*Nous sommes les cénotes. Par Vincent Rouquette – Cathala – Photos Phillip Lehmann et SOMOSLOSCENOTES
Comment protéger les cénotes, ces merveilles de la plongée souterraine dans le Yucatan (Mexique), soumis à la convoitise des promoteurs immobiliers ? Éléments de réponse de Vincent Rouquette – Cathala, spécialiste dans ce domaine.
Il y a déjà dix ans de cela. Natalie Lynn Gibb, Anders Knudsen et moi-même faisions nos premiers pas en exploration sur la Péninsule du Yucatan, connue pour l’infinité de ses réseaux souterrains.
Notre enthousiasme à l’époque était sans limite. Nous n’hésitions pas à nous arrêter dans n’importe quelle ferme, à discuter avec n’importe qui, et surmonter n’importe quel obstacle afin de trouver des nouveaux cénotes dans lesquels assouvir notre soif d’exploration.
Nous pensions naïvement que tout le monde portait un réel intérêt à ce qui nous semblait alors être l’activité la plus gratifiante que pouvait vivre un plongeur souterrain, voire un être humain. Et il ne nous serait jamais passé par la tête que certaines personnes n’aient pas envie de protéger les merveilles que sont les cénotes de la péninsule du Yucatan.
Chapeautés depuis déjà quelques temps par de grands noms de l’exploration souterraine dans la péninsule tels que Bill Phillips et Steve Bogaerts, il nous avait été dit que la plus grande épopée exploratoire de la région était derrière nous, les grands systèmes de grottes avaient déjà été découverts et connectés. Il restait sans doute d’anciennes explorations à poursuivre, quelques bouts de lignes à rajouter dans quelques tunnels partiellement envasés…Mais le gros de l’exploration était terminé, c’est en tous cas ce que l’on nous avait dit, et ce que nous croyions.
De plus, une légende rurale (plus qu’urbaine) prétendait que tous les grands réseaux souterrains de la région présentant des développements horizontaux d’importance, se situaient exclusivement entre la côte des Caraïbes et une mystérieuse faille géologique, appelée la fracture de Holbox. Même si personne n’avait (et n’a encore) prouvé son existence, elle devait en théorie marquer la limite ouest, à environ 12 kms de la côte, ainsi que la limite sud de la zone où se trouvent les réseaux les plus étendus, au nord d’un petit village du nom de Muyl. Nous croyions alors nos mentors, car rien ne nous avait jusque-là prouvé le contraire.
Notre motivation sans relâche nous poussait cependant à aller nous mettre dans chaque trou boueux que nous trouvions. Nous ne voulions pas perdre la moindre opportunité de découvrir de nouvelles grottes vierges. Et bien que la plupart de nos essais se terminèrent par de cuisants échecs, il nous arriva aussi à l’époque de vivre quelques succès, et de rajouter quelques kms de ligne fraîche à des projets d’exploration abandonnés depuis les année 90. Notre mantra était alors “si on n’y va pas, on ne saura pas”…
C’est sans doute cette obstination aveugle qui nous mis sur la route de Moises. Un villageois au nom prophétique qui nous montra un cénote vierge proche du petit village de Muyl.
Le plus probable étant de trouver encore une fois un trou vaseux au milieu de la jungle, dans une zone ou les vétérans ne voyaient aucune possibilité sérieuse d’exploration, il nous fallait quand même aller voir pour savoir…
Contre toute attente, la grotte se révéla immédiatement immense, d’une beauté jamais encore vue dans la région, et elle semblait de plus infinie. Nous y vécûmes alors parmi nos plus grands moments d’exploration, vidant des dévidoirs de fil les uns après les autres, ajoutant chaque mois de nouveaux kilomètres d’exploration à ceux des semaines passées.
Nous nous rendîmes alors compte qu’un aquifère monstrueux se cachait dans la région de Muyl. Et que les possibilités d’exploration étaient pratiquement illimitées. Les connections entre réseaux se succédèrent, les kilomètres de lignes s’ajoutaient les uns aux autres. Aujourd’hui l’exploration de cette zone n’a pas ralenti et présente à elle seule un des plus gros potentiels de notre région.
Un des aspects les plus remarquables de cette région, réside dans la variété des paysages souterrains rencontrés : Des grottes très étendues aux spéleothermes presque translucides, comme aux Bahamas, des cavités beaucoup plus profondes aux dimensions titanesques, qui semblent creusées par des ouvriers géants d’un autre âge. Des passages intimes très peu profonds accessibles seulement aux techniques de “sidemount avancé”, en rampant et en poussant bouteilles et matériel, et souvent un mélange de tout cela au sein d’un même passage.
Les restes paléonto-archéologiques sont aussi nombreux : Des ossements de faune disparue depuis la dernière ère glaciaire et une abondance rare de vestiges mayas font de cette zone une véritable capsule temporelle qui doit impérativement être protégée, chérie et préservée.
La Jungle au-dessus est de plus une des dernières forêts originelles du sud-est Mexicain. On y rencontre souvent des jaguars, des toucans, et toutes sortes d’espèces devenues malheureusement très rares ailleurs, les arbres multi centenaires aux proportions de gratte-ciels végétaux y sont encore fréquents.
Entretemps la nouvelle génération d’explorateurs dont nous faisions partie, n’a eu de cesse que de trouver et d’explorer des grottes dans l’ensemble de l’état du Quintana Roo, et même au-delà. Il devenait alors clair que les légendes propagées par nos prédécesseurs n’étaient que cela : des légendes. Il suffisait de chercher de nouvelles grottes pour les trouver, et se mettre sous la dent des projets d’exploration tout frais.
Nous avions tous commencé à réaliser cependant que notre passion égocentrique pour être les premiers humains à voir certaines parties de notre planète, pouvait aussi être abordée de manière plus globale en incluant les problématiques que sont la divulgation de la connaissance, à des fins de conservation et d’éducation.
En effet un peu partout autour de nous, d’énormes complexes hôteliers détruisaient des centaines d’hectares de forêts et de mangroves dans le seul but de faire du profit rapide et sans vison sur l’avenir. Les stations de pompage proches des villes montraient de plus en plus de signes de pollution grave des eaux souterraines, et de nombreux propriétaires n’hésitaient pas à combler leur cénotes de manière à rendre constructibles des terrains qui ne le sont en réalité pas, sacrifiant un héritage culturel et naturel millénaire à un confort moderne souvent douteux.
Cependant, un charme particulier faisait de Muyl une zone à part, exceptionnelle et chère à tous. Le temps semblait figé, loin des développements urbains et touristiques. Les traditions Mayas perduraient, il nous fallait régulièrement demander l’aide d’interprètes pour traduire le Maya à l’espagnol, et pouvoir ainsi communiquer avec les locaux lors de nos longue marches dans cette forêt enchanteresse. Il nous semblait alors que le « progrès », la construction à outrance et la pollution des nappes phréatiques qui en découlent n’atteindraient jamais, en tous cas pas de notre vivant cette zone si fragile et si belle.
Il est aussi utile de mentionner que la réserve de Sian Kan, patrimoine mondial de l’humanité, une zone de mangroves représentant la surface du Luxembourg et de la Belgique réunis, commence littéralement en bordure de ce village. L’ensemble de l’eau coulant dans les veines souterraines de Muyl est aussi celle qui alimente ce bijoux, cet écosystème d’une richesse et d’une fragilité rarement égalée, où que ce soit sur la planète.
Nous étions tristement optimistes
Il y a un an, une effroyable rumeur commença à se propager : le gouvernement fédéral avait cédé à la pression d’investisseurs très puissants, qui avaient (et ont toujours) comme projet d’ériger en plein sur cette zone si fragile et unique, une ville moderne, sortie de nulle part et d’une superficie aberrante de 50Km2.
Notre paradis caché allait être sacrifié aux lois du marché, de la corruption et des échéances politiques à court terme.
Il nous fallait agir vite, le temps pressait, et le temps presse aujourd’hui plus qu’hier.
Un groupe étendu de scientifiques, d’archéologues, d’écologistes, d’explorateurs et même de certains membres de ministères Mexicains se réunirent en secret de manière à trouver un angle d’attaque permettant de se donner les plus grandes chances de succès dans cette entreprise titanesque, face à de si grandes puissances économiques. Phillip Lehmann, ayant déjà gagné des batailles similaires en République Dominicaine, sur des fronts plus modestes, eut alors une idée.
L’objectif était alors d’insister sur l’aspect économique, et les revenus que les populations locales peuvent tirer de la conservation de leur patrimoine, plutôt que de sa destruction.
Il nous fallait alors trouver une solution virale, et faire des cénotes de cette zone la pierre d’angle de la subsistance de ses habitants.
Le mouvement #SOMOSLOSCENOTES était né
Nous avons depuis travaillé à un documentaire destiné à montrer au grand public les beautés cachés de l’inframonde, et l’importance de l’eau douce et de sa conservation comme racine même de l’essor touristique de la péninsule du Yucatan. Â un niveau plus global, la même prise de conscience est extrapolable à tous les aquifères du monde, à toutes les ressources d’eau douce de la planète, et ce que nous voulons faire, avec votre aide, car au fond, nous sommes faits d’eau douce, et en cela SOMOSLOSCENOTES* !
Aidez-nous à propager le message, auprès des plongeurs et des non-plongeurs, devenez vous aussi les embassadeurs de la protection de ce milieu unique en partageant la série de documentaires de la page FB # SomosLosCenotes* (*Nous sommes les cénotes)
Vincent Rouquette-Cathala est copropriétaire de Under The Jungle, au Mexique. Il est instructeur et formateur d’instructeurs de plongée technique et souterraine TDI, CMAS et DSAT.
Avec Natalie Gibb, sa binôme et associée depuis de nombreuses années, ils n’ont de cesse que d’explorer, cartographier, et oeuvrer à l’éducation et la conservation de ces merveilles naturelles.
contact: vince@underthejungle.com, www.underthejungle.com
Lien vers la page Facebook Somosloscenotes : https://www.facebook.com/SomosLosCenotes/?__tn__=%2Cd%2CP-R&eid=ARC8w_rcCpe1dRFd5rq6yAyuODuqJswIPsRHzOF1fq77CFqXASHOuwTyztfzXnfiTZxo3Ze8vfyRv-J7