Par Jean-Louis Maurette et l’Expédition Scillias
Il dormait là depuis près de cent ans, totalement oublié. L’équipe de L’Expédition Scyllias a retrouvé l’épave d’un sous-marin allemand de la Première Guerre mondiale perdu corps et biens, en 1918, à seulement quelques milles des côtes de Cornouaille, par 85 mètres de fond. Selon les historiens, aucun sous-marin de l’empereur Guillaume II n’était donné pour avoir coulé dans le Sud de la Bretagne. Et pourtant, l’U 84 du Kapitänleutnant Walter Roehr, qui sema la terreur dans les eaux finistériennes, semble rebattre les cartes. Retour sur une exploration sensationnelle…
C’est par un hiver froid et humide, période propice au vagabondage de l’esprit et aux espoirs de folles découvertes sous-marines, qu’une poignée de membres de l’Expédition Scyllias s’était réunie afin d’étudier de nouvelles pistes d’investigations sous-marines. Mélangeant finement ce phénomène d’exaltation généralisée et une liste d’hypothétiques épaves s’allongeant d’autant plus que les verres se vidaient, arrivait le cas le plus prometteur se rapportant à l’épave d’un sous-marin non loin de Penmarc’h, dans le Finistère sud, dont l’existence était confirmée par le SHOM (Service Hydrographique et Océanographique de la Marine – NDLR). Le Service déclarait, sur une fiche épave datant de 1954, qu’il s’agirait de l’U 618, reposant couché sur le flanc par –79 m. La précision de plus ou moins 100 mètres, annonçait cependant de longues et pénibles recherches avant de pouvoir localiser l’épave, si tant est que ce fut possible, ce genre de prospection pouvant réserver bien des surprises.
Le fait que l’U 618 fut évoqué interpellait car cet U-Boot, un type VII C commandé par l’Oberleutnant zur See Erich Faust, avait été, le 14 août 1944, victime des frégates britanniques HMS Duckworthet Essington, aidées par un bombardier B-24 Liberator du Squadron 53/G issu du Coastal Commandde la RAF. Les archives le donnaient pour avoir sombré, avec ses 61 hommes d’équipage, à la position N 47° 22′ – W 04° 39′, assez éloignée, dans les faits, de l’épave suscitant notre intérêt. Les marins du roi George avaient, lors de la Seconde Guerre, une idée assez précise de leur position et ne pouvaient pas faire une erreur aussi importante. Une possibilité voulait aussi que l’U 618 ait pu, bien que très avarié, naviguer quelques milles en immersion avant de disparaître, à jamais. Mais cette probabilité était infime car les Alliés déclaraient les U-Boote coulés en se basant sur des faits avérés et non sur des suppositions. Les « je crois que… je pense que… il est probable…” n’avaient pas cours sur les bâtiments anti-sous-marins de la Royal Navy.
Alain proposait alors de questionner un ami, patron pêcheur au Guilvinec, Mick Quiniou, qui pourrait probablement confirmer la présence d’une épave à cette position et, peut-être, fournir une position bien plus précise. Ensuite, il resterait à vérifier in situ ce qui se cache sous les flots de l’Atlantique. Les âmes libérées, la réunion pouvait alors se poursuivre…
Première exploration
En juillet suivant, les beaux jours revenus, une petite équipe de l’Expédition Scyllias était réunie au port de Saint-Guénolé : Hugues Priol venu de Brest avec son bateau ; Alain Vincent Gautron ; Jacques Hellec et l’auteur de ces quelques lignes. Les conditions météos étaient excellentes avec une mer belle, peu de vent et un soleil radieux. Une belle journée pour voguer vers l’aventure. Qu’allions-nous trouver au fond de l’océan ?
Quelques minutes plus tard, nous étions sur site et un écho remarquable apparaissait immédiatement sur l’écran du sondeur Humminbird 997c fourni par la société Navicom. Sans conteste possible, il s’agissait d’une épave arborant une forme allongée et reposant par –81 m. Après un ou deux passages sur cette position discrètement confiée par Mick Quiniou, il ne restait plus qu’à gueuser et descendre à la rencontre de cette silhouette fuselée. D’habitude, nous évitons les palanquées de trois plongeurs, privilégiant les binômes. Ainsi, lors des plongées profondes et comme la plupart du temps dans notre zone d’activité, la visibilité réduite associée aux fonds vaseux et aux sédiments recouvrant les épaves oblige à maintenir une certaine cohésion. De fait, si le plongeur de pointe arrive à se diriger, le second, qui généralement s’occupe de la partie photo/vidéo, doit impérativement le suivre au plus près afin de ne pas le perdre. Le moindre coup de palme trop proche de l’épave ou du fond soulève les sédiments qui viennent dégrader davantage une visibilité déjà très mauvaise. Et si un troisième plongeur est de la partie, il bénéficie du nuage opaque envoyé par ses prédécesseurs… Par expérience, la palanquée de deux est la formule idéale mais, ce jour-là, nous faisions une entorse à nos habitudes car nous souhaitions ramener un maximum d’informations : Alain dirigerait l’explo, Jacques filmerait avec une petite camera et je ferais des photos tandis qu’Hugues gérerait la sécu surface. Nous utilisions un Trimix 18/40 pour la partie fond, un Nitrox 40 pour la déco et de l’oxygène pur pour le dernier palier.
La descente commençait dans le bleu et augurait une belle plongée. Mais, à partir de –30 m, la luminosité baissait puis, vers les –50 m, l’eau commençait à changer de couleur pour passer au marron. La profondeur augmentant, on finissait par n’apercevoir que ses équipiers et le bout nous amenant à la gueuse que nous atteignions, peu après, dans une obscurité totale. Les ordinateurs indiquaient alors –84 m. Alain fixait le fil d’Ariane et, quelques secondes après, nous survolions l’épave. Une bien agréable surprise nous attendait sagement : un sous-marin ! Évoluant essentiellement dans le cadre d’un repérage, nous arrivions bientôt sur le kiosque dont la forme et des détails architecturaux permettaient immédiatement d’établir qu’il ne s’agit pas d’un type VII. Exit l’U 618, il s’agit manifestement d’un autre type d’U–Boot ! La trappe d’accès ouverte interpellait encore et laissait penser que des hommes auraient pu tenter de s’échapper. Les périscopes étaient rentrés dans leurs puits et l’un d’eux était recouvert d’un morceau de filet.
Nous poursuivions notre progression vers ce qui s’avérait être l’avant du submersible. Passé un panneau circulaire fermé, nous tombions en arrêt devant un grand canon, à poste sur son affût. Un chalut, dont une grande partie remonte à la verticale, tirée par des bouées, s’est enroulé sur sa culasse et son frein de recul. On aperçoit ces éléments mais seul le long tube du canon est clairement visible. Plusieurs conteneurs à obus reposent au pied de cette impressionnante pièce d’artillerie dont l’aspect inquiétant est renforcé par la turbidité de l’eau fortement chargée en particules. L’absence de luminosité et la mauvaise visibilité – moins de deux mètres –, ajoutaient une note surréaliste à cette singulière équipée subaquatique. Nous palmions jusqu’au panneau d’embarquement des torpilles avant, survolant les vestiges du pont, mais le temps étant compté – tout particulièrement à cette profondeur – nous devions stopper cette première rencontre avec ce qui est devenu, à nos yeux, « l’U-Boot inconnu de Penmarc’h » car il s’agit sans conteste d’un sous-marin allemand… de la Grande Guerre. Sitôt les longs paliers, nous pouvions enfin partager avec Hugues, qui veillait au grain en surface, le rare plaisir d’une telle découverte près des côtes de Cornouaille.
Une découverte qui intéresse les historiens
Priorité était dorénavant donnée à cette épave. Malgré l’intérêt évident de cette découverte, la presse française s’est avérée, pour l’essentiel, complètement hermétique au sujet. Fait pour le moins surprenant en pleine période de célébration du centenaire de la Grande Guerre… C’est en Allemagne que la nouvelle interpellait, aboutissant, par des chemins détournés – en fait via l’amiral Mathey, ancien président de l’Agasm (association générale amicale des sous mariniers) qui avait eu vent de la trouvaille –, sur le bureau du Korvettenkapitän Juergen Weber, ancien commandant d’U-Boote et vice-président du Verband Deutscher Ubootfahrer e.V. Il nous contactait immédiatement et, parallèlement à notre action, prenait vie un projet franco-allemand destiné à honorer la mémoire des sous-mariniers disparus, toutes nationalités confondues. Bien entendu, les Allemands étaient favorablement interpellés par notre action d’identification et de diffusion de l’information afin de promouvoir, d’une certaine manière, la connaissance d’une petite page d’histoire maritime noyée dans la grande tragédie de la Première Guerre mondiale. Cette action mémorielle naissante avait aussi pour objectif de conforter l’amitié franco-allemande. Et quelle meilleure façon que de réunir des sous-mariniers des deux pays, héritiers d’une tradition commune forgée dans les combats par leurs prédécesseurs ; des pêcheurs bretons dont les ancêtres ont payé le prix fort face aux U-Boote du Kaiser ; des plongeurs passionnés et des élus sensibles à cette démarche ?
Ainsi, fin juillet 2015, l’Expédition Scyllias recevait une délégation allemande et organisait, le 26, à Saint-Guénolé, l’action mémorielle. Il s’agissait d’aller déposer en mer une couronne à la mémoire de l’équipage allemand disparu et d’apposer sur l’épave, grâce aux plongeurs de l’association, une plaque mémorielle accompagnée du pavillon du Verband Deutscher Ubootfahrer e.V. Hélas ! Eole et Neptune avaient eu vent de l’affaire et le mauvais temps avait quelque peu obligé l’équipe franco-allemande à changer ses plans, au dernier moment, pour s’adapter. De fait, seule l’action surface avait pu être réalisée. Il fallait attendre le samedi 22 août pour qu’une équipe mène à terme la seconde phase du projet en déposant, sur le kiosque, la plaque commémoratrice. Auftrag erfüllt ! Mission accomplie !
Une identification difficile
Malgré tout, l’U-Boot n’était toujours pas identifié et l’affaire s’avérait compliquée. Nous avions rapidement pris conscience que l’identification de ce sous-marin serait un véritable challenge, tant technique qu’humain, au vu des difficultés d’accès dues à la profondeur et aux conditions rencontrées sur le site. Néanmoins, de nouvelles plongées s’imposaient. Sous couvert de petits coefficients de marée permettant de profiter de courants – omniprésents sur cette zone où la marée ne semble jamais vraiment étaler – moins puissants, il nous fallait examiner l’épave avec minutie et la « disséquer » plongée après plongée. Tributaire du peu de temps alloué à chaque exploration, il nous fallait établir un plan de travail avec des zones délimitées et des actions ciblées. Seule une certaine rigueur peut permettre de collecter des informations pertinentes.
Avant toute chose, une plongée dans l’histoire de la Grande Guerre et les archives s’imposait. La recherche historique étant indissociable des examens in situ du sujet, les spécialistes des U-Boote de la Kaiserliche Marine, tout particulièrement Yves Dufeil, allaient nous être d’un grand secours en partageant leur analyse finement réfléchie et leur érudition. Première certitude, nous sommes en présence d’un sous-marin océanique de type U ayant coulé, par recoupement, en janvier 1918. Quatre U-Boote de ce type, ayant appareillé pour ce secteur ou y ayant opéré, n’étaient jamais rentrés de patrouille : U 84, U 93, U 95 et U 109. Hormis l’U 95, identifié comme tel par une équipe de plongeurs de la côte d’Opale, tous ont disparu à une date indéterminée, pour des causes inconnues et à des positions totalement ignorées. Cependant, des différences architecturales existaient et pouvaient permettre de trancher ! Nous avions déjà noté qu’il n’y avait qu’un seul panneau sur le pont, entre le canon avant et le kiosque. Seul l’U 84 adoptait cette configuration et, de fait, nous penchions pour ce submersible. Si la présence d’un panneau – et non deux – n’était pas un élément d’identification formelle, gardant à l’esprit qu’un chantier naval, en tant de guerre, était susceptible d’avoir pris certaines libertés lors de la construction de l’U-Boot pour ne poser qu’un seul panneau, la probabilité qu’il s’agisse là de l’U 84 restait du domaine du possible.
Nous avions donc été jusqu’à l’avant, qui est en assez bon état avec l’ancre toujours à poste dans son écubier. Les portes externes des tubes lance-torpilles demeuraient invisibles, cachées sous la couche de concrétions et de sédiments, ou bien envasées. Restait une inconnue : la partie arrière. Deux plongées furent nécessaires pour avoir une idée plus précise de l’état de cette portion de l’épave.
Le premier élément intéressant s’avérait être un canon 8,8 cm L/30, dénommé officiellement Feststehendes 8,8 cm U-Bootsgeschütz L 30 avec son frein de recul à l’extrémité caractéristique placé sur le dessus du tube plutôt court de 2,64 m (le canon de pont à l’avant est un 10,5 cm SK-L/45, bien plus imposant avec son tube long de 4,72 m). À l’extrémité du sous-marin étaient visibles deux tubes lance-torpilles fermés. Malheureusement, les deux hélices sont désormais invisibles, totalement envasées. Nous caressions l’espoir qu’une hélice soit visible et qu’il serait possible de gratter entre les pales où doivent figurer chiffres et données techniques permettant d’aider à l’identification du submersible. Hélas ! Cette piste s’avérait dorénavant inexploitable. Collecter des informations sur les canons où plusieurs marquages existent forcément, notamment au dos des culasses, était du domaine du possible mais seule la pièce arrière était facilement accessible, celle de l’avant étant recouverte d’un filet nécessitant d’être ôté – opération ô combien délicate, voire dangereuse à cette profondeur. Le plus simple restait finalement de mesurer la distance entre la base du kiosque et la base du canon avant car il y avait une différence notable entre les sous-marins des séries U 81 / U 86, U 93 / U 95 et U 105 / U 114. L’U 84, notamment, était plus court d’environ 2 m que les autres séries.
Le samedi 5 septembre, nous organisions donc une plongée, toujours au départ du port de Saint-Guénolé, à laquelle participaient Hugues Priol, Alain Vincent Gautron, Alain Le Garo et votre serviteur. Cette fois, la tâche était partagée, un plongeur devant mesurer la distance kiosque / support canon et les deux autres ayant pour objectif de déployer sur l’épave, en mémoire de l’équipage disparu, le drapeau du Verband Deutscher Ubootfahrer e.V remis, pour l’occasion, par le Korvettenkapitän Juergen Weber. Le succès était au rendez-vous et la mesure relevée donnait 10 m pour 9,9 m sur le plan. Le doute n’était plus permis : il s’agit bien de l’U 84 ! Nous savons désormais où le Kapitänleutnant Walter Roehr et les 39 hommes de son équipage reposent depuis le mois de janvier 1918. Il reste maintenant à retracer sa dernière patrouille et comprendre les événements qui ont mené à sa perte mystérieuse, un jour de janvier 1918. Et l’U 618 ? Affaire à suivre…
Caractéristiques
Classe : océanique Type Mittel U – série U 81
Chantier :Germaniawerft, à Kiel
Commande : 23 juin 1915
Mise en chantier : 25 octobre 1915
Lancement : 22 juillet 1916
Mise en service : 7 octobre 1916
Déplacement en surface: 808 t
Déplacement en plongée: 946 t
Longueur: 70,06 m
Largeur: 6,30 m
Tirant d’eau: 4,02 m
2 moteurs diesel développant2 400 ch
2 moteurs électriques développant1 200 ch
Vitesse en surface : 16,8 nd
Vitesse en plongée : 9,1 nd
Distance franchissable en surface : 11 200 milles à 8 nd
Distance franchissable en plongée : 56 milles à 5 nd
Profondeur de plongée maximum (officielle) : 50 m
Tubes lance-torpilles avant : 2 x 50 cm
Tubes lance-torpilles arrière : 2 x 50 cm
Nombre de torpilles embarquées : 12
Artillerie de pont : 1 pièce de 10,5 cm SK-L/45 + 1 pièce de 8,8 cm L/30
Commandant : KapitänleutnantWalter Roehr
Equipage : 40 hommes
Survivant : aucun
Bilan opérationnel : 7 patrouilles de guerre. 31 navires coulés pour 89 700 t et 7 autres endommagés pour 42 000 t.
Date de la perte : janvier 1918
Remerciements : Messer (www.messer.fr) – Yves Dufeil (http://www.histomar.net) – Verband Deutscher Ubootfahrer e.V
Bonjour,
Merci pour ce récit passionnant !
Comment avez-vous dater le naufrage en janvier 2018 par “recoupement” ?
Merci