Propos recueillis par Yvan Chocoloff – Illustrations de Xavier Méniscus
Un record du monde en plongée souterraine pour terminer cette année 2019 en beauté ! Interview exclusive de Xavier Méniscus pour sa plongée à -286 mètres.
Le 30 décembre dernier, pour clore l’année 2019 en beauté, le plongeur spéléo Xavier Méniscus a battu le record du monde de plongée souterraine en descendant à -286 mètres lors de l’exploration de la résurgence de Font Estramar, près de Salses-le-Château dans les Pyrénées Orientales. Le précédent record était détenu depuis plusieurs années par le plongeur sud-africain Nuno Gomez qui avait atteint -282 mètres dans le gouffre de Bushmansgat en Afrique du Sud.
À 51 ans, Xavier Méniscus devient le nouveau recordman mondial, mais il explique que son but est tout autre puisqu’il s’agit avant tout d’explorer les réseaux aquatiques souterrains pour en dresser une topographie précise.
Plongée Infos (P.I.): Une tentative audacieuse ?
Xavier Méniscus (X.M.) : Ça faisait très longtemps que nous la préparions minutieusement, nous avions mis toutes les chances de notre côté. Nous étions prêts, c’était le bon jour pour faire cette exploration. Ce qui compte, c’est le travail qui est fait sur le terrain par les plongeurs. Notre but n’est pas de battre des records, mais de poursuivre une exploration, en ramener une topographie, des tracés qui permettent de connaître l’hydrogéologie de la région. C’est d’un grand intérêt notamment pour le captage de l’eau car n’oublions pas que près d’un tiers de l’eau douce de la planète se trouve sous terre et qu’il est important de faire l’inventaire de ce potentiel.
P.I. : Pourquoi ce nouveau record ?
X.M. : C’est la poursuite du travail qu’on poursuit dans cette cavité depuis des années. En 2013, j’avais atteint 248 mètres de profondeur, puis 262 mètres en 2015. C’était un projet fédéral de la Commission Nationale de plongée souterraine de la FFESSM. Puis le projet a été interrompu. En juin 2019 j’ai repris cette exploration à mon compte et j’ai poussé l’exploration à cette profondeur pour explorer une grande salle d’une cinquantaine de mètres de longueur au fond de laquelle j’ai trouvé le départ d’un nouveau puits. C’est ce puits qui m’a conduit ce 30 décembre à cette profondeur de -286 mètres. Je me doutais qu’en descendant dans ce puits, j’allais certainement battre le record mondial de Nuno Gomez.
P.I. : Quelle configuration ?
X.M. : Je portais un double recycleur Jocky en latéral/dorsal (recycleur créé au début des années 2000 par Fred Badier, plongeur spéléo bien connu du milieu souterrain) que j’utilise depuis plus de 15 ans pour les plongées à grande profondeur et un troisième recycleur aux paliers en sécurité. Il y avait aussi des bouteilles d’oxygène en relais pour alimenter les recycleurs, plus deux petites bouteilles d’air pour effectuer les « rinçages » afin d’éviter les risques d’hyperoxie.
Pour le mélange respiratoire, le diluent-fond était composé de 5,5% d’oxygène et 84% d’hélium (les 10,5% restant étant de l’azote – NDLR). Toute la plongée s’est faite sur ce diluent et la pression partielle d’oxygène était constamment ajustée de façon à être la plus stable et constante possible pendant toute l’immersion. La consommation réelle au cours de cette plongée a été essentiellement de l’oxygène puisque le diluent ne sert qu’à remplir les volumes.
Deux binômes d’équipiers se sont relayés à partir de 40 mètres de profondeur pour m’assister et m’approvisionner. Pour pouvoir m’alimenter pendant l’immersion (notamment aux paliers), je consommais de la nourriture liquide (compotes, crèmes dessert et je buvais des boissons énergisantes. J’ai absorbé environ 3 litres de liquides pendant la plongée.
P.I. : Quel est le profil de la plongée ?
X.M. : J’ai mis 22 ou 23 minutes pour descendre. Pour ne pas perdre de temps, j’utilisais un propulseur sous-marin. Je restais sur un recycleur pendant tout le temps de la plongée, mais j’effectuais régulièrement des tests sur le deuxième pour vérifier les gaz et l’injection, de sorte qu’il soit immédiatement opérationnel en cas de besoin.
P.I. : Au fond du puits, qu’as-tu trouvé ?
X.M. : J’ai effectué les 50 mètres de progression horizontale à -262 mètres, puis j’ai débouché dans une grade salle ; j’en ai fait le tour sans voir de départ. Puis au fond de la salle, j’ai découvert un trou. Je m’y suis engagé et j’ai découvert une nouvelle salle de plus de 10 mètres de large sur 5 à 6 mètres de haut, qui descendait assez rapidement jusqu’à -286 mètres. À partir de là, la pente diminue, mais elle continue à descendre sous forme d’un gros boyau. L’exploration pourra donc se poursuivre encore. Surtout qu’en remontant, en haut de la grade salle vers -240 mètres, j’ai trouvé d’autres départs de conduits jusque là inconnus et qui restent à visiter.
Ensuite il m’a fallu 10H30 pour remonter, avec le premier palier de décompression à -135 mètres qui a duré une minute, et ensuite chaque palier augmentait progressivement en durée pour arriver au dernier, à -3 mètres, qui a duré 3 heures. Pour la décompression, j’utilisais deux ordinateurs de plongée qui étaient connectés à mes recycleurs pour pouvoir mesurer la pression partielle d’oxygène afin d’optimiser la décompression. En plus, depuis plus d’un an, j’utilise un capteur Doppler à la sortie de chaque plongée, qui permet de mesurer le niveau des bulles dans la circulation sanguine et le niveau de désaturation. Ce travail mené avec la société Azoth Systems a permis de déterminer une courbe de désaturation optimisée de façon à ce que tout se passe en toute sécurité. De cette manière quand j’ai fait le test Doppler à la sortie de la plongée-record, j’avais un niveau de bulles proche de zéro.
Pour la progression, j’utilisais un scooter sous-marin principal Seacraft Ghost, testé à plus de 300 mètres de profondeur, donc complètement fiable pour cette exploration. En sécurité, je traînais derrière moi un deuxième propulseur qui, en cas de panne du premier, pourrait me ramener jusqu’à la sortie. La société Seacraft avait aussi mis à ma disposition une console de navigation ENC2 qui m’a permis de réaliser le tracé topographique de toute la plongée. Je pourrai ainsi aire un plan précis de mon parcours et le cartographier. C’est très important pour la compréhension du réseau aquatique souterrain.
P.I. : Faut-il des qualités particulières pour réaliser un tel exploit ?
X.M. : Avant tout, il faut préciser que dans ce genre d’exploration, c’est la cavité qui décide. Le plongeur qui s’aventure à cette profondeur doit avoir une sérieuse expérience doublée d’une préparation sans faille. Il faut savoir que je suis scaphandrier professionnel, qualifié et habilité à travailler professionnellement à ces profondeurs. J’ai une expérience de plus de 32 ans dans la plongée professionnelle et de 15 ans en plongée souterraine, avec de nombreuses explorations à grande profondeur à mon actif. Je peux même dire que j’ai exploré à peu près toutes les grottes inondées de France.
Tout le travail de préparation de cette plongée a été réalisé avec une équipe extrêmement compétente et mon entraînement a duré plusieurs années pour pouvoir aborder cette plongée avec le moins de risque possible. A tel point qu’à la remontée, quand je suis arrivé dans la zone des 240 mètres, je me suis senti en sécurité, comme de retour en terrain connu. Cela implique un entraînement constant, avec au moins une plongée entre -180 et -200 chaque semaine, puis en augmentant progressivement à -240, puis -260 mètres ces derniers mois.
P.I. : Comme il est de tradition, c’est à toi de nommer cette nouvelle galerie. Quel nom vas-tu lui donner ?
X.M. : Cette galerie va être baptisée « Galerie Subaba », en mémoire à un ami plongeur du Spéléo Secours Français qui est décédé pendant une opération de secours, Laurent Rouchette.
Ont participé à ce record :
La dream team :
Baptiste Benedittini – Henri Benedittini – Catrice Pabanel – I-Maxime Mi-Mollet
Technicals partenairs :
– Seacraft DPV Ghost 2300Wh
– ENC2 Seacraft
– Paralenz camera – Jacob Dalhoff Steensen
– Diveavenue – Arno DiverDiveavenue
– Bigblue light – Yannig Charles
– SFtech TNT drysuit – Franz Schönenberger
– Finnsub : Wings
– Phaethon – Komninos Boutaras
– Azoth_Systems : Doppler Sensor O_Dive – Didier Draguiev
– Mares_XR : Florent Michel Locatelli
– AMX_Teknoligy : – Arnaud Marecki
– Oliv_Air : Bonex référence sécu body -350m – Olivier Bertieaux
Une petite erreur de légende sous la photo de l’ordinateur 286.2 m et non 686.2m sinon bel article et encore bravo à Xavier
Merci ! Je corrige de suite.
Cordialement