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Propos du Professeur Patrice Francour, Directeur-adjoint d’ECOMERS, recueillis par Yvan Chocoloff

On a vu ces derniers temps passer dans la presse quotidienne des articles concernant l’échouage de mérous sur la côte Méditerranéenne au Sud-Est de la France. Les explications qui y sont avancées sont assez vagues, plusieurs hypothèses sont apportées, mais réellement rien de concret n’en ressort. Afin d’en avoir le cœur net et souhaitant surtout avoir l’avis d’un scientifique en la matière, nous avons donc interrogé le Professeur Patrice FRANCOUR, Directeur-Adjoint d’ECOMERS (Ecosystèmes CÔtiers Marins Et Réponses aux Stress), spécialiste des populations de poissons dans les zones rocheuses et les herbiers marins.

Plongée-Infos : Nous avons pu lire beaucoup de choses dans la presse à propos de cette brusque mortalité des mérous, mais d’où vient ce virus ?

Professeur Patrice Francour

Pr Patrice Francour : Il est toujours difficile de connaître l’origine d’un virus, à priori le Nodavirus a été identifié la première fois dans les années 80 au niveau des fermes d’aquacultures et notamment dans une ferme d’élevage de loups en Martinique. Il a été rapporté des cas de mortalité dans le monde entier au niveau des élevages, beaucoup en Asie et dans le Pacifique mais par contre, pas en Amérique du Sud. Il aurait été fait mention de plus d’une cinquantaine d’espèces de poissons contaminées.
P.I. : Est-ce que ce Nodavirus serait la cause des méthodes d’élevage intensif des poissons ?
Pr P.F. : Non pas du tout, il ne faut pas en déduire que le virus est né dans les fermes aquacoles, il y a eu une propagation naturelle. Lorsque vous avez une population dense, les virus se propagent beaucoup plus vite. On peut très bien comparer avec le virus de la grippe qui se transmet plus rapidement en ville qu’à la campagne où la probabilité est plus faible. Je tiens à rappeler que le Nodavirus est d’origine naturelle donc rien à voir avec la méthode d’élevage. Il se trouve que c’est dans ces endroits que la détection est plus facile, rien de plus.

© Yvan Chocoloff

P.I. : Qu’en est-il du mérou alors ?
Pr P.F. : En ce qui concerne le mérou de la Méditerranée , les premières observations de mortalité sont apparues sur la partie sud à partir de 1979, à priori il n’y en aurait pas eu entre 2016 et 2017. On ne peut pas en donner réellement les causes, on n’en sait strictement rien, puis par la suite on a eu des cas plus sur le nord. Nous sommes en contact avec plusieurs professeurs d’université, notamment en Afrique du Nord qui nous ont fait part de plusieurs mortalités de différentes espèces, dont le mérou. Il est difficile d’en déduire que les températures de l’eau en sont la cause, certes le Nodavirus peut se développer plus rapidement, mais on sait également qu’une température trop élevée est nuisible à son développement… La majorité des mérous que l’on a retrouvés mesuraient entre 30 et 80 cm et ce sont les plus faibles qui sont touchés en priorité. Cette année par exemple nous avons recensé plusieurs cas, un entre La Ciotat et Saint Cyr, un dans l’Estérel, un dans le port de Saint-Jean Cap ferrat, un à Cap D’ail, un dans la réserve de Scandola et une dizaine à Monaco. Tous ont été trouvés entre septembre et octobre.

© Yvan Chocoloff

P.I. : Etonnement, il n’y a pas eu de cas signalé à l’Ouest de la Méditerranée ?
Pr P.F. : J’ai des collègues un peu partout autour de la Méditerranée, l’information est passée, pour le moment j’attends des retours, je ne pense pas qu’il y ait eu des épisodes très importants. Il faut aussi comprendre que si un poisson est un porteur du virus, ce qui ne veut pas dire malade ou qu’il a développé la maladie, s’il se trouve en Afrique du Nord, il lui est plus difficile de passer par l’Espagne que de longer la côte Africaine et remonter par l’Italie. L’explication est simple, il y a un courant qui rentre par le détroit de Gibraltar, qui longe l’Afrique du Nord d’Ouest en Est, qui se sépare et remonte par la Sicile et l’Italie, puis sur notre côte Est et enfin termine sa route en longeant l’Espagne. Mais pour le moment nous n’avons pas plus d’information là-dessus.
P.I. : Et pourquoi ne retrouve t’on que des cadavres de mérous ?
Pr P.F. : Disons que le mérou est quand même un poisson assez gros, il est reconnu par les gens, il marque les esprits et on en parle assez facilement quand on en trouve un. Maintenant lorsque les gens voient un plus petit poisson mort du type labre ou serran, ils y sont moins sensibles donc le font moins savoir, et encore faut-il qu’ils s’échouent sur une plage avant qu’ils soient mangés par un prédateur. Et puis il y a ceux qui peuvent s’échouer sur de la roche et de ce fait ne seront pas visibles par l’humain. Étant donné qu’il y aurait une cinquantaine d’espèces de touchées, il y a très peu de chance qu’en Méditerranée il n’y ait que le mérou qui meurt du Nodavirus.
P.I. : Alors la grande question que tout le mode est en droit de se poser, le Nodavirus est-il dangereux pour nous ?
Pr P.F. : Selon nos connaissances actuelles il n’est pas dangereux. A ce jour nous sommes affirmatifs, il n’y a jamais eu de contamination du nodavirus vers l’homme. Les gens qui manipulent les poissons dans les zones d’aquacultures n’ont jamais été infectés par le virus. La seule précaution qu’il faut prendre lors de la manipulation d’un poisson mort, c’est d’éviter de propager le virus. Il faut porter des gants et mettre le poisson dans un sac étanche afin d’éviter la diffusion de la maladie. Donc aucun danger par la mise en contact avec l’homme, c’est juste un problème de prophylaxie.

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© Yvan Chocoloff

P.I. : Que faut-il faire si on trouve un poisson mort à la surface ou échoué ?

Pr P.F. : Théoriquement d’après les textes sanitaires en vigueur il faut en avertir la mairie ou les pompiers qui connaissent les procédures. Si l’animal fait moins de 40 kg, c’est à la mairie de procéder elle-même à l’enlèvement. Au-delà 40 kg, la mairie contacte un laboratoire départemental vétérinaire ou un équarrisseur qui prendra en charge l’animal, voilà brièvement comment cela devrait se passer. Maintenant si une baleine s’échoue sur la plage, étant donné que c’est voyant, la mairie va faire le nécessaire, par contre s’il y a un poisson de moins de 40 kg sur la plage, c’est moins évident que la mairie se bouge pour ça. Et puis il y a un autre problème, en France le mérou est protégé par un moratoire, si une personne se fait contrôler avec cette espèce elle risque d’avoir des désagréments même en toute bonne foi. Donc le plus simple, et comme je le disais précédemment, c’est de prévenir la marie ou les pompiers. A la limite si vous connaissez le numéro de téléphone du parc marin, vous pouvez également les en informer.
P.I. : Comment le public peut-il vous aider pour cette surveillance ?
Pr P.F. : Actuellement nous n’avons aucun moyen ou structure de mis en place pour la surveillance et la récupération des poissons comme il existe pour les cétacés, il en est de même pour empêcher la propagation du Nodavirus. Néanmoins il peut y avoir un travail sur le terrain de surveillance pour prévenir les scientifiques. Ce travail d’information permettra d’étudier si les vagues d’infection par le virus sont régulières et connaître l’ampleur du phénomène. Par exemple si aujourd’hui sur les côtes Françaises nous recensons une vingtaine de cas et que par la suite on passe à 100 fois plus, cela nous permettra d’avoir des bases et un historique scientifique. Je suis en train d’étudier un système de réseau avec les laboratoires vétérinaires des différents départements de la côte méditerranéenne française afin de voir comment pourrait se faire la prise en charge. Pour le moment ce n’est qu’un problème épisodique, donc il n’y a pas lieu de s’affoler, juste de surveiller et de déceler s’il y a une propagation du phénomène. Dès que le réseau sera mis en place, je vous en informerai.
P.I. : On trouve également de temps à autre des cétacés morts échoués, est-ce dû au Nodavirus ?
Pr P.F. : Ce virus n’est pas transmissible aux mammifères, donc les dauphins, les baleines et autres cétacés ne sont pas touchés. Pour mémoire voici les symptômes du virus : les poissons morts ou agonisants flottent généralement en surface (vessie natatoire gonflée), yeux abîmés, vitreux et peau en mauvais état. Certains sont encore vivants en surface. Sur les poissons encore actifs au fond, un changement de couleur (plus clair ou plus sombre) est constaté ainsi qu’une perte du contrôle des mouvements et un gonflement de la vessie natatoire. En plus des atteintes oculaires, des lésions et blessures peuvent alors être observées chez ces individus en raison de leur déplacement erratique. L’affection, en aquaculture, touche particulièrement (mais pas seulement) les juvéniles. Donc en conclusion, pas vraiment d’inquiétude à avoir puisqu’il s’agit d’un virus qui ne peut infecter l’homme, mais il convient tout de même d’être attentif et de signaler à titre préventif tous les cas de suspicions aux parcs marins .
 

1 COMMENTAIRE

  1. Excellent article qui explique parfaitement ce qui se passe. On peut donc demander à tous de cesser de pousser des cris d’alarmes comme on voit beaucoup cela depuis quelques jours. Je vais le mettre sur FB

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