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par Francis Micheletti – Photos sous-marines Patrice Strazzera – Image d’ouverture : le Schiaffino XXIV vu par Patrice Strazzera et dessiné par Lydie Pierron © Lydie Pierron

Après avoir évoqué l’histoire du cargo Schiaffino XXIV, Patrice Strazzera, du Groupe Sommeil Des Epaves, raconte sa plongée sur le Schiaffino XXIV.
C’est au travers de l’un des nombreux livres rédigés par le célèbre historien des épaves Jean Pierre Joncheray que Patrice Strazzera, spécialisé dans la photographie des “belles englouties”, découvre l’histoire du Schiaffino XXIV, une épave qui l’intrigue au plus haut point. Une exploration poussée s’imposait…

Cargo de 75 mètres de long, 11 mètres de large et jaugeant 1200 tonneaux, le Schiaffino XXIV a été construit à Kiel en 1924. Depuis 1930, il fait partie de la Flotte Algérienne de Navigation.
Le 4 décembre 1934, le navire quitte Marseille pour se rendre à Port Saint-Louis en Camargue pour y charger 200 tonnes de matériel. Le 9 décembre au soir, il reprend la mer pour rallier Sète afin de compléter son chargement de marchandises qui doivent venir remplir la cale arrière laissée vide. Mais entre-temps, la météorologie s’aggrave et un vent du sud, sud-est se met à souffler fort. Personne ne reverra le Schiaffino XXIV à flot…
Une forte mer, combinée à une mauvaise répartition de la cargaison, sont sans nul doute à l’origine du naufrage. Trop chargé sur l’avant, le cargo a dû embarquer des paquets de mer, le rendant alors impossible à manœuvrer. C’est dans la froideur de cette tragique nuit du 10 décembre 1934 que le navire disparaît corps et âmes, à 14 km au sud, sud-ouest du Grau du Roi, emportant avec lui les 21 membres d’équipage et les épouses respectives du Commandant et du Chef mécanicien.

Une immense toile d’araignée recouvre l’épave © Patrice Strazzera

Ont-ils lutté pour mettre les chaloupes à l’eau ? Ou n’ont-ils pas eu le temps de se rendre compte de ce qui se passait ?
Personne ne le saura jamais ! Mais une chose est certaine, la fin du Schiaffino XXIV et de ses 23 occupants a été terrible.

C’est avec ces pensées que ce jour-là, Patrice Strazzera se met à l’eau à la verticale de l’épave en compagnie de son binôme qui comme à chaque fois, va lui assurer la sécurité et gérer l’éclairage. Après avoir franchi la surface, Patrice ne peut s’empêcher de penser à cette tragique nuit du 10 décembre 1934.
«Tout au long de la descente qui me paraît interminable, raconte Patrice, en suivant le bout qui se perd dans une eau verdâtre chargée d’alluvions, je tâche de remonter le temps et j’imagine l’inexorable descente du Schiaffino XXIV, le faisant basculer du statut d’un navire à celui d’une épave, froissée par la tragédie qui vient de se nouer et qui va bientôt se poser soixante mètres plus bas avec 23 personnes à son bord»
Depuis le temps qu’il plonge sur les épaves et qu’il saisit pour la postérité au travers de ses clichés en noir et blanc ces belles dames endormies, Patrice sait que tout naufrage est et sera toujours une tragédie. Il y a très souvent de nombreuses victimes, c’est terrible, mais il ne peut s’empêcher de se dire que pour le Schiaffino XXIV, ça a dû être encore pire que ça. Alors que son binôme lui ouvre la voie, tout en préparant son appareil photo et son éclairage, Patrice se demande ce qu’a pu ressentir le Commandant du navire impuissant face aux éléments en furie, en présence de son épouse.

Une des cales grande ouverte © Patrice Strazzera

«La mer est parfois bien cruelle, elle ne fait aucune distinction entre les hommes et les femmes»

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Passé la profondeur de 30 mètres, l’atmosphère s’assombrit tout d’un coup, et toujours rien ne se profile au bout de cette corde qui semble décidément sans fin. On entre dans les ténèbres. Instinctivement Patrice ralentit sa descente, et bien que les chiffres de la profondeur continuent de monter, toujours rien en vue… Il agite le halo de son phare pour tenter d’apercevoir quelque chose et mieux appréhender son arrivée sur l’épave.
«Ce n’est qu’en passant les 45 mètres que je finis par découvrir d’un coup, poursuit Patrice, une masse qui semble être comme prisonnière d’une immense toile d’araignée, un linceul gigantesque qui la recouvre de toutes parts.

En s’approchant, Patrice finit par comprendre que ce linceul est en fait constitué de centaines de filets, cordages, bouts et chaînes rendant difficilement identifiables les parties du navire, sensation accentuée par l’obscurité intense et la visibilité médiocre.
Patrice termine sa descente en se posant sur une partie du pont qui a échappé aux filets, à l’angle d’une cale grande ouverte : «elle semble comme une bouche géante prête à me happer».
Dès le départ, il n’est pas insensible à la drôle d’atmosphère qui règne sur cette épave, une atmosphère inhabituelle, bien différente de celle qu’il a l’habitude de ressentir. Il émane du Schiaffino XXIV quelque chose de différent qu’il a du mal à définir.

Un véritable mur inextricable entoure l’épave © Patrice Strazzera

Commence alors pour lui et son binôme qui le suit comme son ombre, la visite de ce navire piégé dans son immense linceul. Ici, la progression est totalement différente de celle qu’il a pu faire sur les nombreuses épaves qu’il a à son actif. Il est hors de question d’arpenter les coursives, de trop s’approcher du château ou de pénétrer dans la passerelle, trop de filets, trop de cordages qui forment de véritables murs presque impénétrables et autant de pièges dans lesquels il pourrait facilement tomber. Il lui serait extrêmement difficile de s’en dépêtrer, surtout dans cette obscurité et à cette profondeur.

Il est donc trop dangereux de s’approcher, Patrice et son compagnon vont se contenter de survoler les lieux avec prudence et humilité. Un lieu couvert d’un voile glauque, fantomatique, presque lugubre. Il arrive tout de même à reconnaître certaines pièces du navire, ici un bossoir, là un mât fortement incliné.
Mais rapidement, une sensation étrange s’empare de lui… Patrice perçoit comme une sorte de présence…
«A cette profondeur et surtout dans de telles conditions de visibilité et d’obscurité, explique Patrice, je suis peut-être plus sensible à la narcose que d’habitude, mon expérience des plongées profondes sur épaves, m’a permis en toute modestie, de mieux appréhender le phénomène, mais aujourd’hui, je sais qu’il y a autre chose…»
Il vérifie alors sa profondeur, les deux manomètres de son bi 2 x 12, séparé par un manifold, tout va bien. Il se tourne vers son binôme de sécurité qui lui indique qu’il reste encore 12 minutes avant d’amorcer la remontée. Il reste très concentré, rassuré par la présence de son ange gardien.

On devine un bossoir sous l’immense filet© Patrice Strazzera

Mais malgré sa concentration, il ne peut toujours pas se défaire de cette étrange perception. Il y a comme quelque chose qui rode… Il n’arrive toujours pas à définir ce que c’est exactement. C’est donc avec ces pensées qu’il poursuit la visite en multipliant les prises de vues, en prenant toujours garde de rester en pleine eau. Il est hors de question de prendre appui car l’espèce de gangue qui entoure le Schiaffino aurait vite fait de se saisir de lui. Néanmoins, en dépit de sa vigilance, lors d’un cadrage particulier, Patrice a un moment d’inattention et s’accroche à un morceau de filet qui pend.
«Je prends immédiatement conscience de la situation, raconte Patrice, je mets tout de suite en pratique les nombreux exercices d’entraînements de type AAD (Accrochage, Analyse, Découpage) que nous avons instauré avec les gars du Groupe SDE pour faire face à ce type de problème. Après l’accrochage, j’analyse et me rend compte que c’est la robinetterie de mon bloc de déco situé à droite mais également la poignée de la platine de mon NIKONOS RS qui se sont coincés dans un filet récent. Tout en gardant ma flottabilité, je me mets en tension avec le filet, je me saisis de ma paire de ciseaux et je procède au découpage. Mon binôme de sécurité a pris immédiatement conscience de la situation, le temps qu’il arrive sur moi, je me suis déjà dégagé. Pendant l’incident qui n’a duré que quelques secondes, j’ai eu le sentiment que l’épave s’adressait à moi en me disant : je te garde ou je ne te garde pas ? finalement, elle m’a laissé partir».

La passerelle est en excellent état © Patrice Strazzera

Pas une seule partie de l’épave ne semble avoir échappé à cette immense toile d’araignée. Les vieux filets en lin, les flotteurs de trémails plus récents, les cordes de toutes dimensions et les chaînes de chaluts forment une véritable pelote de laine, tout cela dans un nuage permanent de milliers d’anthias dont la couleur rose est révélée par les halos des phares, donnant ainsi le sentiment qu’il y a tout de même un peu de vie dans cette profonde obscurité. La passerelle en très bon état, n’échappe pas à ce linceul gigantesque, mais elle est tout même facilement reconnaissable…
Tout en poursuivant sa visite, Patrice ne parvient décidément pas à se défaire de cette étrange sensation qui le tenaille, elle commence même à l’inquiéter. Il finit par être convaincu que tout ce ressenti n’est autre que celui des âmes des 21 marins et de deux épouses qui ont péri pendant ce naufrage. Des victimes qui semblent emprisonnées par cette immense toile d’araignée, comme si l’épave ne voulait pas qu’elles s’en aillent, qu’elles ne trouvent pas le repos de l’âme… pour lui, cette épave est hantée.

© Patrice Strazzera

«Je sortirais de cette plongée convaincu qu’il y avait un truc qui rodait dans le fond… les âmes des disparus…»
Quelques jours plus tard, il demande à Lydie, la fille de Jean Pierron, le vétéran du Groupe Sommeil Des Epaves de lui faire le croquis du Schiaffino XXIV en lui décrivant le cargo tel qu’il l’a perçu durant sa plongée.
Au travers de cette vue d’artiste qui est avant tout, le reflet de son ressenti, Patrice espère sincèrement que le Schiaffino XXIV libèrera les âmes des 23 victimes et se surprend même à les imaginer quittant les lieux l’une derrière l’autre pour remonter vers la lumière et trouver enfin la paix…

«Le schiaffino XXIV est sans nul doute, l’épave qui m’a le plus marqué, elle avait effectivement de quoi m’intriguer… elle restera gravée à jamais dans mes souvenirs…» finit par conclure Patrice.

Cette mauvaise impression est peut-être due à un autre fait troublant : le 11 novembre 1984, un plongeur de la région, âgé de 55 ans, a plongé sur l’épave avec deux autres membres d’un club local. Il n’est jamais remonté. Il fallut attendre quatre ans pour le retrouver, lorsqu’en 1988, une palanquée descendant sur l’épave, aperçut un corps qui se balançait en pleine eau, à moitié pris dans les filets et les cordages qui flottaient autour de l’épave. Le cadavre portait encore tout son équipement de plongée. Les plongeurs de la palanquée, glacés par la macabre découverte, ne poussèrent pas plus loin leur exploration et alertèrent les autorités. Ce sont les plongeurs le la Gendarmerie Nationale de Sète qui remontèrent et identifièrent le corps de la 24e victime du Schiaffino XXIV.

Alors, l’épave du Schiaffino XXIV serait-elle maudite ?…

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