de penser à M. Bonneau qui, il y a plus de 66 ans foulait comme moi aujourd’hui et pour la première fois, cette somptueuse galerie… Comme convenu, arrivés en haut du puit des draperies, Yvan me demande si je souhaite poursuivre jusqu’en bas… C’est ok pour moi, je me laisse couler jusqu’en bas du puit… A moins 32 m, je m’agenouille et je profite du spectacle… Tout le monde est là, Yvan est juste à côté de moi… Franck filme, Jérémy est un peu plus haut… Je suis tenté de lui demander mon appareil pour faire quelques clichés… mais le cadre est trop beau et je veux en profiter totalement… Vérification de la conso, on amorce la remontée… je croise Patrice resté un peu plus haut… Il prend au passage des clichés de chacun d’entre nous… je ne peux m’empêcher de lui tapoter l’épaule avec ma main, trop content de le savoir là aujourd’hui… Comme le dit Franck : « duo de baptisés… duo d’amitiés… ». Il est vrai que depuis le livre que j’ai consacré à son Groupe « Sommeil Des Epaves », une réelle complicité s’est nouée entre nous… nous avons la même approche humaine…
Retour au col… Yvan vérifie ma consommation… c’est ok pour lui… on s’engage dans la galerie sud, dite « Galerie Piovano »… qui se trouve juste là, à ma droite… tout en m’enfonçant, j’ai une pensée pour Maurice Piovano qui a emprunté ce boyau pour la première fois, le 29 mai 1951… Yvan me montre sur la droite, le premier mur à – 14 mètres et qui obturent l’un des accès à la galerie « H » où s’est égaré tragiquement Jean Claude Guiter le 3 juillet 1955… On poursuit la descente… je vois un plus bas, le mur N°2 puis le mur N°3 à – 24 mètres… On poursuit jusqu’à la salle N°3 à 30 mètres… Là, Franck me montre la jonction avec la galerie « H »… je m’y enfonce de quelques centimètres, effectivement le passage est trop étroit pour le passage d’un plongeur… c’est pour cette raison que la SOGETRAM n’a pas érigé de mur ici… Il est temps de remonter… quelques mètres plus haut, je retrouve le mur n° 3 sur ma gauche… Instinctivement, je m’en approche… j’ai besoin de le toucher délicatement, respectueusement en ayant une pensée pour Jean Claude Guiter… Depuis près de 62 années, derrière ces sacs de ciment durcis par l’eau et le temps, se trouve la sépulture préservée du jeune plongeur de 24 ans, Sergent de Réserve au 11° Choc de Mont-Louis… je pense à la plaque que nos quatre amis spéléonautes vont bientôt mettre près du mur N°1, par Devoir de Mémoire… Il est temps de remonter… Cela fait déjà 55 minutes que nous sommes dans l’eau… Nos chaperons nous accompagnent Patrice et moi jusqu’en haut du col… Pendant que nous faisons nos paliers, Yvan, Jérémy, Franck et Alain redescendent pour aller fixer la plaque… Nous attendons patiemment leur retour depuis le haut du col… entendant les coups de marteaux qui résonnent… Puis, les voilà de retour… avec dans leurs yeux, le sentiment du devoir accompli…
Cette journée merveilleuse et un peu solennelle, a non seulement permis d’exaucer un rêve de gamin de près de quatre décennies mais également de rendre hommage à ces pionniers qui nous ont ouvert la voie et enfin de fermer dignement le livre consacré à M. Bonneau… La boucle est donc bouclée… Merci à nos quatre chaperons.
De retour à la maison, je ne peux m’empêcher d’appeler M. Maurice Piovano… Il réside aujourd’hui en Normandie. Particulièrement alerte, il soufflera en janvier prochain ses 93 printemps… Je lui raconte notre journée du 18 novembre dernier, il me dit qu’il lit avec plaisir et nostalgie le livre sur M. Bonneau que je lui ai offert… Comme à chaque fois, la discussion est longue et enrichissante… Il nous remercie pour tout ce que l’on a fait… je lui rétorque, que c’est nous qui nous le remercions lui et les autres pionniers pour ce qui nous ont laissé…
Découverte du monde souterrain (Patrice Strazzera)
Je plonge en mer… sur des épaves et souvent j’en côtoie l’âme, j’en visite parfois les entrailles, et pourtant, me voici aujourd’hui sur les traces des plongeurs spéléo. Ils sont pour moi les aventuriers des temps modernes qui partent visiter le centre de la terre, en faisant un petit clin d’œil à Jules vernes.
C’est le jour « J », briefé et bien encadré, je pénètre Font Estramar pour la première fois: Malgré ma config vintage, je me sens à mon aise comme en apesanteur… pas de poissons, pas de concrétions, pas de filets et encore moins de tôle ! Un monde strictement minéral, baigné dans de l’eau claire. Le fil d’Ariane, ” le fil du retour”, nous montre le chemin, les phares de mes amis, mes anges gardiens, illuminent la galerie. J’en profite pour faire quelques clichés. Les jeux d’ombres et de lumières qui donnent vie à cette roche. Le silence règne en maître dans ce monde souterrain, seul le ronronnement d’un moteur de propulseur résonne avec les bulles de mon bon vieux Mistral qui montent au plafond ! Je découvre un autre univers, presque lunaire, un monde inerte que je ne connais pas, mais que j’essaye de faire vivre à ma façon, en appuyant sur le déclencheur de mon fidèle Nikon RS.
Je garderai un formidable souvenir de cette incursion dans cet univers souterrain. A mes yeux, les plongeurs “sout” sont des plongeurs de haut niveau, car leur monde, tellement envoûtant, peut être aussi cruel qu’il est fascinant. Cette plongée avec Francis Micheletti, nous l’avons réalisée pour raviver le souvenir de Mr Bonneau, ce pionner de la plongée à Font Estramar. Et c’est pour lui rendre hommage que j’ai souhaité plonger dans une configuration proche de la sienne à l’époque (Royal Mistral, tri-bouteille et combinaison humide), comme un clin d’œil à cette valeureuse époque.
Malgré l’utilisation de ce vénérable matériel dans un milieu aussi « hostile », j’étais serein, j’avais tout de même une de mes 3 bouteilles équipée d’un détendeur récent et des anges gardiens qui ne me lâchaient pas… Merci à ces accompagnateurs hors pairs : Franck gentili; Yvan dricot ; Jérémy Sastre ; Alain Fournet.
J’étais plongeur au GERS en 1955, mais je n’ai pas été nommé par le Pacha, Capitaine de Frégate rené Chauvin, pour faire parti de l’équipe dirigée par Frédéric Dumas.