Par Phil Simha. Photos Paul Poivert
Autrefois réservés aux plongeurs Tek, les mélanges Nitrox (taux d’oxygène supérieur à la normale dans le mélange respiré par le plongeur), sont aujourd’hui largement utilisés en plongée de loisir. Mais certains plongeurs, peu familiarisés dans ces mélanges bizarres, se posent encore la question : est-ce vraiment compliqué de plonger au Nitrox ? La réponse de Phil Simha.
Quels sont les phénomènes physiologiques entrant en jeu pour réellement comprendre quel est l’avantage majeur du Nitrox pour nous ?
Pour bien commencer, un peu de théorie s’impose et nous allons simplifier en considérant l’air comme un mélange composé de 80% d’azote (N2) et 20% d’oxygène (O2). En termes de plongée, l’air que l’on respire, c’est à dire le mélange des différents gaz, est considéré comme une unité (le chiffre 1) et les pourcentages de chacun des gaz sont nommés des “fractions”. Dans notre air simplifié, nous avons donc une fraction d’azote (fN2) de 0,8 et une fraction d’oxygène (fO2) de 0,2. L’addition des deux franctions étant égale à 1.
En plongée toujours, nous parlons de pression partielle, qui se calcule en multipliant les fractions par la pression à la profondeur d’évolution : à 10 mètres, où nous rencontrons 2 bar de pression ambiante (pression absolue), nous obtenons une ppN2 de 1,6 bar et une ppO2 de 0,4 bar ; à 30 mètres et 4 bar de pression ambiante, la ppN2 est de 3,2 bar et la ppO2 de 0,8 bar. Il est ainsi clair que la pression partielle de chacun des gaz augmente avec la profondeur, signifiant en toute logique que leurs effets respectifs augmenteront eux aussi en conséquence.
L’azote
Avec l’augmentation de la profondeur, le plongeur s’expose à deux problèmes principaux liés à l’absorption d’azote sous pression. Bien sûr, la maladie de décompression vient en premier lieu, puisqu’elle concerne tous les plongeurs, lors de toutes les plongées. En revanche, la fameuse narcose ou ivresse des profondeurs, concerne ceux qui plongent un peu profond.
La maladie de décompression représente un danger potentiel à gravité variable, mais qui nous impose le respect qui se reflète dans nos tables de plongée sous la forme d’une courbe de sécurité. Hors de cette courbe, les paliers de décompression deviennent obligatoires pour prévenir les risques liés à l’accumulation d’azote dans l’organisme. Une certaine tolérance existe chez tous les individus, mais au-delà, des bulles peuvent se diffuser dans le système sanguin et les tissus, avec des conséquences allant de la simple démangeaison à la mort pour les cas extrêmes et mal traités. En ce qui concerne la narcose, on suppose qu’elle est due à l’effet de la pression partielle élevée de l’azote sur notre système nerveux. En perturbant la circulation des informations, l’azote induit un ralentissement de la faculté d’analyse, une certaine confusion et peut aboutir à des réactions incontrôlées. On estime que “l’effet narcose” peut commencer à se manifester dès que la pression partielle d’azote atteint 3 bar (28 mètres à l’air), mais il s’agit d’un phénomène individuel que certains plongeurs parviennent à maîtriser au terme d’une adaptation progressive.
L’oxygène
L’oxygène est, comme on le sait, un carburant essentiel de notre organisme : il est un gaz vital, thérapeutique par excellence, notamment pour le traitement d’un plongeur . Notre organisme se satisfait d’une pression partielle de 0,21 bar pour assurer ses besoins normaux -les 21% d’ O2 que contient l’air- mais peut tolérer des pressions partielles plus élevées jusqu’à un certain point.
Une pression partielle d’oxygène élevée peut donc elle aussi avoir des répercussions sur notre organisme. La première préoccupation liée à une exposition trop prolongée à une pO2 élevée est connue comme “effet Lorrain Smith” et affecte les cellules des alvéoles pulmonaires. Ce risque, réel pour les plongeurs professionnels opérant en saturation, est négligeable chez les plongeurs de loisir, dont les temps et les pressions d’exposition sont incomparables avec ces profils extrêmes. L’autre danger de l’oxygène en plongée est connu sous le nom d’ « effet Paul Bert » ; il s’agit cette fois d’un risque beaucoup plus complexe de toxicité du système nerveux central (SNC). L’excès d’oxygène dans notre système (hyperoxie) peut entraîner certains symptômes typiques, parmi lesquels des bourdonnements dans les oreilles, des perturbations visuelles, mais surtout un risque de convulsions incontrôlables qui pourraient amener un plongeur à perdre son détendeur, avec les conséquences que l’on imagine. Là aussi, cependant, le risque est facilement maîtrisable et a été étudié depuis des lustres, d’abord par les physiciens, puis plus récemment par les organisations de plongée. La limite de tolérance de notre organisme est fixée à une ppO2 de 1,6 bar, qui correspond à la limite autorisée par certaines organisations pour la plongée à l’air. Cette seule valeur n’est pas suffisante en elle-même, puisque le temps d’exposition à cette pression joue lui aussi un rôle : avec une ppO2 constante de 1,6 bar, le temps d’exposition devrait être de plus de 45 minutes pour que le risque soit conséquent. Pour un meilleur contrôle, certaines organisations de plongée préconisent de limiter la pO2 à 1,4 bar, une différence qui peut sembler minime mais qui ramène le risque hyperoxique à un temps d’exposition constante de 150 minutes. Bien que loin de pouvoir nous affecter en plongée loisir, le risque reste néanmoins géré avec soin par le biais de tables d’exposition à l’oxygène, qui permettent de calculer ce que l’on appelle le “CNS Clock” -horloge d’exposition du système nerveux central- et des ordinateurs de plongée, bien sûr, qui intègrent d’ailleurs de plus en plus souvent l’air enrichi.
Le couple idéal…
Alors voyons finalement maintenant comment le Nitrox devient réellement notre allié en plongée. Toujours en gardant des chiffres faciles, nous allons passer de l’air à un Nitrox40, (60% d’azote et 40% d’oxygène). Nous calculons rapidement les pressions partielles de chacun des gaz : à 30 mètres et 4 bar de pression, nous avons une ppN2 de 2,4 bar et une ppO2 de 1,6 bar. Et en passant de l’air au Nitrox40, nous avons pu diminuer la pression partielle de l’azote de 0,8 bar, ce qui veut dire pratiquement que nous ne respirons que la quantité d’azote que l’on respirerait en étant 8 mètres moins profond ! Sur cette base, nous plongeons donc à une profondeur réelle de 30 mètres, mais la réduction d’azote fait que la “Profondeur Equivalente à l’Air” (PEA) est de 22 mètres. Non seulement le risque de narcose est automatiquement amoindri, mais, surtout, l’absorption d’azote est largement diminuée par rapport à la profondeur réelle, réduisant en conséquence les risques liés à la décompression.
Bien que cela soit vrai dans certains cas, on présente encore trop souvent le Nitrox comme un moyen de plonger plus longtemps, alors que c’est avant tout ailleurs qu’il faut voir son atout majeur. Il est tout simplement le mélange qui amène une option simple et une amélioration radicale dans la gestion du phénomène de la décompression. Par exemple pour une plongée à une profondeur de 22 mètres, le temps de plongée sans décompression à l’air serait de 37 minutes, alors qu’il serait de 70 minutes avec un Nitrox36, soit près du double !
Un point extrêmement important à saisir est donc bien le fait que le Nitrox n’a pas pour but premier de nous permettre des plongées plus longues, mais bien de nous promettre –à plongées égales- que nous aurons moins d’azote résiduel dans notre organisme à la fin de la plongée.
Analyser le mélange
Un cours de plongée au Nitrox doit permettre au participant d’être informé sur les méthodes de fabrication du mélange, mais ne demande aucune expérience pratique dans ce domaine. Essentiels en revanche pour le plongeur dans le domaine logistique sont les outils servant à vérifier la teneur en O2 du mélange et les instruments de planification. Idéalement, le plongeur aura l’occasion de manipuler au moins deux types d’analyseurs différents, représentatifs de ce qu’il pourra rencontrer un peu partout dans le monde. Certains sont relativement complexes et dotés d’une électronique sophistiquée, tandis que d’autres sont bien plus simples et à peine plus gros que leur élément principal, la sonde qui détecte le pourcentage d’oxygène. Il faut prendre l’habitude d’assumer la responsabilité qui nous incombe dans les étapes pré-plongée ; après tout, puisque c’est bien de notre plaisir et de notre confort qu’il s’agit, c’est finalement avec un certain enthousiasme que l’on procède rapidement à ces contrôles indispensables. Enfin, après analyse du mélange et une vérification de la pression du bloc, les informations obtenues vont être reportées par le plongeur sur un registre de gonflage et sur le bloc lui-même.
Planifier la plongée
Les informations obtenues dans l’étape précédente vont être les bases de notre planification. Dans le cadre d’un cours de plongée technique, ces données seraient typiquement saisies dans un ordinateur portable doté d’un software et facilitant tous les calculs complexes nécessaires à une plongée prolongée et très profonde.
Ici, les points clés sont la profondeur équivalente à l’air (PEA), la limite de non-décompression, la profondeur maximale du mélange (MOD) et l’exposition oxygène : les tables vont nous permettre de déterminer dans quelle limites nous pouvons réaliser telle ou telle plongée, autant que de déterminer quel mélange serait le meilleur par rapport à une plongée envisagée. Une fois le concept saisi, les calculs se révèlent tout simples et à la portée de tout un chacun.
Programmer son ordinateur
Depuis quelques années déjà, la plupart des fabricants ont inclus le Nitrox dans la conception des ordinateurs de plongée. La plupart permettent d’effectuer des réglages jusqu’à 50% d’oxygène, certains jusqu’à 99%, et d’autres encore autorisent la programmation de trois mélanges différents ou plus, afin de calculer en temps réel une décompression accélérée par des changements de mélanges. Comme pour les téléphones portables, suivant les modèles, les manipulations et la saisie des paramètres vont du plus simple au plus compliqué. En formation, puis à l’achat, mieux vaut répéter quelques fois les étapes de programmation sous la supervision d’un expert afin de bien comprendre le chemin à suivre. Les réglages incluent bien sûr le pourcentage d’oxygène, mais aussi la pression partielle maximum que l’on s’autorise : ces données détermineront automatiquement la profondeur maximum autorisée et le temps de plongée consenti avant la décompression. Là non plus, rien de bien compliqué, surtout si nous disposons de notre propre ordinateur avec lequel nous serons vite familiarisés. D’une plongée à l’autre, l’ordinateur fera comme d’habitude le suivi de notre azote résiduel, mais aussi, dans ce cas précis, de notre exposition oxygène. Bien sûr, l’ordinateur nous autorisera des plongées successives avec différents mélanges et se basera à chaque fois sur les paramètres que nous y entrons pour calculer la plongée à venir.
Obtenir son brevet Nitrox
On l’aura donc bien compris à la lecture de ce qui précède : apprendre la plongée au Nitrox se fait essentiellement hors de l’eau et pas dans l’eau ! Si cet état de choses peut sembler surprenant, il y a cependant une logique qui veut que le seul fait d’employer un mélange légèrement différent de l’air ne nous oblige pas à apprendre de nouvelles techniques de plongée : respirer reste respirer, que notre bloc contienne de l’air normal ou enrichi ! Pour toutes les organisations, donc, l’apprentissage du Nitrox passe par des étapes d’enseignement des connaissances théoriques et par des ateliers pratiques d’analyse et de planification.
En toute logique, nous comprenons donc bien les raisons qui font que plonger au Nitrox demande l’acquisition de nouvelles connaissances et que celles-ci sont trop importantes pour être négligées. Mais en toute logique aussi, on se souviendra que le Nitrox n’est pas un mélange fait pour les grandes profondeurs, ce qui signifie aussi que pour la majeure partie d’entre nous, une formation purement loisir sera tout à fait suffisante. Pas trop de théorie, un peu de pratique… et le mélange est dans le bloc !