Pascal Bernabé, explorateur infatigable et recordman du monde de profondeur en plongée autonome, parcourt la planète pour aller à la découverte de nouveaux sites et rencontrer les plongeurs Tek de tous horizons et organiser des formations avancées.
“C’est un peu par hasard que j’ai découvert la Croatie. Pour une formation trimix avancée, mes stagiaires allemands avaient choisi cette destination. Et plus particulièrement l’île de Pag, proche de Zadar. Ils étaient en effet intéressés par les épaves, nombreuses dans cette zone. J’arrivais donc en terrain inconnu mais fut rapidement séduit par ce paradis qui regroupe à la fois tant d’épaves et de grottes dont beaucoup sont encore inexplorées. Beaucoup sont de la première ou seconde guerre mondiale et sont profondes, à explorer au trimix.
Des épaves peu connues, dont certaines sont inexplorées
Parmi les plus intéressantes, L’Albanian est sans doute l’une des épaves les plus connues. Elle repose par -72m près de la ville de Novalja. Construite en 1910 à Trieste , elle fut coulée le 4 juin 1916.
Le bateau à vapeur Euterpe, austro hongrois construit en 1907 fut coulé dans la nuit du 11 juillet 1918 par une torpille tirée par le sous marin italien F16 . Avant la guerre l’Euterpe était un superbe navire pour passagers qui effectuait de nombreux voyages en Méditerranée et au Proche-Orient. Juste avant la première guerre mondiale, le navire était inactif jusqu’en 1918, lorsque les autorités militaires le récupérèrent. En 1918 donc il navigua une fois de plus en mer Adriatique, transportant de l’équipement militaire. Quand il fut touché par 2 torpilles, il coula rapidement et il repose actuellement par -85m. Les premières structures sont à -69m.
Dans cette zone on trouve aussi le torpilleur HMS Aldenham construit en 1942 il saute sur une mine le 12 décembre 1944 et repose actuellement par -85m. Un autre torpilleur, le TA20 , ex Audace, construit en 1914, coulé le 1er novembre 1944 et gît à -80m de fond.
Une prochaine expédition devrait permettre de trouver le seul sous marin U-Boat sur -98m de cette zone ainsi qu’un énorme Ferry sur -130m…
Côté grottes, le potentiel est énorme
J’avais entendu parler d’explorations en Croatie par Luigi Casati et quelques français partis en expédition sur place. Mais lors de mon premier séjour, je fus surpris d’apprendre par Spela, responsable du club de plongée Tek, qu’une grotte à 40 minutes de voiture de mon hôtel était à peine explorée : 300 mètres de développement pour -46 mètres de profondeur… Une aubaine de nos jours… et une invitation à l’exploration ! J’explorais donc à deux reprises la magnifique grotte noyée de Zecica, parvenant à dérouler 380m de fil d’ariane entre -40 et -50 mètres de profondeur, utilisant bien sûr au fond du trimix et du nitrox 50% et oxygène au paliers ainsi qu’un scooter… capricieux. La grotte développait alors 780 mètres de galeries pouvant mesurer jusqu’à 18 mètres de large pour une dizaine de mètres de haut et ponctuées d’énormes stalagtites et stalagmites. Mais je tombais surtout amoureux de cette étrange source d’eau saline, avec une faune marine (anguilles, moules…) s’ouvrant mystérieusement vers -9m au fond de la mer dans une petite baie à une cinquantaine de mètres du bord. Ce gros fleuve sous marin part ensuite vers le nord est s’enfonçant dans les collines de calcaires bordant la côte.
Je suis donc retourné plonger en compagnie d’amis croates, dont Drazen Goricki, mon coéquipier d’exploration, explorateur de grottes et d’épaves passionné. Venu pour continuer l’exploration et la topographie de Zecica Cave. Nous avons préféré reprendre l’exploration de la source de Modric, située à moins d’un kilomètre de Zecica. En effet si Zecica se situe entre -40 et -50m de profondeur -obligeant rapidement le plongeur à effectuer de longs paliers de décompression – Modric se trouve entre -32 et -8m et les plongées s’effectuant au recycleur à PPO2 constante, et au scooter, les explorations dans cette résurgence nécessitent peu ou pas de paliers. De dimensions un peu plus modestes que Zecica, Modric descend en pente raide vers -32m pour remonter ensuite lentement vers -20m, suivant ensuite un profil en montagne russe entre de belles concrétions. L’une des particularité est une alternance d’eau salée puis douce créant donc une thermocline très nette (variations de 10 à 15°) et une halocline ou la visibilité peu se réduire à néant et créer des zones très instables.
L’aventure de l’exploration est pleine de surprise, c’est sans doute ce qui fait son charme. Lors de la première plongée, partis pour une simple reconnaissance dans la zone du terminus à 400m de l’entrée, nous avons quand même exploré 100m de nouvelle galerie. Une panne d’éclairage nous forçant au demi tour dans une grande salle avec 4 à 5m de visibilité. Sur le retour une panne de scooter nous oblige à rentrer à 2 sur 1 scooter… Le lendemain armés de nouveaux éclairages, d’un scooter de secours et d’un relais supplémentaire nous partons plein d’espoir avec 300m de fil… pour trouver une visibilité quasi nulle dans les trop nombreuses zones d’eau douces et donc dans la grande salle terminale où je cherche longuement la suite à tâtons sur une vingtaine de mètres avant de renoncer. Nous rentrons en touch-contact avec Dragen avant de profiter d’une zone d’eau douce plus claire pour réutiliser nos scooters version Star Wars qui nous occasionneront tout de même quelques chocs !
Le lendemain nous hésitons entre Zecica et retourner à Modric dans l’espoir d’une meilleure visibilité et avec l’alibi de récupérer le dévidoir DTD de Dragen. La visibilité est encore pire ! nous commençons à bien connaître le trajet jusqu’à 520m ou nous reprenons le dévidoir. Nous cherchons une suite vers l’eau dans l’espoir de faire surface mais nous trouvons le plafond vers -8m ; la salle fait donc 10m de haut exactement ; et à peu près la même largeur d’après ce que nous avons pu voir le premier jour. La suite entrevue le premier jour ne donne rien… cul de sac ? Avec cette visibilité rien n’est sûr. Sur le retour, à 245m de l’entrée, nous explorons une petite galerie latérale repérée par Vedran .
Proche de Zadar on a aussi de nombreuses autres grottes dont les blanches et magnifique Golubinka et Vukovica Vrelo ainsi que Cetina Kosinac où l’on peut voir ce fameux «poisson à pattes» endémique, le Protée.
Dans cette zone proche de Zadar ainsi que dans toute la Croatie et l’ex-Yougoslavie ce sont donc d ‘innombrables possibilités d’explorations et de découvertes qui s’offrent aux plongeurs, tant sous terre que dans les épaves…”
(photos Drazen Goricki)