Par C. Haution
Une vie de plongeur à la recherche du passé.Spécialiste du XVIII em siècle .A son actif un peu plus de 2600 heures de fouilles sur épaves.
Quand je mets la tête dans l’eau, c’est le choc ! Sous moi s’étale une épave démesurée. Je ne m’attendais pas à un tel spectacle. L’eau est claire, limpide, presque cristalline. Dans le lointain un chapelet de bulles semble sortir de dessous la coque. Pas un bruit. Les engins de désensablement ne sont pas encore en action. J’ai été devancé par Pierre qui comme chaque matin fait son tour. Un instant privilégié. Palmes extra courtes, ceinture sur-lestée, je me laisse couler sur le fond de 10 mètres. Quand je touche le bois de l’épave je comprends la seconde magie qu’exerce une épave historique qui vient d’être dégagée du sable. Après les yeux, c’est le touché. Me reviennent ces mots de Pierre «Quand je touche le bois de l’épave je suis avec l’équipage». Osant à peine bouger une palme, je me déhale sur la charpente. Oui les bulles sortent de dessous l’épave. Une cavité, un tunnel est creusé sous les vestiges du navire. Nous sommes en Corse sur la Nourrice, une corvette de charge du premier Empire. Avec cent hommes d’équipage, vingt canons, c’était un bâtiment de 46 mètres de long pour 11 mètres de large. Arrivé au bord du trou, je bascule la tête et c’est maintenant de la spéléo. Au fond de la cavité, un rayon de lumière puis un éclair de flash. C’est l’instant relevé. Comme blotti dans un terrier, planchette de relevés, mètre, appareil-photo en mains, il vient d’achever le relevé d’une pièce de bois bardée de clous en cuivre. Un élément de la fausse quille. Sans prévenir, un tuyau se gonfle. Puis se fait entendre un sifflement et du sable est aspiré. Deux plongeurs arrivent. Passage de consignes. Encore quelques instants de visibilité et c’est la purée de pois. Pas facile ce job d’archéo sous-marin. Durant sept heures, les plongées vont se succéder. Cela fait cinq ans que la Nourrice est mise en fouille et il y en a encore au moins pour trois ans. La finalité, l’étude de la coque pour la comparer aux textes de l’époque. Pas de chasse à l’objet. Le trésor est le bois de la carène .
Cela fait trente-trois ans que Pierre s’est impliqué dans l’archéologie. Sa première épave, la Rondinara en Corse du sud. Un coup d’essai qui va sceller son engagement dans la discipline. A vingt-six ans il est alors le plus jeune titulaire d’une autorisation de fouille sous-marine. De son propre aveu il ne connaît rien à la charpente de marine mais il sait que c’est par là qu’il va falloir passer pour bousculer le petit monde des chasseurs de d’objets. De formation technique, il relève tout. Et surtout il porte des cotes sur les dessins. Pour lui un bateau est une machine et il faut la traiter comme telle. La construction navale est une affaire de gens issus du technique. La mise au jour de 855 bols et céramiques du XVIII em siècle par seulement six mètres et un second déclic. Inutile de plonger profond pour toucher à des sites remarquables. Le sable cache des merveilles. Fouiller par faible profondeur, c’est donner plus de temps d’immersion positif à un plongeur. Avec ses trois équipiers, il cumule 250 heures de plongées en trois semaines. Surprise, sous l’épave se trouvent des vestiges antiques. Mais l’action se limite à la seule épave. Il faut laisser en place ce qu’il n’est pas nécessaire de relever pour permettre le développement de futures recherches. Pareil pour l’herbier de posidonies. L’épave se prolonge sous la matte. Un rapide sondage et le chantier n’est pas poursuivi. Précurseur du respect du biotope, il s’interdit les dégagements irréfléchis et intempestifs.
Initialement plongeur loisir, il reste dix ans niveau 1 et cela ne l’empêche pas de conduire des opérations archéologiques, même avoisinant les vingt mètres. Situation qui serait impossible de nos jours. Pour maîtriser l’art de la construction navale, il fréquente les séminaires et autres réunions du Musée de la Marine. C’est en lisant des auteurs des années 80 qu’il comprend que l’archéologie navale de la période 1700/1800 est un domaine inexploré. Il y a donc matière à recherches et il s’y implique. Non préparé à cet exercice, les formations étant inexistantes, il invente des méthodes de fouille et d’enregistrement de données. La progression se fait et les fouilles s’enchaînent.
Autre volet de ses activités, la recherche en archives. Pour trouver une épave il faut avant tout la localiser sur le papier. Mais il faut aussi constituer un fond documentaire sur les circonstances du naufrage, la personnalité du commandant, les éventuelles récupérations… Alors il s’immerge dans les cartons des bibliothèques et dépôts de la Marine. Quand il termine l’épave dite Calvi 1, encore une fouille incroyable, il sait qu’il maîtrise les techniques propres à l’archéologie. C’est tout l’arrière d’un bateau du XVIIe qui vient d’être mis au jour. En plein mois d’aout, avec deux pneumatiques et cinq équipiers il fouille en plein port de commerce, non pas au rythme des marée mais des ferrys. Autre temps que les années 1985/1990. Pas de classement pour les plongeurs archéo. Un air d’aventure flotterait ? Nostalgie ? Non simplement étonné de tous les freins qui se sont développés pour en fin de compte avoir toujours les mêmes problèmes de prélèvements incontrôlés. Avec ses plans il fait exécuter une maquette au 1/5 de l’épave. C’est la première maquette archéologique réalisée en France. Le ton est donné, sans se prévaloir d’être un spécialiste, il part sur les traces d’un vaisseau de 74 canons perdu à Saint Florent en 1794. Réussite pour le bicentenaire de la révolution. L’événement passe inaperçu. Peu importe, l’étude se fait avec des moyens plus que restreints mais les informations remontent avec force de nouveautés.
Parallèlement, sont entreprises des prospections mais les fonds gardent leurs secrets. La vie de chercheur d’épaves n’est pas vraiment la sienne. Pourtant il y a quelques réussites, toujours par petits fonds. Avec l’épave du Saint Etienne, une pinque de 1760, située à cinquante mètres d’une plage, il fait la démonstration de sa rigueur. Chaque couple est déposé, mesuré, pour arriver à dresser un plan de formes. Autodidacte, persévérant, il n’hésite pas à financer les opérations quand les aides financières ne sont pas à la hauteur des nécessités. Le principal bailleur de fonds est alors la FFESSM et devient l’un des acteurs incontournable de l’archéologie fédérale. Un virage décisif est pris quand il participe à la fouille des flûtes Loire et Seine en Guadeloupe. Sous ses palmes deux coques du même constructeur et lancées quasiment le même jour. La marine impériale fait son entrée dans sa vie. La qualité des eaux et des lieux, toujours sur un très petit fond, lui donnent tout le loisir d’ausculter les épaves. Des dispositions inattendues se révèlent. Le terrain prétendu connu devient étranger. Son investissement en heures de lecture, de suivi de conférences, est son capital. Il aime dire qu’il fait de l’anatomie comparée de navires. Ses plongée font la preuve qu’un bâtiment du premier Empire est une source formidable de mise en évidence d’innovations. Alors quand il ressort un vieux dossier portant le nom de Nourrice Sagone 1811, et qu’il trouve l’épave, c’est le point d’orgue. En quelques semaines, l’épave est trouvée là où tant de plongeurs l’on cherchée. Mais sous plus d’un mètre de sable. La mise en fouille bat actuellement son plein. Toujours petitement équipé mais armé d’une volonté à toute épreuve il dégage l’une des plus belles épaves accessibles aux plongeurs n’utilisant pas de mélanges. En empiétant un sur ses secrets, cela sera sa dernière épave mais l’on ne sait jamais car ses étagères comportent encore quelques dossiers. Quand la passion vous tient…
Aux sources de l’aventure d’une vie
Pierre Villié découvre la plongée avec le Monde du Silence. C’est avec la pêche sous-marine qu’il découvre la mer. A dix-huit ans il fait connaissance avec la Corse et ne la quittera pratiquement plus. Francilien, il s’investit tout d’abord dans l’archéologie fluviale. A Crécy la Chapelle il crée le premier centre fédéral d’archéologie de la FFESSM. Il plonge également en Belgique dans les grottes de Han. Puis c’est la fosse Dionne à Tonnerre, fontaine vauclusienne entourée de légendes. En y installant une suceuse à eau par trente mètres il réalise une première. Attaché à l’île-de-France, il conduit depuis 1981 des fouilles continues dans le Grand-Morin. Site majeur francilien, c’est l’endroit rêvé pour s’initier aux techniques de la discipline. Une tour médiévale lui sert de refuge. Un mélange de musée, de caverne, de coffre-fort, d’atelier, un endroit magique, à 45 km de Paris, qu’il faut connaître.
Pour en savoir plus, suivre des formations, participer aux fouilles: crecysub@gmail.com – 06 07 06 72 89
Étonnant de trouver un article sur le travail de Pierre. J’ai participé aux fouilles avec lui, tant à Crécy, qu’à Saint-Florent sur la pinque St Etienne, dite U Pezzo. Un type formidable, passeur de savoir avec enthousiasme. J’espère qu’il va bien…