Propos du Dr Mathieu Coulange, recueillis par Stéphan JACQUET – Photos S. Jacquet, Y. Chocoloff, P. Poivert, M. Coulange, DR.
Le Dr Mathieu COULANGE est chef de service de médecine hyperbare, subaquatique et maritime du pôle RUSH (Réanimation, Urgences, SAMU et Hyperbare) de l’Assistance Publique des Hôpitaux. Il est aussi plongeur et vient de participer aux expériences DivStress, DivHOPE et Cognidive. Ce zoom/focus qu’il nous propose semble plus que jamais d’actualité.
Un peu d’histoire et quelques applications
Bien connu des plongeurs, le caisson hyperbare est devenu un outil thérapeutique incontournable dans de multiples indications médicales. Les premières indications réellement scientifiques remontent aux années 1960 avec le Pr Boerema et son élève le Dr Brummelkamp qui opéraient des infections graves dans des caissons mobiles très rustiques voguant à travers les canaux d’Amsterdam. En France, un certain nombre de réanimateurs comme le Pr Goulon à Garches, le Pr Larcan à Nancy, le Pr Mantz à Strasbourg et le Pr Wattel à Lille vont œuvrer pour la reconnaissance de cette toute nouvelle discipline médicale. A Marseille, le Pr Ohresser initie cette activité dans les années 1970 à l’hôpital Salvator en collaboration avec COMEX, célèbre entreprise marseillaise devenue leader sur le marché international du pétrole offshore et dans le monde de l’ingénierie, des technologies et des interventions humaines ou robotisées sous-marines. Cette étroite collaboration permet d’obtenir très rapidement des dispositifs parfaitement adaptés à la prise en charge d’un patient en toute sécurité.
Le traitement est simple et naturel. Il consiste le plus souvent à faire respirer de l’oxygène pur par l’intermédiaire d’un masque, sous une pression supérieure à la pression atmosphérique à l’intérieur d’une chambre étanche appelée caisson. Ceci a pour effet d’augmenter considérablement la délivrance d’oxygène dissous aux différents tissus de l’organisme. Cet afflux d’oxygène peut alors suppléer un réseau vasculaire altéré, lutter contre une infection ou relancer un processus cicatriciel. L’augmentation de pression permet également de comprimer le gaz en cas d’accident de plongée ou d’embolie gazeuse (c’est-à-dire de passage de gaz accidentel dans les vaisseaux sanguins) lors d’un acte médical ou chirurgical.
Les principales indications sont les plaies chroniques chez le diabétique et l’artériopathe, les complications de la radiothérapie, les infections graves de la peau et de l’os et les ostéonécroses débutantes. En aiguë, l’oxygénothérapie hyperbare peut également traiter une surdité brusque et une souffrance tissulaire post traumatique ou post opératoire. Les urgences les plus fréquentes sont l’accident de plongée, l’intoxication au monoxyde de carbone ou aux fumées d’incendie et l’embolie gazeuse. Ces indications sont en accord avec le rapport de la haute autorité de santé de 2007 sur l’oxygénothérapie hyperbare (https://www.has-sante.fr//portail/jcms/r_1498758/fr/oxygenotherapie-hyperbare) et respectent parfaitement la 10èmeconférence de consensus européen sur la médecine hyperbare de 2016 (https://www.medsubhyp.com/images/consensus_bonnes_pratiques_reglementation/10eme_conference_consensus_Lille_2016.pdf) dernier consensus européen de 2016.
Une séance dure environ 90 minutes à une pression équivalente à 15 mètres de profondeurs (2,5 bars), au cours de laquelle le patient peut lire ou écouter de la musique, en position allongée ou assise. La séance est le plus souvent collective. Pour exemple, le centre hyperbare de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille est constitué de 3 chambres hyperbares qui lui permettent de traiter de façon simultanée une douzaine de patients 4 à 5 fois par jours, week-end et jours fériés compris. A tout moment, un personnel médical ou paramédical peut pénétrer par le SAS en cas de besoin. La première séance est précédée d’une visite médicale pour éliminer une éventuelle contre-indication (épilepsie non contrôlés, emphysème, pneumothorax, insuffisance cardiaque…). Les séances sont renouvelées tous les jours, une à deux fois par jours, sur une durée de 2 à 8 semaines. Dans le cas d’une urgence, la séance peut durer jusqu’à 7h et nécessiter la ventilation de mélanges hélium oxygène à une pression équivalente à une profondeur de 30 mètres (4 bars) ainsi que la présence permanente d’un personnel soignant. Les effets secondaires sont rares en dehors d’une possible gêne transitoire au niveau de l’oreille lorsque le caisson est mis sous pression.
La plupart des centres hyperbares effectuent également le suivi à long terme des patients traités, assurent des consultations d’absence de contre-indication aux activités subaquatiques et des visites d’aptitudes aux interventions en milieu hyperbare pour les professionnels, et dans certains cas réalisent des explorations physiologiques intégrées en conditions extrêmes.
L’activité des centres hyperbares est actuellement en pleine expansion grâce notamment à son impact très favorable sur le plan médico-économique et à l’amélioration très nette de la qualité de vie des patients qui bénéficient de ce type de traitement. Ainsi, en 2017, le service hyperbare de l’APHM a réalisé plus de 11.000 séances pour des indications médicales en dehors des accidents de plongée qui ne représente qu’une centaine de patients par an, soit environ 250 séances annuelles. En réalité, la vraie difficulté est l’accessibilité au niveau national. En effet, la France ne dispose que d’une vingtaine de centre hyperbare dont certains très vétustes, répartis de façon hétérogène (fig. n°1). Seul une vraie politique nationale de développement de centres hyperbare pourrait permettre de garantir une équité pour la prise en charge des principales indications en médecine hyperbare. Des données plus précises concernant les centres hyperbares français sont disponibles sur le site de la Société de Médecine et de Physiologie Subaquatiques et Hyperbares de langue Française (https://www.medsubhyp.com/index.php?option=com_content&view=article&id=55&Itemid=249&lang=fr).
Le métier d’hyperbariste reste toutefois très attractif en particulier dans le monde des urgentistes et des anesthésistes réanimateurs. En effet, pour accéder à cette discipline, il suffit de valider un diplôme inter universitaire de médecine hyperbare et de médecine de plongée (DIU ou DESIU) sur un an. Une fois le diplôme en poche, le médecin hyperbariste à accès à une multitude d’activités thérapeutiques mais également à des missions d’enseignements et de recherches. L’hyperbariste peut être également amené à assister, sur le terrain, les professionnels de la plongée lors d’interventions à risque ou à réaliser des actions de formations dans le domaine de la prise en charge des accidents de plongée en particulier lorsqu’il y a à disposition un caisson mobile de chantier.
Aujourd’hui et demain
Dans le domaine de la médecine hyperbare, de très nombreux travaux sont en cours pour démontrer l’intérêt de l’oxygénothérapie hyperbare dans la potentialisation de la radiothérapie et de la chimiothérapie en cancérologie, dans les syndromes de douleur chronique et dans les lésions graves neurologiques.
En médecine de plongée, l’optimisation de la prise en charge initiale par l’entourage grâce entre autre aux formations type RIFAP (réactions et interventions face à un accident de plongée) et à la présence systématique de matériel de secours à bord des navires a nettement amélioré le pronostic des accidents de plongée. La mise en place d’un référentiel d’aide médicale en mer en 2013 (https://www.medsubhyp.com/images/consensus_bonnes_pratiques_reglementation/20131121_ref_aidemedenmer_2013.pdf) a également réduit les délais de recompression. Au niveau des centres hyperbares, la simplification et l’harmonisation des procédures de recompression semblent être une des principales avancées. En 1996, la conférence européenne de consensus qui a lieu à Marseille recommande que les accidents de désaturation mineurs du type myo-articulaires doivent être traités par une table de recompression thérapeutique à l’oxygène pur et à une pression de 2,8 ATA maximum. En ce qui concerne la recompression initiale des ADD graves (neurologiques cérébraux, médullaires et vestibulaires), il n’existe pas de données scientifiques suffisantes pour conclure ; deux options correspondant à l’état des pratiques sont acceptables :
- tables suroxygénées (FI02 = 1) à 2,8 ATA avec extension possible des protocoles en fonction de l’évolution clinique,
- tables à 4 ATA aux mélanges hyperoxiques ; toutefois la valeur optimale de la PI02 (2,8 ATA maximum) ainsi que la nature du gaz neutre de ce mélange ne peuvent être précisés en l’état des données non concluantes disponibles.
Si le choix de l’une ou l’autre méthode dépend de l’expérience personnelle, et des disponibilités locales, en aucun cas, il ne doit retarder l’application du traitement.
La recompression thérapeutique initiale des accidents neurologiques cérébraux par embolie gazeuse artérielle peut se faire à 6 ATA, au mélange hyperoxique mais pas à l’air, si et seulement si le délai de traitement est inférieur à quelques heures. Mais il n’existe pas de données disponibles suffisantes pour préciser :
- la nature du mélange suroxygéné et sa PI02
- le délai à ne pas dépasser pour la mise en œuvre de cette recompression.
En 2016, la 10èmeconférence de consensus propose l’utilisation de tables thérapeutiques de recompression type Table US Navy 6 (fig. n°2) ou COMEX 30 à l’héliox (fig. n°4) (ou équivalent) comme traitement initial d’un accident de décompression. La table US Navy 5 à l’oxygène pure (fig. n°5) (ou équivalent type COMEX 18 courte) peut être utilisée comme première table de recompression pour certains cas légers. Elle recommande toutefois pour les embolies gazeuses de ne pas utiliser des tables de traitement à haute pression (> 405 kPa) en raison d’un manque de preuves. L’utilisation de l’héliox ou du nitrox à haute pression doit être décidée par chaque équipe en fonction de son expérience et de sa logistique.
Ainsi, grâce à une prise en charge précoce par l’entourage avec la mise en place systématique d’au moins une oxygénation et une hydratation associée le plus souvent à un transfert direct et rapide vers un centre hyperbare et des protocoles de recompression simplifiés, l’accident de désaturation évoluent le plus souvent vers la guérison. Seul l’accident de désaturation médullaire peut dans certains cas aboutir à des séquelles invalidantes quel que soit la qualité de la prise en charge initiale. Cependant, des travaux récents concernant l’utilisation de certaines substances pharmaceutiques ouvrent de nouvelles perspectives sur le plan thérapeutique. En parallèle, l’optimisation de la formation des plongeurs professionnels à l’utilisation de caisson mobile thérapeutique, la prise de conscience de l’importance de la mise en place de plan de secours spécifiques aux activités subaquatiques et l’utilisation de moyen de télémédecine permettent d’éviter un retard à la prise en charge thérapeutique en cas d’accident de désaturation survenant en situation d’isolement.
La plongée subaquatique aurait également des vertus thérapeutiques ?
Bien que les effets bénéfiques de l’immersion sur la fonction cardiovasculaire soient connues depuis de longues années, un programme de recherche original, initié par Frédéric Bénéton est en train de démontrer les bienfaits de la plongée sur le stress.
En effet, après des études à l’Ecole Polytechnique, Frédéric entreprend une carrière dans la finance. Pendant ces années très intenses, il se rend compte que seule la plongée lui permet de diminuer son niveau de stress et surtout de mieux gérer l’imprévu lorsqu’il reprend son activité professionnelle. Malheureusement, il fait un burn out quelques années plus tard et décide alors de s’inscrire en 2015 à un master de science pour démontrer les bienfaits de la plongée sur le versant psychologique. A cette occasion, il fait appel au Professeur Marion Trousselard, spécialisé en neurophysiologie du stress à l’Institut de Recherche Biomédical des Armées, et au Dr Coulange, chercheur dans l’unité de recherche en physiologie intégrée en conditions extrême. Ce dernier le met en relation avec l’UCPA Niolon (activité plongée) et l’UCPA Sormiou (activités kayak et escalade) afin d’organiser une première étude dénommée Divestress. Les résultats démontrent de façon significative les effets bénéfiques, spécifiques et rémanents de la pratique de la plongée sous-marine sur l’humeur et le stress sur une population de personnes en bonne santé soumis aux stresseurs professionnels du monde du travail. Ces données viennent d’être publiés dans une revue scientifique internationale (Beneton F et al. Recreational Diving Practice for Stress Management: An Exploratory Trial. Front Psychol. 2017 Dec 18;8:2193).
En 2017, l’équipe lance un nouvel essai clinique nommé Divhope en y associant Vincent Meurice, BEES2, spécialisé en Sophrologie Caycédienne et en préparation mentale des sportifs de haut niveau ainsi que Lionel Gibert, psychiatre à l’AP-HP, à l’hôpital Paul Brousse et Frédéric Lequiniat, infirmier hyperbariste. Ce projet, soutenu par la Fondation d’Aide aux Victimes du Terrorisme et la Société Beuchat, consistait à emmener aux Antilles pendant 12 jours une quarantaine de victimes des attentats du 13 novembre 2015, appartenant à l’association Life For Paris et souffrant du Trouble de Stress Post-Traumatique, pour évaluer les bénéfices de la pratique de la plongée sur la qualité de vie de ces patients. Ce programme unique de plongée spécifiquement créé par Vincent Meurice pour cette étude était caractérisé par un entrainement de l’esprit à vivre le moment présent, en immersion, via une attention soutenue aux mouvements respiratoires et aux informations corporelles, à l’instar des pratiques méditatives classiques. Une étude similaire avec les blessés de l’armée de terre, dénommée Cognidive, soutenu par l’association des Gueules Cassées, vient tout juste de se terminer à Malte. Si les résultats attendus sont confirmés, cette pratique de la plongée “améliorée” s’inscrira comme une nouvelle technique de prise en charge complémentaire pour la régulation du stress et des émotions, l’amélioration du bien-être et de la qualité de vie. Elle pourra être mise en œuvre non seulement au profit de la population générale, mais également dans les populations à risques exposées à des stress intenses (militaires, pompiers…), voire traumatiques.
Nous vous invitons à lire l’article que Vincent a publié ici sur le sujet :
https://www.atlantisformation-guadeloupe.com/author/vincentMeurice/
La médecine hyperbare et la plongée subaquatique offrent donc de multiples perspectives dans le domaine de la santé et du bien-être qui devraient passionner de nombreux hyperbaristes pendant encore de nombreuses décennies…
Pour aller plus loin :
- Site de la société de médecine et de physiologie subaquatiques et hyperbares de langue française : https://www.medsubhyp.com/
- Physiologie et Médecine de la Plongée. Broussolle B, Méliet JL, Coulange M, editors. 2nd ed. Paris: Ellipses; 2006, 880 p.
- Sécurisez votre plongée : mesures préventives et médecine de plongée. Coulange M, Grenaud JJ, editors. Paris: Ellipses; 2008, 400 p.
- Cœur et plongée. Lafay V, editors. Paris: Ellipses; 2017, 336 p.
Vidéo sur une visite du caisson hyperbare de l’hôpital Sainte Marguerite de Marseille, par les plongeurs du club de plongée UNDERSEA Tipaza (Algérie), en compagnie du Dr Coulange, dans le cadre d’un programme de développement de la médecine hyperbare en Algérie :
Un article pointu !
Cependant il ne faut pas oublier les travaux du GERS de la Marine nationale
Dont le traitement des plongeurs accidentés dans les années 50, tous remis en état suite aux soisn reçus au caisson par le Dr Cabarrou et le pharmacien chimiste Perrimond Trouchet
C’était simple, on recomprimait la victime à la pression de soulagement, quelquefois très bas, et après on remontait en prenat son temps. J’ai participé au traitement de Victor Monnier qui à duré 72 H. nous étions de quart à l’intérieur par deux. Il est ressorti très faible certes. mais après une semaine à l’hôpital St Anne il est revenu au GERS avec un carton de champagne courant comme un lapin. Et c’était à chaque fois pareil.
Quand à l’oxygénothérapie hyperbare il y a eu le professeur Barthélémy et Perrimond.
Mais comme c’était la Marine on n’en a pas fait de publicité. Pour en savoir plus sur cette époque, peu médaitique, lire mon livre “Plongées au GERS 1954/57”
Merci d avoir apporté ces précisions essentielles. Je vous prie de m en excuser mais en aucun cas je souhaitai négliger les travaux du service de santé des armées. On est tous bien conscient que la médecine de plongée a été ecrite dans sa plus grande partie par les équipes militaires. L equipe du Pr Blatteau est encore tres active dans ce domaine. J ai egalement une grande affection et un grand respect pour le Pr Barthelemy qui est en plus resté bienveillant, toujours disponible et accessible auprès des jeunes générations.
Effectivement le Pr Barthélémy toujours aussi sympathique. Mr Perrimond-Trouchet est lui hélas disparu très jeune en 1972. Lui aussi travaillait beaucoup sur l’oxygénothérapie hyperbare, même après avoir quitté la Marine. Il avait pris contact avec un ami qui faisait en serre des plantations de fleurs rares dont des orchidées
Il pensait que sous oxygène cela pousserait mieux et avant de mettre des plans en pression il avait construit une mini serre alimentée en oxygène par une bouteille d’oxygers. Le résultat était flamboyant avec des radis immenses du type des plantations de tchernobyl.
Au sujet de l’étude Divhope sur la remise en forme des individus choqués par des actes de terrorisme et même par une existence perturbée j’avais développée une théorie qui n’est pas passée :
– “Il est certain que de se voir offrir 15 jours aux Antilles, avec des plongées pour ceux qui seront aptes, cela ne peut qu’être salutaire pour toux ceux ayant subi un choc physique ou moral violent.
Cela à été découvert en 1936 avec les “Congés payés”. Ce traitement devenu courant demande l’application d’un temps plus long actuellement Et s’il est étendu à des voyages dans des pays de rêve et des moments de vie dans des palaces, cela permettra d’obtenir de meilleurs résultats. Mais là aussi, ne faudra t’il pas l’améliorer au fil des ans comme précédemment. Ce qui pose la question pour l’avenir…”
salut.
La médecine hyperbare est une spécialité jeune et qui mérite d’etre tres répandue et de s’y pencher. En tant que plongeuse et médecin à la fois, j’ai constaté que le traitement par oxygénothérapie hyperbare de certaines pathologies essentiellemnt neurologiques (sequelles d’intoxication au monoxyde de carbone par exemple/ jeune patiente de 14 ans que j’avais suivi personnellement ) est extremement long. Existe t’il un ou des moyens qui pourraient raccourcir la durée du traitement?
Un grand bravo et un grand merci pour tout le personnel soignant de cette discipline.